Découverte : Ces crocodiles herbivores coexistaient avec les dinosaures

Une nouvelle analyse de dents fossilisées suggère que l'astéroïde responsable de la fin tragique des dinosaures a également éradiqué la branche herbivore de la famille des crocodiles.

De Tim Vernimmen
L'espèce éteinte de crocodilien Pakasuchus (illustrée ci-dessus) était herbivore selon les analyses menées sur ses dents ...
L'espèce éteinte de crocodilien Pakasuchus (illustrée ci-dessus) était herbivore selon les analyses menées sur ses dents fossilisées.
PHOTOGRAPHIE DE Illustration de Jorge Gonzalez

Dans les livres pour enfants ou dans les dessins-animés, les crocodiles et leurs semblables arborent tous une dentition composée d'un nombre impressionnant de dents identiques, tranchantes et pointues telles une arme spécialement conçue pour transpercer et déchirer la chair. Mais dans la réalité, il existe une certaine variation, indique le paléontologue Keegan Melstrom de l'université de l'Utah.

« Et encore, ce n'est rien comparé à l'incroyable diversité dentaire des reptiles éteints apparentés aux crocodiles, ou crocodyliformes, » poursuit-il. « Certains de ces crocodiles aujourd'hui disparus avaient une dentition très étrange. »

Une nouvelle analyse menée sur 146 dents fossilisées appartenant à 16 crocodyliformes éteints a donné de surprenants résultats : les ancêtres des crocodiles sont devenus herbivores à au moins trois reprises au cours de leur histoire.

« Cela montre que cette stratégie alimentaire portait ses fruits, » explique Melstrom, directeur de l'équipe qui a présenté les résultats dans la revue Current Biology. « Et je pense qu'à mesure que nous découvrirons d'autres dents, nous trouverons potentiellement d'autres groupes devenus herbivores de façon indépendante. »

 

UNE MASTICATION ASSIDUE

Pour leur analyse, Melstrom et son coauteur Randall Irmis, également rattaché à l'université de l'Utah, ont adopté une méthode spécialement conçue pour comparer les dents dissemblables, empruntée à des paléontologues ayant étudié par le passé les mammifères anciens.

« Dans cette méthode, il suffit de compter le nombre de surfaces distinctes sur chaque dent, » explique Melstrom. « Nous les considérons distinctes si elles sont orientées dans des directions différentes. »

D'après les recherches précédentes menées sur des mammifères et des reptiles vivants, les scientifiques savent que les carnivores ont plutôt tendance à avoir des dents composées de peu de surfaces distinctes. Par exemple, le dragon de Komodo est un prédateur dont les dents ressemblent à des couteaux à steak : fines et aiguisées, droites et simples, sans fioritures. Ces dents sont idéales pour saisir les proies et les découper en morceaux que le lézard pourra ensuite avaler sans même devoir mâcher. À l'opposé on trouve des animaux dont les dents sont pleines de coins et recoins, ce qui augmente le nombre de surfaces distinctes et crée donc divers espaces pouvant être utilisés comme différents outils destinés à broyer toutes sortes de parties de plantes robustes.

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    Ces deux modèles imprimés en 3D représentent les formes complexes des dents de deux espèces de crocodyliformes. Les formes des dents indiquent que ces crocodiles aujourd'hui disparus étaient des herbivores.
    PHOTOGRAPHIE DE Mark Johnston, Nhmu

     « Ces dents appartiennent presque systématiquement à des animaux qui se nourrissent de plantes dont les feuilles, les branches et les tiges requièrent bien souvent une longue mastication avant d'être digérées, » nous informe Melstrom.

    Les dents des crocodiles actuels presque entièrement carnivores sont généralement plutôt simples, poursuit Melstrom, mais certaines espèces éteintes étaient dotées de dents composées parfois de 20 surfaces distinctes. Cela suggère qu'ils procédaient également à une mastication minutieuse ou qu'ils adoptaient des comportements leur permettant de se contenter de certains plantes nutritives difficiles d'accès.

    « L'une des structures dentaires les plus complexes que nous ayons étudiées est celle du Simosuchus, un petit crocodyliforme au museau quasi-rectangulaire, comme si quelqu'un lui avait frappé la tête avec une pelle, » décrit Melstrom. Ces dents étaient remarquablement similaires à celles de l'iguane marin des Galapagos dont le régime alimentaire repose essentiellement sur le broutage des algues poussant sur les rochers. « Simosuchus n'était pas un animal aquatique mais vivait probablement près de l'eau, il n'est donc pas insensé d'imaginer qu'il se nourrissait d'une façon similaire, » suggère Melstrom.

    Étonnamment, l'étude de Melstrom a permis d'établir sans équivoque qu'il existait non pas un groupe solitaire de végétariens mais bien au minimum trois groupes indépendants composés d'une variété de « masticateurs » au comportement complexe, ce qui suggère qu'au cours de l'évolution, la transition vers un régime herbivore s'est opérée plusieurs fois.

    Paléontologue à l'université de l'Ohio et non impliqué dans l'étude, Patrick O'Connor est enthousiaste vis-à-vis de l'approche adoptée par l'équipe : « Cette méthode peut être répliquée et étendue à la découverte de nouveaux fossiles, ce qui devrait nous permettre de mettre à l'épreuve différentes idées sur les raisons qui ont poussé les crocodiles à opter de temps à autre pour un régime végétarien au cours de leur histoire, » dit-il.  Son collègue Diego Pol le rejoint sur ce point. Cela étant dit, ce scientifique travaillant pour le Museo Paleontológico Egidio Feruglio en Argentine met en garde les scientifiques sur le fait qu'ils ne devraient pas considérer comme acquis les régimes suggérés par la complexité des dents et devraient plutôt se mettre en quête d'autres types de preuves pour étayer leurs conclusions.

     

    SÉLECTION NATURELLE ?

    Aussi performants qu'ils aient pu être autrefois, les crocodyliformes herbivores n'ont pas pour autant survécu à l'extinction de masse responsable de la disparition des trois quarts des espèces qui peuplaient la Terre il y a 66 millions d'années, alors que les crocodiliens modernes sont parmi les rares espèces tétrapodes à ne pas avoir succombé à la catastrophe. D'ailleurs, depuis cet événement, aucun crocodile herbivore n'a vu le jour, peut-être parce que les mammifères leur ont volé leur place dans cette niche écologique.

    « Le fait de devenir herbivore implique forcément un certain type de spécialisation, » fait remarquer Attila Ősi, paléontologue non impliqué dans l'étude mais auteur de la découverte d'une grande partie des dents utilisées dans celle-ci. Lorsque les plantes que vous avez l'habitude de manger disparaissent, cela peut vite devenir un problème. Par ailleurs, il n'y a pas que les crocodiles herbivores qui ont disparu mais bien tous les crocodiles entièrement terrestres, un constat dans lequel réside peut-être une autre piste. Les 23 espèces de crocodiliens toujours en vie aujourd'hui peuplent les lacs, les rivières et parfois les littoraux et ils se nourrissent la plupart du temps de viande et de poisson.

    Quoi qu'il en soit, même les crocodiles modernes ne sont pas exclusivement carnivores. De nombreuses espèces ont été observées de temps à autre en train de déguster des fruits, parfois même en les cueillant directement dans l'arbre. De la même façon, des alligators d'Amérique ayant suivi pendant plusieurs mois un régime à base de plantes n'ont pas montré de signes d'éventuelles conséquences néfastes sur leur santé. Il est donc clair que les crocodiliens sont plus flexibles qu'on ne le pense et que les crocodiles actuels sont bien mieux adaptés que ne le laisse entendre le surnom trompeur de « fossiles vivants » qui leur est donné.

    Mikael Fortelius de l'université d'Helsinki en Finlande n'a pas pris part à l'étude mais a utilisé la même méthode chez les mammifères et il reconnaît que cette étiquette n'aide pas beaucoup.

    « Tout comme de nombreux crocodyliformes aujourd'hui disparus n'étaient pas carnivores, la plupart des espèces anciennes de hyènes n'étaient pas des broyeurs et la majorité des rhinocéros n'avaient pas de corne, » conclut-il. « Beaucoup d'animaux peuplant la planète aujourd'hui ne sont pas les fidèles représentants du groupe dont ils proviennent. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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