La génomique est-elle en passe de révolutionner la médecine ?

Alors que vous êtes pris d’une migraine assourdissante, un ami vous tend des antidouleurs, vous assurant qu’ils « font des miracles » sur lui.

De Jon Heggie
Publication 16 août 2019, 17:39 CEST
La génomique: la révolution médicale
PHOTOGRAPHIE DE Shutterstock

Or, sur vous, rien ne se passe. Les médicaments agissent différemment selon les personnes, un mystère que nous comprenons de mieux en mieux. Pour un grand nombre d’entre nous, les gènes en sont les responsables.

« La médecine personnalisée, également appelée médecine de précision, représente depuis longtemps le saint graal des soins médicaux », explique Kemal Malik, membre du conseil de direction chargé de l’innovation chez Bayer. « Or, il était jusqu’ici impossible d’atteindre le degré de précision que nous souhaitions. Mais notre capacité à séquencer le génome humain a tout changé. » En avril 2003, le projet international Human Genome Project annonce le séquençage réussi de près de 20 000 gènes parmi ceux qui tracent le plan de notre corps. Depuis aujourd’hui 15 ans, cette avancée scientifique façonne et révolutionne les soins médicaux. La génomique, ou l’étude du génome, permet de prédire, de diagnostiquer et de soigner des maladies avec une précision sans précédent et de façon personnalisée.

Un génome humain complet est composé de trois milliards de paires de bases d’ADN, dont la disposition unique définit l’anatomie ainsi que les particularités d’un individu, telles que sa taille et la couleur de ses cheveux. Les séquences d’ADN forment les gènes, dont le fonctionnement nous apporte de nombreuses informations quant à notre organisme et aux conséquences de la maladie. Voici le raisonnement qui sous-tend les 13 années et les 2,7 milliards de dollars consacrés au Human Genome Project. Quelques heures et moins d’un millier d’euros nous suffisent aujourd’hui pour cartographier un génome humain. La génomique a fait son entrée dans la médecine traditionnelle grâce au séquençage rapide, à grande échelle et à bas coût de l’ADN, révolutionnant ainsi la médecine de précision.

Alors que le diagnostic précoce d’une affection augmente significativement les chances de succès du traitement, la génomique est en mesure de déceler une maladie bien avant la manifestation des premiers symptômes. De nombreuses maladies, y compris le cancer, sont dues à des mutations génétiques. À l’aide de tests génétiques toujours plus nombreux – dont une grande partie est disponible en ligne –, la génomique permet d’identifier ces modifications et de les rechercher. Si les résultats témoignent d’une sensibilité à une maladie, nous pouvons alors prendre des mesures préventives en vue de retarder voire d’arrêter le développement de l’affection. « Les soins médicaux viseront davantage à prévenir qu’à guérir », affirme M. Malik. Et la génomique permettra alors de déterminer les mesures médicales spécifiques que doit prendre un individu.

Lorsque les symptômes se manifestent, l’étude du génome peut jouer un rôle clef dans le diagnostic de la maladie. Grâce au Human Genome Project, près de 2000 gènes pathologiques ont été découverts et ont fourni une analyse rapide et précise d’une redoutable efficacité. Ils se sont montrés particulièrement utiles dans l’identification de maladies génétiques rares dont le diagnostic demandait jusqu’alors des années, mettant ainsi un terme à l’incertitude et à la souffrance infligée par les « odyssées diagnostiques ». Les recherches se poursuivent afin de constituer des bases de données relatives aux biomarqueurs génétiques, en particulier pour les différents types de cancer. « Jusqu’ici, la génomique a surtout porté ses fruits en matière de cancer », avance Kemal Malik. « Nous pouvons prélever des tissus, les séquencer et identifier les mutations. » Aux États-Unis, le projet Cancer Genome Atlas a permis de cartographier les principales altérations génomiques en cause dans plus de 30 types de cancer. Grâce à ces bases de données, il serait possible d’apporter un diagnostic définitif en seulement quelques secondes et même de diriger vers des traitements ciblés en lien avec l’ADN du patient comme de la maladie. En effet, le séquençage génétique des tumeurs cancéreuses est non seulement en mesure d’identifier certains types de cancer mais également d’en définir les causes et ce qui pourrait les anéantir.

S’agissant de traitement, la génomique transforme un autre aspect essentiel de la médecine de précision : la pharmacogénomique. « Nous savons depuis longtemps que la même dose d’un même médicament agit différemment selon les personnes », poursuit M. Malik. Nous connaissons désormais les raisons. Nos gènes influent sur la production d’enzymes du foie essentielles à la métabolisation des médicaments. Lorsqu’une mutation génétique entrave le bon fonctionnement des enzymes, le médicament risque de s’accumuler dans l’organisme et de causer de graves effets secondaires. Certains médicaments ne font effet que s’ils sont décomposés par le foie, de sorte qu’ils ne fonctionnent tout simplement pas en cas de dysfonctionnement des enzymes. Bien que ces variations génétiques, appelées polymorphismes, soient fréquentes, il est possible de les détecter et d’y remédier grâce à la génomique. En raison des variations génétiques, environ 30 % de la population ne peut assimiler totalement un anticoagulant courant. Cependant, les tests génétiques permettent d’identifier d’autres médicaments aux mêmes effets.

Plus de 250 médicaments sont aujourd’hui accompagnés d’informations pharmacogénomiques, permettant ainsi de les prescrire suivant le patrimoine génétique du patient. Alors que leur nombre augmente et que le séquençage génomique se fait plus fréquent, il est fort probable que des médicaments soient à l’avenir prescrits en fonction de nos gènes, réduisant alors les effets secondaires dangereux et assurant aux traitements rapidité et efficacité. « La génomique va jusqu’à transformer la manière dont nous développons les médicaments », déclare Kemal Malik. « Le processus est désormais beaucoup plus sophistiqué. Nous sommes capables de détecter une mutation spécifique à l’origine d’une maladie et de mettre au point un médicament qui s’attaque à cette mutation en particulier. » En 2014, 8 des 41 nouveaux traitements autorisés par la Food and Drug Administration (FDA) étaient des thérapies ciblées. « En matière de soins médicaux, l’approche adoptée a toujours été plutôt générale. Nous pouvons désormais nous attaquer à une maladie au cas par cas. »

Et cela est particulièrement palpable dans le domaine émergent de la modification génétique, une technique permettant aux scientifiques d’éditer l’ADN d’organismes vivants. « Il est rare que la médecine guérisse les gens pour de bon. Or, si le cœur du problème réside dans une mutation génétique particulière que nous pouvons éliminer, nous passons alors d’une approche qui soigne à une approche qui guérit », explique M. Malik. Derrière l’édition du génome se cache la technologie CRISPR-Cas9. À partir d’un mécanisme de défense présent dans une bactérie, l’enzyme Cas9, que ce membre de Bayer compare à des « ciseaux moléculaires », cible un segment précis d’ADN dysfonctionnel, l’élimine et le substitue par un segment d’ADN sain élaboré en laboratoire. D’ores et déjà employé lors d’essais cliniques, l’édition du génome est en passe de devenir un traitement rapide, efficace et de moins en moins coûteux. « C’est le nec plus ultra de la médecine de précision », affirme-t-il. « Son potentiel est immense. »

Au cours des 15 ans qui ont suivi le séquençage du premier génome humain, le monde médical n’a pas tardé à mettre ses connaissances en pratique. La génomique nous fournit un mode d’emploi de l’être humain nous indiquant comment nous réparer. « À l’avenir, chaque patient atteint d’un cancer pourra voir son génome être séquencé et nous développerons des médicaments à même de cibler la mutation génétique qu’il présente », espère M. Malik. Avec un séquençage génétique pour moins de 100 dollars (environ 88 euros), jusqu’à 2 milliards de génomes pourraient avoir été séquencés d’ici à 2025. « Les choses bougent à vitesse grand V », affirme Kemal Malik. La génomique centre les soins médicaux sur le patient plutôt que sur la maladie, transformant les traitements en remèdes. « Elle bouscule non seulement l’idée que nous nous faisons des soins médicaux, mais surtout de la maladie », conclut-il.

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