Essais cliniques : un enjeu pour la santé des femmes

Les études pour mettre au point de nouveaux médicaments incluent beaucoup plus de volontaires masculins que de femmes. Une sous-représentation qui s'avère problématique.

De Taïna Cluzeau
Publication 18 déc. 2019, 19:11 CET
Les femmes sont sous-représentées parmi les volontaires des essais cliniques.
Les femmes sont sous-représentées parmi les volontaires des essais cliniques.
PHOTOGRAPHIE DE gevende

Dans le monde, un peu plus de la moitié des 37,9 millions d’adultes vivant avec le sida sont des femmes. Pourtant, les essais cliniques pour trouver de nouveaux traitements ne comportent que 11 % de participantes, selon une analyse de 2016, dirigée par la Fondation américaine pour la recherche sur le sida (amfAR). Même sous-représentation pour les essais sur les antirétroviraux et sur les vaccins, qui comptent respectivement seulement 19 % et 38 % de volontaires femmes. Or, comparées aux hommes, elles réagissent différemment à la maladie. Chez elles, pour des raisons hormonales, le virus a tendance à rester en dormance pendant 5 à 7 ans après sa contraction, ce qui le rend plus difficile à éliminer. Elles sont par ailleurs plus sensibles à certains effets secondaires. Il est donc indispensable d’inclure un nombre suffisant de patientes dans les recherches si on veut pouvoir mettre au point des traitements aussi efficaces chez les femmes que chez les hommes.

Les essais sur le sida sont loin d’être une exception. La plupart des publications scientifiques ne mettent pas en avant les particularités hommes-femmes. Une étude de 2011 du Centre de recherche sur les femmes et le genre (CRWG) de l’université de l’Illinois a ainsi observé que, même si les recherches financées par des fonds publics incluent en moyenne 37 % de participantes, 75 % des études ne font part d’aucun commentaire lié à la différence de sexe.

« Les différences physiologiques, hormonales et génétiques entre hommes et femmes ont une répercussion sur la prévalence, l'incidence et la gravité des maladies, et sur les réactions au traitement », soulignent pourtant des chercheurs américains, qui ont publié la liste de ces différences dans la revue Biomedicine and Biotechnology (2011). Et ils insistent : « Comprendre ces différences est important pour concevoir des traitements sûrs et efficaces. » Entre autres exemples, on observe qu’après un repas riche en graisses, la proportion de Cyclosporine A (une molécule injectée par piqûre pour éviter le rejet d’organes transplantés) qui atteint la circulation sanguine est moindre chez les femmes. Un effet probablement dû à une répartition différente des lipides selon le sexe.

D’après les données de la Food and Drugs Administration américaine, les effets secondaires sont aussi plus nombreux et plus graves chez la gent féminine. Les chercheurs y voient trois raisons principales. D’abord des prises trop importantes de médicament. Les femmes étant généralement plus petites et ayant une composition corporelle différente de celle des hommes, la dose recommandée peut entraîner chez elles des concentrations plus élevées. Ensuite, des variations dans le nombre de récepteurs aux molécules du médicament ou la qualité de leur réponse risquent d’augmenter leur sensibilité à des produits spécifiques. Enfin, globalement, les femmes ingèrent davantage de médicaments que les hommes, ce qui accroît le risque d'événements indésirables liés aux interactions médicamenteuses.

Catherine Vidal, neurobiologiste et auteure de Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? (Belin 2017), note toutefois que les essais cliniques ont beaucoup évolué sur cette question. « Depuis que le Congrès américain a voté une loi en 1993 obligeant les organismes de santé à inclure les femmes sous contraceptif dans les tests, ainsi que les minorités ethniques, les pratiques ont aussi bougé dans les autres pays », affirme-t-elle. Mais si des recommandations ont été instaurées en Europe, contrairement aux États-Unis, celles-ci ne font pas l’objet d’obligations dans la loi. La neurobiologiste relativise aussi la sous-représentation des femmes dans les essais cliniques. « Il est difficile d’obtenir des chiffres précis sur la participation des femmes, car une grande partie de l’industrie du médicament est privée, ce qui rend l’accès aux chiffres compliqué. Dans tous les cas, 37 % de femmes, cela reste suffisant pour obtenir des résultats solides sur les effets des médicaments. » À noter aussi qu’il existe trois phases de tests dans les essais cliniques. La première correspond à l’étude de la toxicité du produit et de sa pharmacocinétique, soit sa vitesse de propagation dans le sang, tandis que la deuxième s’intéresse à l'efficacité et la posologie optimale du médicament. Ces deux premières phases présentent un taux faible de femmes, 22 % environ en France selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). La troisième phase, qui évalue la balance bénéfice/risque à grande échelle, s’avère en revanche paritaire.

Si les organismes évitent de recruter des femmes en âge de procréer dans les essais cliniques, c’est d’abord par peur d’effets secondaires sur un éventuel fœtus, mais aussi pour éviter de devoir prendre en compte les effets de leur cycle hormonal. « Il est très difficile de mener des études en intégrant ces variations hormonales, car chaque femme est différente sur ces questions là. Or les tests nécessitent des échantillons homogènes, les participantes devant présenter les mêmes concentrations d'hormones aux différentes phases du cycle, explique Catherine Vidal. Dans ce cas là, il faudrait aussi comparer les résultats, que ce soit pour les femmes ou pour les hommes, en fonction de l’âge, du statut socio-économique, de la consommation d’alcool… Les facteurs sont très nombreux à contrôler. »

De plus, selon la chercheuse, les femmes sont plus difficiles à mobiliser. Durant des études au long cours, une partie d’entre elles se retirent lorsqu’elles souhaitent tomber enceintes, par exemple, ou parce qu’elles ont trop de charges à assumer. Afin d’aider les chercheurs à ajouter des données différenciées en fonction du sexe des participants, deux scientifiques ont publié en 2017 dans Gender and the Genome un article décrivant comment analyser le sexe comme variable. Ils conseillent ainsi de considérer l’influence du sexe, dès la conception de l’étude et l’élaboration des questions de recherche et, si ces analyses ne peuvent être réalisées, ils recommandent de l’indiquer dans leur publication. 

Mais même si les femmes sont mieux prises en compte par les essais cliniques, cela n’est pas suffisant pour assurer une équité entre hommes et femmes dans la prise en charge médicale, selon Catherine Vidal. « Les représentations culturelles liées au genre jouent un rôle important dans les inégalités de santé, en plus des différences biologiques, estime-t-elle. Les femmes sont souvent moins bien soignées à cause d’un renoncement au soin du fait d’une précarité économique qui les touche plus que les hommes. » Selon la chercheuse, les médecins ne sont pas non plus assez formés contre les idées reçues sur les maladies des femmes, notamment au sujet des maladies vasculaires. « Dans une étude réalisée sur les sujets se présentant aux urgences pour suspicion de syndrome coronarien aigu, le fait d’être une femme de moins de 55 ans était un facteur prédictif de non hospitalisation avec un taux augmenté de mortalité. 34 % des femmes contre 27 % des hommes avaient un infarctus du myocarde non diagnostiqué », note ainsi la Fédération française de cardiologie sur son site. Mais le problème vaut aussi pour les hommes : alors qu’à 80 ans la déminéralisation du squelette est de -45 % chez les hommes (pour -55 % chez les de femmes), ils ne sont quasiment jamais traités contre l'ostéoporose.

 

 

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