Eau potable : des concentrations élevées en substances nocives éternelles inquiètent

Des tests réalisés par un organisme de surveillance environnementale montrent que l'eau de plusieurs dizaines de villes américaines présenterait des traces de PFAS, une catégorie de produits chimiques nocifs.

De Sarah Gibbens
Publication 13 févr. 2020, 15:44 CET
Cette usine de Cottage Grove, dans le Minnesota, utilise différents types de PFAS depuis les années ...
Cette usine de Cottage Grove, dans le Minnesota, utilise différents types de PFAS depuis les années 1950 pour produire des emballages résistants à l'eau et antitaches.
PHOTOGRAPHIE DE Daniel Acker, Bloomberg/Getty Images

Peut-être n'êtes-vous pas familier avec le terme PFAS, petit nom des substances perfluoroalkylées, mais une chose est sûre, vous entrez régulièrement en contact avec elles, probablement plusieurs fois par jour. Il se pourrait même que vous en consommiez. (À lire aussi : Les PFAS, ces substances nocives omniprésentes dans nos emballages alimentaires.)

En deux mots, les PFAS sont partout. Cette catégorie qui ne recense pas moins de 4 000 substances chimiques différentes se retrouve dans toute sorte de produits, des articles ménagers aux emballages de fast-food. Même notre sang en contiendrait. Une nouvelle étude publiée cette semaine par l'organisme à but non lucratif Environmental Working Group (EWG) montre que ces substances seraient également présentes dans l'eau du robinet.

Une réalité dont commencent à prendre note le grand public et les décideurs politiques.

Au mois de décembre, une loi liée aux dépenses militaires intégrait de nouvelles réglementations sur les PFAS, bien que les défenseurs de l'environnement aient jugé ces mesures trop modérées pour avoir un réel effet sur la contamination. Début janvier, la Chambre des représentants des États-Unis proposait une résolution (H.R. 535) qui sera votée au Sénat plus tard cette année. Enfin, dans quelques semaines le film Dark Waters débarquera dans les salles noires françaises ; ce film s'inspire d'un article paru dans le New York Times en 2016 sur la dénonciation des pratiques de l'entreprise DuPont, l'un des plus gros pollueurs aux PFAS, par l'avocat Robert Bilott.

« Si nous comparons ce que nous savons aujourd'hui sur ces substances à ce que nous savons sur le plomb, alors je peux dire que le plomb est plus dangereux. Mais si nous comparons nos connaissances actuelles sur ces substances à celles sur le plomb d'il y a 50 ans, alors il est difficile de dire lequel l'emporte, » déclare Cindy Hu, scientifique des données à Harvard non impliquée dans l'étude qui avait découvert en 2016 qu'au moins six millions d'Américains buvaient de l'eau dont la teneur en PFAS excédait les recommandations de l'Agence américaine de protection de l'environnement (Environmental Protection Agency, EPA).

 

ÉTAT DES LIEUX

Les PFAS sont utilisés dans les produits commerciaux depuis les années 1940. Ils sont le fruit d'une liaison carbone-fluor, l'une des plus solides de la chimie organique. C'est à cette liaison que les PFAS doivent leur propriété de résistance à l'humidité, à la chaleur et aux taches. Les PFAS les plus répandus comme l'acide perfluorooctanesulfonique (PFOS) et l'acide perfluorooctanoïque (PFOA) ont une longue demi-vie, ce qui leur vaut le surnom de « substances chimiques éternelles. »

Après avoir testé 44 points d'eau potable différents dans 31 états, l'EWG a découvert que 43 d'entre eux dépassaient la limite jugée saine d'après leurs propres normes.

« Je pense que c'est l'une des plus grandes menaces de la consommation d'eau potable dont le public n'a pas totalement conscience et elle existe depuis des décennies, » affirme David Andrews, scientifique principal de l'EWG non impliqué dans le rapport.

Nous entrons en contact avec les PFAS à travers les produits que nous achetons comme le mobilier ou les vêtements, mais selon l'EPA, la principale cause de contamination de l'eau potable est la présence à proximité du lieu de vie d'un établissement manipulant les PFAS, comme les usines de fabrication ou les centres de traitement des eaux usées. Les filtres à eau domestiques les plus répandus ne sont pas capables de supprimer les PFAS mais il existe sur le marché des dispositifs garantissant la filtration des PFAS, ils sont cependant plus imposants et moins accessibles.

Parmi les zones testées par EWG, seuls le comté de Brunswick en Caroline du Nord et les Quad Cities en Iowa présentaient une teneur en PFOS et PFOA supérieure au seuil recommandé par l'EPA. L'EPA a émis des avis sanitaires (Health Advisories, HA) pour ces deux substances, d'après lesquels elles ne devraient pas dépasser les 70 parties par billion (ppt) dans les réserves d'eau potable. Le fonctionnement de ces avis sanitaires se distingue de la liste des produits chimiques officiellement réglementés dressée par l'EPA. Ils sont utilisés par l'agence pour reconnaître qu'une substance chimique ne devrait pas se trouver dans l'eau potable. Cependant, les avis sanitaires n'ont aucun pouvoir d'application.

De son côté, la limite recommandée par l'EWG est nettement inférieure et affirme que tout échantillon excédant 1 ppt peut se révéler  dangereux. Cette limite se base sur une poignée d'études relatives aux effets des PFAS sur les rongeurs et les humains.

Hu manifeste notamment son désaccord avec la façon dont l'EWG traite ses échantillons. Leurs résultats concernent l'ensemble des produits chimiques tombant dans la catégorie des PFAS plutôt que des substances chimiques individuelles comme les PFOA et les PFOS. Selon Hu, la communauté scientifique se demande encore si les PFAS devraient être réglementés de façon individuelle ou en tant que classe entière.

 

UN RISQUE CIBLÉ ?

Après avoir perdu plus de cent têtes de bétail, Wilbur Earl Tennant, un agriculteur de Parkersburg en Virginie-Occidentale, avait suspecté l'usine voisine de fabrication DuPont d'avoir empoisonné le sol et l'eau. La poursuite judiciaire lancée contre cette usine et réglée en 2017 avait révélé que la société DuPont déversait dans une décharge adjacente à l'élevage de Tennant des PFOA, le type de PFAS utilisé pour les ustensiles de cuisine antiadhésifs et les revêtements imperméables.

Cette affaire avait déclenché la rédaction d'un rapport de 852 pages émis par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis en 2018 qui montrait que l'EPA surestimait la dose de PFAS que les consommateurs pouvaient ingérer sans qu'il y ait de répercussions sur leur santé. L'étude établissait un lien entre 14 types de PFAS et des problèmes de santé comme le cancer, les malformations congénitales, les maladies thyroïdiennes et les lésions hépatiques. D'autres études ont lié la consommation de PFAS à un taux élevé de cholestérol ou à des troubles nerveux.

Même si le risque encourru est plus important pour les personnes installées à proximité des fabricants utilisant des PFAS, les produits intégrant divers types de PFAS sont si répandus que pratiquement tout le monde en possède dans son organisme. On les retrouve par exemple dans les produits d'entretien, les poêles antiadhésives, les revêtements imperméables, les tapis antitaches et les emballages alimentaires. Les tests réguliers réalisés par la U.S. Agency for Toxic Substances and Disease Registry montrent que les PFAS sont présents dans la quasi-totalité des échantillons sanguins prélevés.

Depuis le début de ces prélèvements en 1999, les teneurs en PFOS et PFOA ont diminué. Cela est probablement dû au fait que ces produits ne sont plus fabriqués aux États-Unis depuis le début des années 2000, même s'ils sont toujours présents dans des produits importés comme les textiles, les tapis et les plastiques. Des PFAS de remplacement aux PFOS et PFOA ont également été liés à des complications de santé. Ainsi, dans un rapport de toxicité concernant deux alternatives populaires, l'EPA a découvert que toutes deux pouvaient mener à des lésions rénales, à des atteintes du système immunitaire et à des troubles de la reproduction.

Invités à formuler leurs observations sur ce récent rapport de l'EWG, un représentant de l'EPA a mis en avant le PFAS Action Plan de l'agence qui, selon eux, « engage l'EPA à prendre d'importantes mesures qui amélioreront la façon dont l'agence recherche, surveille, détecte et traite les PFAS. »

 

QUELLES SOLUTIONS ?

À propos de la prévalence des PFAS mise en évidence dans leur étude, Andrew déclare : « C'est une indication claire du dysfonctionnement de l'EPA et de leur incapacité à établir des normes pour une eau potable saine. »

Les substances chimiques contenues dans l'eau potable sont réglementées par le Safe Drinking Water Act entré en vigueur en 1974. Aucun produit chimique nouveau n'a été ajouté à la liste depuis 1996 en raison d'un amendement qui donnait à l'EPA, et non au Congrès, l'autorité en matière d'ajout de substances chimiques nouvelles à son registre réglementaire. Suite à cet amendement, il est par ailleurs devenu plus difficile de prouver qu'une substance chimique constituait une menace irréfutable pour la santé humaine.

En décembre, l'agence soumettait les PFOS et PFOA pour une évaluation interne et leur avenir réglementaire est à ce jour encore sujet à débat.

Afin de pallier l'inaction fédérale, de nombreux états ont établi leurs propres seuils relatifs aux PFAS et certaines entreprises se sont engagées à supprimer les PFAS de leurs activités.

« Les PFOS et PFOA figurent sur le radar de l'EPA depuis un certain temps déjà. Nous disposons de preuves suffisantes pour établir une norme sur l'eau potable, cela montre bien à quel point il est difficile pour eux d'imposer des lignes directrices en matière de qualité de l'eau potable ou d'éliminer les produits chimiques dangereux pour notre santé, » déclare Laurel Schaider, chargée de recherche au Silent Spring Institute.

Quant à savoir si la loi sur les PFAS proposée par la Chambre des représentants obtiendra suffisamment de votes au Sénat pour être adoptée, Schaider reste pessimiste. Elle espère toutefois que les états continueront de fixer leurs propres lignes directrices.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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