Des rêves étranges en période de confinement ? Vous n’êtes pas seul(e)

Selon les chercheurs, les rêveurs seraient à court d’inspiration parce que leur cerveau n’est plus stimulé de la même manière.

De Rebecca Renner
Publication 16 avr. 2020, 17:16 CEST
Deirdre Barrett, professeur de psychologie à l’université Harvard, est spécialisée dans l’étude des rêves. La photo ...

Deirdre Barrett, professeur de psychologie à l’université Harvard, est spécialisée dans l’étude des rêves. La photo illustre un rêve qu’elle a fait en lien avec le COVID-19.

PHOTOGRAPHIE DE ARTWORK BY DEIRDRE BARRETT

Ronald Reagan est à bord d’une élégante voiture noire. Il s’arrête le long du trottoir, baisse sa vitre teintée et fait signe à Lance Weller, auteur du roman Wilderness, de monter. L'ancien président américain accompagne Weller dans une librairie. Il y a des bandes dessinées partout. Tous ces livres que Weller a longtemps voulu lire sont bien là mais, au moment de payer, Reagan lui dérobe son porte-monnaie et s’enfuit en courant.

Un rêve, bien entendu. Weller, et tant d’autres à travers le monde, sont en proie à un phénomène nouveau : les songes liés à la pandémie du coronavirus. Plus de 600 personnes ont d’ailleurs fait l’objet d’une même étude.

Depuis longtemps, la science donne à penser qu’il existe un lien étroit entre nos rêves et notre bien-être quotidien. Les songes étranges, chargés d’un symbolisme bien marqué, permettent à certains rêveurs de surmonter des souvenirs intenses, ou des facteurs de stress dans la vie de tous les jours, en trouvant refuge dans leur subconscient. Les cauchemars, en revanche, peuvent être les signes précurseurs d’une anxiété dont nous n’avons peut-être pas conscience.

Avec la montée en flèche de la pandémie actuelle, des millions de personnes se retrouvent confinées chez elles. Selon les spécialistes en interprétation des rêves, l’inspiration s’est en quelque sorte tarie. Normal. Notre train de vie a changé et notre cerveau n’est plus stimulé de la même manière. Notre subconscient puise donc dans le passé. Weller nourrit une passion de longue date pour les bandes dessinées qui, combinée à la lecture frénétique de publications politiques sur Twitter, a donné naissance à cette scène absurde qu’il interprète comme une représentation de craintes économiques.

Au moins cinq équipes de recherche, au sein de différents établissements à travers le monde, recueillent actuellement des données sur les rêves. Elles sont parvenues à la conclusion suivante : les rêves actuels sont empreints de stress, d’isolement et de changements dans les habitudes de sommeil, tout un tas d’émotions négatives qui font que le rêve prend un autre cours.

« En temps normal, nous avons recours au sommeil paradoxal et aux rêves pour gérer les émotions intenses, notamment celles négatives », affirme Patrick McNamara, professeur agrégé de neurologie à la Boston University School of Medicine et spécialiste en interprétation des rêves. « Il va sans dire que cette pandémie est source de stress et d’angoisse. »

 

FACTEUR DE PROXIMITÉ

Lorsque nous rêvons, le stress perturbe l’activité cérébrale. Selon McNamara, les signaux et les réactions neurobiologiques qui sont à l’origine des rêves sont les mêmes que ceux déclenchés par les drogues psychédéliques. Ces hallucinogènes activent les récepteurs sérotoninergiques 5-HT2A qui, à leur tour, inhibent une partie du cerveau connue sous le nom de cortex préfrontal. Il en résulte une « désinhibition émotionnelle », un état au cours duquel les émotions prennent d’assaut la conscience, notamment durant la phase de sommeil paradoxal, lieu privilégié de l’expression des rêves.

Bien que ce processus se produise tous les soirs, la plupart des personnes ne se souviennent pas de leurs rêves. La pandémie du coronavirus semble cependant changer la donne. L’isolement et le stress ont une incidence sur les songes et les rêveurs ont de plus en plus tendance à se souvenir du contenu. D’une part, la qualité du sommeil est altérée par l’anxiété et le manque d’activité. Les réveils fréquents, qu’on appelle également parasomnies, sont associés à une remémoration accrue des rêves. Les émotions sous-jacentes et les souvenirs de la veille peuvent également façonner le contenu des rêves, ainsi que la réaction émotionnelle au sein même du rêve.

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    Selon une étude entamée en mars dernier par le Centre de Recherches en Neurosciences de Lyon (CRNL), le processus de remémoration des rêves chez les sondés a augmenté de 35 % en raison de l’épidémie du coronavirus. Cependant, les rêves désagréables enregistrent une augmentation de 15 %. Une étude différente, menée par l’Associazione Italiana di Medicina del Sonno analyse actuellement les rêves des Italiens pendant le confinement. Plusieurs personnes sont victimes de cauchemars et de parasomnies, allant de pair avec des symptômes de stress post-traumatique.

    « Il y a quelques années, nous avons mené une étude auprès des survivants du tremblement de terre de l’Aquila en 2009. Nous avons constaté que les troubles du sommeil et les cauchemars dépendaient strictement de la proximité avec l’épicentre du séisme », dit Luigi De Gennaro, professeur de psychologie physiologique à l’université de Rome, qui prend actuellement part à l’étude sur le coronavirus en Italie. « En d’autres termes, la carte sismique et la courbe des troubles du sommeil se chevauchaient en grande partie. »

    Les résultats des recherches menées actuellement par De Gennaro, mais aussi ceux de l’étude de Lyon, révèlent que les individus les plus exposés au danger du coronavirus – personnel soignant, ceux vivant à proximité des épicentres et ceux dont les proches sont atteints – sont plus enclins à faire des rêves en lien avec la pandémie.

     

    VENIR À BOUT DE CES CAUCHEMARS

    Nombre d’études ont montré que les activités que nous exerçons créent comme des bobines de souvenirs qui défilent et influencent le contenu de nos rêves. Les émotions qui nous animent en cours de journée se reflètent elles aussi dans nos rêves. En étant confiné(e) seul(e) par exemple, les souvenirs de la vie quotidienne s’amoindrissent, ce qui peut limiter le contenu des rêves ou pousser le subconscient à puiser dans un passé plus lointain.

    Cela peut sembler évident mais des chercheurs finlandais ont soutenu – preuves scientifiques à l’appui –, que la notion de tranquillité d’esprit a un effet positif sur le contenu du songe. Celui-ci procure alors un sentiment de bien-être au rêveur. Par contre, les données montrent que l’anxiété a une incidence négative qui se traduit par des rêves effrayants ou pénibles.

    Deirdre Barrett, professeur de psychologie à l’université Harvard et auteure du livre The Committee of Sleep, a recueilli les rêves de personnes ayant survécu à des événements traumatisants comme les attentats du 11 septembre 2001. En analysant les données obtenues, Barrett a cerné deux tendances : les rêves qui font directement allusion à l’événement ou reproduisent la scène traumatisante, et ceux plutôt fantastiques avec des éléments symboliques pour représenter le traumatisme.

    Dans le dernier échantillon de rêves rassemblés par Barrett depuis mars grâce à ce sondage, certains répondants disent avoir rêvé de contracter le coronavirus ou d’en mourir. D’autres ont remplacé la peur d’être infectés par des représentations métaphoriques : des insectes, des zombies, des catastrophes naturelles, des silhouettes floues, des monstres ou encore des tueurs de masse.

    « À l’exception des membres du personnel soignant, les rêves ne contiennent généralement pas d’images percutantes de patients intubés, en détresse respiratoire », souligne Barrett. « Le virus est invisible. Je crois que c’est pour cette raison qu’il revêt des formes différentes dans les rêves. »

    Des rêves très divers, certes, mais qui ont en commun une espèce de « bizarrerie ». « Le cerveau endormi recourt peut-être à ce mécanisme pour réguler les émotions », indique Perrine Ruby, chercheuse au CRNL.

    En ce qui concerne les cauchemars liés au coronavirus, tout porte à croire que les « techniques de maîtrise des rêves » peuvent atténuer les tourments.

    Barrett aide les patients à « écrire le scénario » de leurs propres rêves. Souvent, elle leur demande ce qu’ils changeraient dans leurs cauchemars. Le patient donne alors une nouvelle dimension à son rêve. Il en note le déroulement par écrit et le répète avant de se coucher. Les adaptations du rêve vont des solutions très ordinaires – lutter contre les attaquants par exemple – à des scénarios plus oniriques comme les réduire à la taille d’une fourmi.

    Selon Ruby, ceux qui cherchent à avoir un semblant de contrôle sur les mauvais rêves pourraient se concentrer sur cet aspect « bizarre ». « Modifier le contexte – lois de la physique entre autres – permet de changer de perspective, de proposer un autre angle et de repenser le rêve pour apaiser les tensions. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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