Pour lever les mesures de confinement, ces tests sérologiques seront indispensables

Les estimations actuelles du nombre de cas asymptomatiques sont probablement erronées. Ces tests sérologiques pourraient permettre de mieux évaluer l'avancée de la maladie et de lever les mesures de confinement sans crainte d'une nouvelle vague épidémique

De Nadia Drake
Publication 17 avr. 2020, 17:30 CEST
Après avoir enfilé combinaison, masque, gants et lunettes de protection, des soignants volontaires réalisent des prises ...

Après avoir enfilé combinaison, masque, gants et lunettes de protection, des soignants volontaires réalisent des prises de sang sur des patients présentant des symptômes pour un test du COVID-19 dans une tente installée à côté d'un cabinet médical, le 27 mars 2020 à Berlin, en Allemagne. L'Allemagne a pour ambition d'augmenter considérablement sa capacité à diagnostiquer le coronavirus en passant à 200 000 tests par jour d'ici la fin du mois afin de permettre un retour au travail et ainsi relancer son économie fortement touchée par la crise.

PHOTOGRAPHIE DE Sean Gallup, Getty Images

Alors que le coronavirus poursuit sa marche sur le monde, il apparaît clair qu'un nombre considérable de cas ne présentent qu'une forme légère de la maladie, parfois sans aucun symptôme. Les personnes touchées par ces infections bénignes peuvent tout de même être porteuses du virus et transmettre la maladie, ce qui génère une certaine confusion sur le nombre réel de cas à travers le monde et les méthodes à utiliser pour endiguer la pandémie.

Les premières estimations du nombre de cas asymptomatiques sont incohérentes. Dimanche dernier, le directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases des États-Unis, Anthony Fauci, suggérait que ce nombre pouvait atteindre les 50 %, soit le double de l'estimation précédente émise par les Centers for Disease Control and Prevention. D'autres études ont évalué cette proportion à 18 % à bord du bateau de croisière Diamond Princess et à 42 % chez les Japonais évacués de Wuhan, en Chine. De leur côté, ce mois-ci les autorités chinoises ont commencé à s'intéresser aux cas asymptomatiques et rapportent à ce jour un taux de 60 %.

Le fossé qui existe entre ces différentes estimations « montre que la population, le protocole de l'étude et la période à laquelle celle-ci est conduite entraînent de grandes différences, » déclare  Keiji Fukuda de l'université de Hong Kong qui a déjà dirigé plusieurs équipes d'intervention contre les épidémies pour l'Organisation mondiale de la santé.

Par chance, des tests permettent de détecter si une personne a contracté l'une de ces infections silencieuses. Appelés tests sérologiques, ils traquent des protéines appelées anticorps dans le sang d'un individu et peuvent révéler si celui-ci a été infecté sans le savoir, et ce, même longtemps après sa guérison.

Connaître le nombre réel de cas silencieux sera crucial pour déterminer la véritable mortalité du COVID-19 et, pour les scientifiques, la compréhension du fonctionnement des anticorps apportera une aide précieuse au développement d'un vaccin.

Plus important encore, grâce aux tests sérologiques il est possible d'identifier les personnes immunisées contre la maladie, elles pourront ainsi reprendre le travail sans être inquiétées et les chercheurs pourront évaluer avec une plus grande précision les risques d'éventuelles nouvelles vagues épidémiques.

« Nous avons dû tâtonner pour les tests génétiques du virus, » indique Nicholas Christakis, sociologue et médecin de l'université Yale. « Mais en ce qui concerne l'immunité, c'est inutile. »

 

LES TESTS ELISA

Les tests sérologiques sont ancrés dans le paysage médical depuis plus de cinquante ans. Les tests utilisés pour les anticorps sont différents de ceux visant à diagnostiquer une personne qui présente des symptômes. Le fonctionnement de ces derniers repose sur la reconnaissance de fragments du génome du coronavirus et nécessite que le virus soit présent dans l'organisme.

Ce matériel viral disparaît une fois le germe vaincu. Cependant, notre système immunitaire produit des anticorps qui ciblent les agents pathogènes pour les détruire et ces anticorps passent parfois plusieurs années dans notre organisme pour lui offrir une immunité durable.

Un procédé couramment utilisé pour traquer les anticorps est la méthode immuno-enzymatique, ou ELISA de l'anglais Enzyme-Linked ImmunoSorbent Assay, qui est idéale pour des tests rapides et peu coûteux pouvant être effectués sur des dizaines de personnes à la fois. Cette méthode rapide a permis de percer un mystère à Singapour où deux malades non diagnostiqués présentant des symptômes bénins se sont avérés être un lien décisif entre deux microépidémies de coronavirus, transmettant sans le savoir la maladie d'une église à l'autre pour finalement infecter plus d'une vingtaine de personnes.

« Il suffit d'une demi-journée pour un test ELISA, » indique Danielle Anderson, virologue au sein de la Duke-NUS Medical School de Singapour qui a participé au développement du test sérologique utilisé pour lier les foyers de contagion des églises. « Il est rapide, tout aussi fiable et ne nécessite pas de confinement — pas de manipulation du virus ou autre. »

Pour réaliser un test ELISA, les puits d'une plaque de microtitration sont enduits des protéines du coronavirus puis recouverts par les échantillons sanguins du patient. Si cet échantillon contient les anticorps recherchés, ces derniers vont s'accrocher aux protéines du coronavirus et induire un changement de couleur par réaction chimique.

« On le voit à l'œil nu, » témoigne Fatima Amanat, étudiante en second cycle à l'Icahn School of Medicine at Mount Sinai de New York qui a développé un test immunologique pour le SARS-CoV-2 début mars. L'un des défis posés par le développement de ce test était d'obtenir du sang de malades du COVID-19 luttant contre la maladie depuis au moins dix jours. Ce détail est essentiel pour garantir que les tests identifiaient les bonnes protéines car elles mettent du temps à atteindre des niveaux détectables.

Le corps est en effet incapable de produire des anticorps du jour au lendemain. Par conséquent, les tests sérologiques sont plus efficaces une fois l'infection arrivée à maturité, explique Elitza Theel, directrice de l'Infectious Diseases Serology Laboratory de la Mayo Clinic. Si la recherche d'anticorps est menée à un stade trop précoce dans l'évolution de la maladie (avant même leur fabrication par le système immunitaire), le test peut aboutir à un faux négatif. Récemment, les recherches menées sur des patients COVID positifs en Chine ont montré qu'il fallait entre 11 et 14 jours pour que les anticorps puissent être détectés dans le sang.

« La fiabilité du résultat repose entièrement sur le facteur temps, » prévient Theel.

De nombreux laboratoires développent actuellement des tests sérologiques et la Food and Drug Administration des États-Unis a récemment émis une série de réglementations visant à contrôler ces initiatives. Outre-Atlantique, la première version commerciale a été homologuée le 2 avril et l'agence tient à jour une liste des laboratoires universitaires et privés qui ont fait part de leur volonté d'en fabriquer également.

 

UN SANG PRÉCIEUX

Il est primordial de disposer de suffisamment de tests pour suivre la transmission cachée du coronavirus à travers un pays, c'est l'une des premières étapes pour mettre fin aux épidémies et éviter les futures réinfections. D'après les épidémiologistes, il suffirait de tester une petite partie de la population prise au hasard, disons 1 %, pour évaluer l'ampleur de la pandémie dans un pays comme les États-Unis.

« Plus nous connaissons précisément le pourcentage d'individus infectés, plus nos recommandations seront concises, » déclare Samuel Scarpino, directeur de l'Emergent Epidemics Lab de l'université Northeastern.

Des initiatives visant à évaluer l'étendue des infections ont déjà été lancées. Les autorités italiennes ont testé les 3 000 résidents de Vò, une ville placée en quarantaine, et ont découvert que la moitié des infections étaient asymptomatiques. À Telluride, dans le Colorado, la société de biotechnologie United Biomedical a fourni des tests sérologiques pour l'ensemble des 8 000 habitants.

L'Islande, les Pays-Bas, Singapour, l'Allemagne et le Royaume-Uni travaillent à la mise en place de dépistages à grande échelle. Le 10 avril, le National Institute of Allergy and Infectious Diseases des États-Unis s'est lancé dans le recrutement de 10 000 volontaires pour participer à un essai sérologique randomisé.

Comptabiliser les cas non diagnostiqués, asymptomatiques ou modérés de COVID-19 au sein d'une population peut aider à identifier les personnes immunisées pouvant reprendre leur travail. Particulièrement utile pour les personnels soignants et les services de secours, cette information est également très attendue par les entreprises contraintes de suspendre leurs activités en raison des mesures de confinement.

« J'ai reçu des dizaines d'e-mails et d'appels de personnes me disant "J'ai eu une maladie respiratoire plutôt sérieuse en janvier, pourriez-vous me tester pour vérifier si ce n'était pas le SARS-CoV-2 ?" » témoigne Robert Garry, virologue de l'université Tulane où il développe des tests sérologiques. « Il faut prélever le sang de ces patients et le tester. »

Par ailleurs, les tests portant sur l'immunité permettront de déterminer la résistance d'une population aux vagues secondaires de l'infection. Si une grande partie de cette population est immunisée, alors il est peu probable que la maladie revienne et reparte d'une manière aussi forte. Toutefois, si ce pourcentage d'immunisation est bas, alors une levée précoce des restrictions visant la mobilité et les contacts ne fera qu'augmenter les risques d'une nouvelle vague de l'épidémie.

« Les conséquences économiques d'une erreur dans l'évaluation du pourcentage de personnes infectées sont suffisamment importantes pour justifier les investissements à l'échelle nationale dans ce domaine de recherche, » déclare Scarpino.

Les tests sérologiques permettront également d'évaluer le taux de mortalité de la maladie à coronavirus. D'après Martin Hibberd, épidémiologiste au sein de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, le taux actuel est probablement surestimé. Puisque la majorité des cas ont été diagnostiqués lorsque les patients sollicitaient une assistance médicale, les scientifiques ont en fait calculé le taux de mortalité en hôpital, poursuit-il. L'ajout au bilan des cas modérés devrait diminuer la proportion des décès sur le nombre total de cas.

Enfin, avec le déploiement des tests sérologiques, les scientifiques pourront recueillir une mine d'informations sur la façon dont le corps humain organise sa défense immunitaire contre le SARS-CoV-2. Pour l'heure, la durée et la vigueur de cette réaction restent encore troubles, même si les comparaisons avec l'épidémie de SRAS et les résultats d'une étude COVID-19 menée sur des macaques rhésus suggèrent que cette immunité durerait plus d'une année.

« L'émergence de l'immunité sifflera la fin de partie pour cette pandémie, » déclare Christakis de l'université Yale. « Le virus va poursuivre son infection jusqu'à avoir infecté toutes les personnes possibles. La seule façon de mettre fin à cette épidémie est le développement d'une immunité naturelle ou par vaccination. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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