Talk-Shows : l'humour au service de la science

Pour susciter l'intérêt du public pour la science et aborder des problématiques scientifiques majeures comme le changement climatique et la vaccination, l'humour satirique serait plus efficace que la rigueur.

De Paul R. Brewer, Jessica McKnight
Publication 14 mai 2020, 18:50 CEST

« Dans sa meilleure forme, la satire des talk-shows encourage non seulement les spectateurs à suivre la science, mais aussi à la regarder d'un œil critique, » déclarent deux chercheurs qui étudient les effets de l'humour satirique sur l'opinion des téléspectateurs.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration de JAVIER JAÉN

« Le mouvement antivax s'est propagé plus rapidement que la légionellose dans le manoir Playboy. » Les propos auraient pu être ceux de Stephen Colbert, John Oliver, Jimmy Kimmel ou tout autre présentateur de talk-show à la langue acérée mais il s'agissait cette fois d'une parenthèse humoristique de Samantha Bee lors de son émission Full Frontal.

Ceux qui affirment que ces vaccins sont dangereux s'appuient sur des sciences obscures, a-t-elle ajouté ; les vaccins ont été jugés sûrs par l'Organisation mondiale de la santé et les autorités de santé nationales. « Qui allez-vous croire ? » a-t-elle demandé. « Les autorités de santé publique ou 800 mèmes sur la page Facebook de votre cousin ? »

Lorsqu'il s'attaque à la science, l'humour peut avoir des conséquences très sérieuses, c'est ce que montrent plusieurs études menées par des spécialistes de la communication, y compris la nôtre.

Depuis 2013, Paul a mené trois études sur la façon dont la satire influence l'opinion pour des sujets comme le changement climatique, les OGM et la vaccination.

Nous avons travaillé ensemble sur deux de ces études et, avec d'autres collègues, Jessica a récemment tenté de savoir si les émissions de deuxième ou troisième partie de soirée pouvaient aider à combattre les fausses idées relatives aux vaccins. Nos recherches et celles de nos confrères ont montré que pour susciter l'intérêt du public pour la science et l'aider à se faire un avis sur des problématiques scientifiques majeures, l'humour satirique était plus efficace que la rigueur.

Nous avions terminé nos recherches avant l'arrivée du coronavirus aux États-Unis, mais bon nombre de nos résultats pourraient s'appliquer à l'utilisation de la satire pour aborder des questions de santé publique pendant la pandémie. D'ailleurs, parmi les comédiens que nous évoquons, certains n'ont pas manqué d'intégrer un flux constant de satire liée au coronavirus dans leurs programmes, notamment John Oliver, Trevor Noah et Samantha Bee.

Bon nombre de citoyens américains ne prêtent pas une grande attention à la science. Même ceux qui regardent régulièrement le journal télévisé ou les chaînes d'informations en continu ne consomment que des miettes d'information scientifique dans leur régime médiatique, car les principaux médias ne consacrent que très peu de temps d'antenne au sujet. Qui plus est, certains Américains perçoivent la science comme intimidante et difficile à comprendre, ce qui les pousse à éviter purement et simplement le sujet.

Pourtant, avec l'humour satirique il est possible de toucher des spectateurs qui ne penseraient jamais à regarder NOVA ou à lire, disons… National Geographic par exemple. Chaque soir, des millions de personnes suivent les débats des talk-shows et ces mêmes émissions récoltent des millions de vue sur les sites de vidéo en ligne comme Youtube. En 2016, lorsque Paul, sa collègue Barbara Ley et le Center for Political Communication de l'université du Delaware ont réalisé un sondage sur un échantillon représentatif des Américains au niveau national, près d'un sondé sur 10 déclarait tirer ses connaissances scientifiques des late-night shows télévisés comme The Late Show et Last Week Tonight. Cette part était encore plus importante chez les jeunes.

Les late-night shows rient de la science depuis des décennies. Même avant qu'il ne devienne célèbre avec la diffusion de la série Cosmos dans les années 1980, Carl Sagan était l'invité du comédien Johnny Carson qui parodiait l'astronome en exagérant la prononciation de « billion » (milliard), dans la phrase « 100 billion galaxies » (100 milliards de galaxies). Parmi les autres scientifiques conviés à ce type d'émission pour exprimer leur point de vue figurent Neil deGrasse Tyson, Michio Kaku et Jane Goodall.

Il n'est pas difficile de comprendre en quoi la relation entre satire et science peut être symbiotique. Certes, les animateurs des talk-shows se moquent parfois des scientifiques en les présentant comme des hurluberlus passionnés par d'obscurs projets, mais la plupart du temps, ils transmettent une image positive de la science.

Prenons Stephen Colbert, dont les plaisanteries sur la NASA ont poussé l'agence spatiale à baptiser en son honneur un tapis de course en apesanteur ; ou Jimmy Kimmel, dont les émissions incluent des démonstrations scientifiques avec citrouilles explosives et balles de ping-pong volantes. En présentant la science de manière ludique aux membres de l'audience peu familiers avec le sujet, les talk-shows pourraient servir de passerelle vers le monde scientifique. Mais si ces téléspectateurs finissent par s'intéresser à la science, leur opinion changera-t-elle pour autant ?

En 2013, notre première expérience consistait à étudier la façon dont le visionnage d'un extrait de The Daily Show ou The Colbert Report  influençait les convictions des membres de l'audience à propos du changement climatique. Les spectateurs ayant vu Jon Stewart (The Daily Show) affirmer que le réchauffement climatique était bien réel en ressortaient eux-mêmes plus convaincus de la réalité du changement climatique. La seconde émission, celle de Stephen Colbert, avait un effet similaire, bien que certains spectateurs aient mal interprété l'humour pince-sans-rire du présentateur qu'ils ont pris pour un véritable climato-sceptique.

Dans une étude de suivi menée en 2015, nous avons conclu que l'humour des talk-shows pouvait influencer la façon dont les spectateurs perçoivent la climatologie au sens large. Cette fois, nous avons testé les effets d'un extrait de Last Week Tonight dans lequel le présentateur John Oliver et son invité Bill Nye organisent un « débat statistiquement représentatif sur le changement climatique » afin d'illustrer le consensus scientifique sur la question. Dans ce « débat », Bill Nye et 96 autres scientifiques accablaient trois climato-sceptiques. À travers cet extrait, les participants à l'étude découvraient des scientifiques convaincus de l'origine humaine du changement climatique, ce qui renforçait au passage leur propre certitude de l'existence du réchauffement planétaire. L'effet était encore plus important chez les sondés les moins intéressés par la science.

D'autres études sont arrivées à des conclusions similaires. Un rapport publié par Ashley Anderson et Amy Becker montre qu'après avoir visionné une vidéo satirique produite par The Onion, des spectateurs auparavant indifférents se sentaient plus convaincus de l'existence du changement climatique et de la gravité du problème. Dans une autre étude, Chris Skurka, Jeff Niederdeppe et Robin Nabi ont prouvé qu'un extrait de l'émission  Jimmy Kimmel Live! amenait les membres de l'audience à percevoir de façon plus pressante les risques liés au changement climatique.

Les présentateurs des late-night shows ont également ridiculisé les groupes qui, par exemple, ne citent qu'une seule étude discréditée pour imputer l'autisme aux vaccins ou exigent l'enseignement du créationnisme dans les écoles malgré la montagne de preuves qui corroborent la théorie de l'évolution.

Ainsi, Jimmy Kimmel a désamorcé les craintes liées aux organismes génétiquement modifiés (jugées infondées par la plupart des scientifiques) en montrant à l'écran des acheteurs anti-OGM éprouvant des difficultés à expliquer l'acronyme. De même, dans l'épisode de Full Frontal mentionné en début d'article, une parodie de la série Riverdale mettait en scène de faux étudiants ridiculisant les déclarations des anti-vaccins : « Waouh, la vaccination a l'air tellement cool avec toi ; ce n'est peut-être pas une si bonne idée d'attraper des maladies du Moyen-Âge ».

Le sondage réalisé en 2016 par Paul Brewer et Barbara Ley a montré que les téléspectateurs des late-night shows étaient plus disposés que les non-téléspectateurs à rejoindre les scientifiques sur des sujets comme les OGM et les vaccins, même en tenant compte des nombreux autres facteurs qui façonnent l'attitude envers les sciences.

Les notes d'humour des talk-shows peuvent se révéler particulièrement efficaces dans la démystification des fausses idées scientifiques, car elles évitent la réaction de rejet déclenchée par les efforts traditionnels de communication scientifique. De plus, ces plaisanteries peuvent ouvrir la voie à l'engagement scientifique. Un sondage national réalisé par les chercheurs Lauren Feldman, Anthony Leiserowitz et Edward Maibach a montré que le visionnage de programmes satiriques allait de pair avec le regain d'intérêt pour les sujets scientifiques. En outre, les chercheurs ont conclu que l'impact des émissions satiriques était plus important chez les téléspectateurs les moins sensibles au sujet, contribuant ainsi à réduire l'écart dans l'attention portée à la science.

Bien que l'humour de ces émissions puisse entraîner un regain d'intérêt et de conscience scientifiques, il se heurte à certaines limites. La science est une notion complexe et véhiculer cette complexité en quelques minutes tout en plaisantant peut être un réel défi.

Dans sa meilleure forme, la satire des talk-shows encourage non seulement les téléspectateurs à suivre la science, mais aussi à la regarder d'un œil critique. Un épisode de Last Week Tonight a souligné ce point en plaisantant sur la façon dont les médias couvraient l'actualité scientifique. Au cours de cette émission, l'animateur, John Oliver, mettait en garde contre le principe des sciences « à la carte » en déclarant « si vous n'aimez pas une étude, ne vous inquiétez pas, une autre paraîtra bientôt. » Il a ridiculisé l'approche scientifique des médias qui simplifient à outrance et sensationnalisent les découvertes, abusent des statistiques et sélectionnent les résultats comme bon leur semble.

Il est même allé jusqu'à parodier ce type de présentations à travers sa propre marque de TED Talks : les TODD Talks, pour « Trends, Observations, and Dangerous Drivel » (Tendances, observations et dangereuses balivernes).

Aussi hilare puisse être son public, il semble également tirer certaines leçons.

 

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    Paul R. Brewer est professeur de communication à l'université du Delaware et corédacteur en chef de la revue International Journal of Public Opinion Research. Ses recherches s'intéressent à la communication scientifique et l'opinion publique. Jessica McKnight est candidate au doctorat de l'université d'État de l'Ohio. Elle axe ses recherches sur la science et les questions politiques qui ont souvent des impacts considérables sur la vie quotidienne des citoyens, comme la santé publique et la durabilité environnementale.
    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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