ChAdOx1, le vaccin anti-coronavirus en phase finale d'essai clinique

« C'est mon devoir en tant que citoyen, » estime l'un des volontaires alors que la phase 3 des essais cliniques vient de commencer au Brésil.

De Kevin Damasio
Publication 29 juil. 2020, 21:05 CEST
 

Équipés d’une combinaison, des fossoyeurs enterrent une victime du coronavirus au cimetière de Vila Formosa​, à ...

 

Équipés d’une combinaison, des fossoyeurs enterrent une victime du coronavirus au cimetière de Vila Formosa​, à São Paulo, au Brésil, le 7 juillet 2020.

PHOTOGRAPHIE DE Victor Moriyama, T​he New York Times, via Redux
Note de la rédaction : Cet article a initialement paru sur le site National Geographic Brésil en portugais. Retrouvez-le en intégralité à cette adresse.

Andréa Barbosa est heureuse, elle vient de recevoir l'injection. Cette ophtalmologue âgée de 46 ans est l'une des 5 000 participants volontaires à l'essai clinique brésilien du candidat-vaccin ChAdOx1, fruit de la collaboration entre l'université britannique d'Oxford et le groupe pharmaceutique AstraZeneca.

Au mois de mai, la Scientifique en chef de l'Organisation mondiale de la santé, Soumya Swaminathan, qualifiait ChAdOx1 de candidat-vaccin le plus avancé.

Les phases 1 et 2 de l'essai clinique ont été menées de front au mois d'avril dans le sud de l'Angleterre, où la sécurité et l'immunogénicité du vaccin ont été testées chez plus d'un millier de volontaires en bonne santé âgés de 18 à 55 ans. Le vaccin en est aujourd'hui à sa troisième et dernière phase de développement : le test sur des volontaires au Brésil, au sein du Reference Center for Special Immunobiologicals de l'université fédérale de São Paulo ainsi qu'à deux autres emplacements supervisés par le D'Or Institute for Research and Education.

Cette boîte contient des doses de ChAdOx1, le candidat-vaccin de l'université d'Oxford, photographié au D'Or Institute for Research and Education de Rio de Janeiro, au Brésil.

PHOTOGRAPHIE DE Maurício Susin, National Geographic Brésil

Le Brésil représente donc un important terrain d'essai dans la marche de ce candidat-vaccin vers l'homologation par l'Agence de Réglementation des Médicaments et des Produits de Santé du Royaume-Uni (MHRA, Medicines and Healthcare Products Regulatory Agency). Des essais cliniques de ChAdOx1 vont également être menés au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Afrique du Sud, l'objectif annoncé étant de recruter 50 000 volontaires. Les résultats préliminaires de ces essais seront collectés courant novembre et s'ils confirment l'efficacité du vaccin, l'équipe d'Oxford soumettra une première demande auprès de la MHRA avant la fin de l'année.

Aux États-Unis, un autre candidat-vaccin mis au point par la société de biotechnologies Moderna Therapeutics entre cette semaine dans la phase 3 de son essai clinique. Le recrutement totalisera 30 000 volontaires répartis sur 89 sites à travers le pays afin de tester l'efficacité du vaccin à ARNm qui deviendrait le premier du genre s'il venait à être homologué par les National Institutes of Health (NIH) des États-Unis.

La participation à un essai clinique de vaccin est un processus exigeant et chronophage. Les volontaires doivent être sélectionnés scrupuleusement et suivis pendant plusieurs mois, sans oublier les effets secondaires potentiellement néfastes auxquels ils s'exposent. Malgré tout, le jeu en vaut la chandelle, Barbosa en est convaincue. « C'est mon devoir en tant que citoyenne. C'est une cause humanitaire. Sans vaccin, nous ne savons pas quand cette situation prendra fin. »

Barbosa dirige depuis 2007 le service d'ophtalmologie du Rede D'Or São Luiz, un réseau hospitalier réparti sur l'ensemble du territoire brésilien. Dans sa clinique, le nombre quotidien de patients est passé d'une centaine au mois de mars à une dizaine environ depuis le mois de juin, principalement des personnes ayant besoin d'un traitement continu pour des maladies graves telles que le glaucome ou la rétinopathie diabétique.

Lorsque la crise sanitaire a éclaté au Brésil, Barbosa a souhaité à tout prix rejoindre la lutte contre le virus et a demandé au conseil d'administration du Rede D'Or São Luiz la permission de travailler en première ligne avec les autres professionnels de santé. Sa requête a été refusée, car elle ne disposait pas d'une expérience suffisante en médecine d'urgence. « J'étais vraiment frustrée de ne pas pouvoir soigner les patients COVID-19, » se souvient Barbosa.

C'est pourquoi elle n'a pas hésité une seconde à déposer sa candidature dès l'approbation de l'essai clinique de ChAdOx1 par l'Agence brésilienne de surveillance sanitaire (ANVISA). « Je vais enfin pouvoir apporter ma contribution, » dit-elle.

 

PREMIERS PAS DU CANDIDAT

Lors de l'émergence de l'actuelle pandémie, l'université d'Oxford travaillait déjà sur la technologie dite du vecteur viral pour mettre au point un vaccin contre un autre type de coronavirus, le MERS-CoV. Depuis sa première apparition au mois de septembre 2012 en Arabie saoudite, le MERS a été signalé dans 27 pays avec 2 494 cas confirmés et 858 décès à ce jour.

Les recherches avaient atteint un stade avancé lors des premiers signalements du nouveau coronavirus SARS-CoV-2 en décembre 2019 et les scientifiques de l'université d'Oxford ont donc utilisé leurs travaux sur le MERS comme point de départ pour un vaccin. Ils ont introduit la protéine Spike du SARS-CoV-2, celle qui lui donne sa forme de couronne à épines et lui permet d'envahir les cellules, dans un adénovirus à l'origine du rhume banal. Affaibli par manipulation génétique et incapable de se reproduire dans les cellules humaines, l'adénovirus joue le rôle de vecteur viral.

Un vaccin à vecteur viral fonctionne « comme un cheval de Troie, » illustre la Dr Sue Ann Costa Clemens, coordinatrice de l'étude au Brésil. « L'adénovirus transporte en lui une partie du SARS-CoV-2, la protéine Spike, dissimulée. C'est cette protéine qui va déclencher la réponse immunitaire lors de son injection chez l'Homme. »

Les résultats préliminaires des deux premières phases des essais cliniques ont été publiés dans la revue The Lancet le 20 juillet. Les participants ont présenté des effets secondaires mineurs, comme des migraines ou de la fatigue, sans aucun effet indésirable grave. Les chercheurs ont également constaté que le candidat-vaccin avait déclenché une réponse immunitaire forte pour les deux principaux mécanismes de défense responsables de la détection et de l'attaque des agents pathogènes, les anticorps et les lymphocytes T.

 

POURQUOI LE BRÉSIL ?

C'est à Clemens que l'on doit le choix du Brésil pour la troisième phase des essais cliniques de ChAdOx1. Originaire de Rio de Janeiro, cette médecin âgée de 52 ans vit depuis une vingtaine d'années en Italie. Professeure de pathologie infectieuse pédiatrique à l'université de Sienne et membre fondatrice du premier cours international avancé de vaccinologie (ADVAC), elle dirige également l'Institute for Global Health de l'université ainsi que son Master en vaccinologie et occupe le poste de directrice du comité scientifique de la Fondation Bill-et-Melinda-Gates.

Le 5 mai dernier, Clemens est invitée à travailler sur l'essai clinique de ChAdOx1 par Andrew Pollard, également professeur au sein du Master de vaccinologie à l'université de Sienne et coordinateur du groupe de recherche de l'université d'Oxford sur le vaccin contre le coronavirus. Sans hésiter, elle accepte l'invitation. Au cours de sa carrière, Clemens a déjà eu l'occasion de superviser des essais cliniques similaires nécessitant un recrutement massif de volontaires. En 2005, par exemple, elle a participé à une étude sur un vaccin contre les rotavirus en Amérique Latine au cours de laquelle 60 000 volontaires ont dû être recrutés sur une période de six mois.

Cette année, l'objectif premier de Clemens était de sélectionner des centres de recherche capables de mener à terme les essais cliniques. Elle s'est donc mise en quête d'un lieu pourvu de bons professionnels de la santé où un grand nombre d'individus étaient exposés au coronavirus. L'université fédérale de São Paulo au sein de laquelle elle a obtenu son doctorat et exerce encore aujourd'hui son métier de chercheur remplissait ces critères et a accepté de participer.

« À la phase 3 d'un essai, l'objectif est de prouver que le vaccin offre une protection contre la maladie, » explique Clemens. « Comment démontrer cela rapidement pour mettre le vaccin à disposition de la population dans les plus brefs délais ? »

Sous la supervision de Clemens, l'essai brésilien démarre le 28 juin dans les trois centres. Au total, 5 000 volontaires divisés en deux groupes sont vaccinés, le premier groupe reçoit le candidat-vaccin ChAdOx1 et l'autre un vaccin témoin. Cet essai est randomisé en double aveugle : les volontaires sont affectés aléatoirement à l'un des deux groupes et ni la personne vaccinée ni le chercheur ne savent quel vaccin a été administré à chaque patient avant la fin de l'essai.

Les chercheurs ont choisi pour témoin le vaccin tétravalent méningococcique A, C, W135 et Y conjugué. Le dosage est similaire à celui du ChAdOx1, ce qui signifie que les volontaires recevront les ingrédients du vaccin en quantités similaires. De plus, les chercheurs connaissent déjà ses effets secondaires, notamment des rougeurs et des douleurs au niveau du site d'injection et des symptômes grippaux modérés. Ils ont également voté contre l'utilisation d'un vaccin placebo, une substance sans effet actif, afin que les volontaires puissent bénéficier de l'étude, ce vaccin étant généralement peu distribué au Brésil en raison d'un coût important, nous explique Clemens.

 

DEVENIR UN COBAYE HUMAIN

André Barbosa, l'ophtalmologue, remplissait les critères de base pour participer à l'essai clinique du vaccin : en tant que professionnelle de la santé, elle est exposée de façon non négligeable au coronavirus dans ses activités quotidiennes, et elle a entre 18 et 55 ans.

Le 4 juillet, elle se rend à son premier rendez-vous à la clinique Idor de Botafogo. Une équipe de soignants contrôle ses signes vitaux, sa taille et son poids. Elle répond ensuite à une série de questions visant à vérifier qu'elle remplit tous les critères. Les personnes souffrant de pathologies gérables, comme l'asthme, ont été acceptées, mais celles atteintes de maladies chroniques ou immunodépressives ont vu leur candidature rejetée.

« Mon cas était un peu plus compliqué parce qu'il m'arrive d'avoir des allergies de contact, mais après s'être penchés sur la question ils m'ont annoncé que ce type d'allergie n'entrait pas dans les critères d'exclusion, » nous raconte-t-elle. Par allergie de contact elle entend réaction allergique modérée au contact de certaines substances sur sa peau.

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    Barbosa signe ensuite un formulaire de consentement éclairé à travers lequel elle accepte de ne pas participer à d'autres essais vaccinaux, de ne pas tomber enceinte au cours des douze mois suivants et de se rendre disponible pour un suivi régulier. Ce formulaire de 15 pages délivre des informations sur le déroulement de l'étude, le vaccin, le contexte épidémique et les différents risques encourus par le participant. La précision suivante y est également apportée : tant que l'efficacité du vaccin n'a pas été prouvée, les sujets sont tenus de ne pas présumer de leur protection contre la COVID-19. Les volontaires peuvent se retirer de l'étude à tout moment.

    Juste après son entretien, elle retourne auprès des infirmières pour un prélèvement nasal afin de savoir si elle est infectée par le coronavirus. Elle se soumet ensuite à un test de grossesse puis à une prise de sang en vue d'un test sérologique visant à détecter l'éventuelle présence d'anticorps contre le coronavirus, signe d'une infection antérieure. D'après les estimations des chercheurs, les tests sérologiques de 10 % des volontaires ressortent positifs, ce qui rend inéligible leur candidature.

    De retour à la clinique le 9 juillet, Barbosa apprend que l'ensemble de ses tests sont négatifs. Après une nouvelle série de questions sur son état de santé, un autre test de grossesse et une ultime prise de sang, elle reçoit finalement le vaccin.

    Pendant la demi-heure qui suit, elle reste en observation afin de vérifier qu'aucun effet secondaire immédiat ne se manifeste. Avant de quitter la clinique, le personnel lui donne un antidouleur pour la journée et lui demande de remplir un questionnaire quotidien en ligne.

    « Ils me demandent si j'ai eu des nausées ou de la fièvre. Je dois prendre ma température avec le thermomètre qu'ils m'ont fourni. Je dois consigner tous les symptômes et les éventuelles marques sur le site d'injection : rougeur, raideur ou un gonflement de la peau, ils m'ont aussi donné de quoi les mesurer, » explique Barbosa.

    Le prochain rendez-vous de Barbosa est fixé au 1er août. En attendant, elle mène une vie normale et se rend chaque jour en hôpital ou en clinique, tout en restant attentive aux potentiels symptômes et réactions qu'elle devra mentionner dans le questionnaire. « Je fais attention à tous les symptômes, mais je vais bien, je ne sens rien de différent. Je n'ai pas eu de réaction au site d'injection. Rien du tout. »

     

    VERS LE DÉPLOIEMENT

    Si un participant à l'essai développe des symptômes rappelant ceux de la COVID-19, il doit immédiatement se rendre à la clinique pour être testé. Les chercheurs évaluent de façon régulière les manifestations post-vaccinales indésirables et vérifient si les sujets ont produit ou non des anticorps.

    L'organisme commence à développer une réponse immunitaire dans les 8 à 10 jours suivant la vaccination, mais la protection totale n'est pas encore garantie pendant cette période. Les chercheurs prélèvent donc des échantillons sanguins environ 28 jours après la vaccination, un délai suffisant pour laisser au corps le temps de produire des cellules de défense identifiables.

    C'est après la « levée d'aveugle » que les chercheurs seront en mesure de déterminer quels sujets parmi ceux assignés au groupe témoin ou ceux ayant reçu le vaccin testé ont développé la maladie à coronavirus. Cette étape permet d'évaluer l'efficacité du vaccin. Les volontaires seront suivis pendant un an, mais l'équipe de scientifiques compte sur les premiers résultats de l'essai brésilien ainsi que sur les essais élargis aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs pour avancer rapidement dans la mise au point du vaccin.

    « Les résultats partiels issus de la combinaison de ces études devraient être prêts courant novembre, » indique Clemens. « L'idée est de constituer un dossier d'enregistrement à soumettre au Royaume-Uni, et si l'efficacité du vaccin est prouvée, il pourra être homologué cette année. » Le déploiement du vaccin débuterait dans la foulée au Royaume-Uni et dans d'autres pays, notamment au Brésil.

    En avril, l'université d'Oxford et AstraZeneca annonçaient leur accord pour produire un milliard de doses du vaccin. Les deux entités se sont également entendues pour le vendre à prix coûtant afin de le rendre aussi accessible que possible.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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