Malgré des siècles de controverses, la saignée est toujours pratiquée

Si vous pensiez que la saignée avait disparu au 19e siècle, cet article risque de vous surprendre…

De Erika Engelhaupt
Publication 2 déc. 2020, 16:32 CET
Illustration de la pratique de la saignée, datant d’environ 1675. WELLCOME LIBRARY.

Illustration de la pratique de la saignée, datant d’environ 1675. WELLCOME LIBRARY.

PHOTOGRAPHIE DE Wellcome Library

Dans l’ombre de la plus grande mosquée d’Inde, le sang ruisselle dans les caniveaux.

Pour les personnes n’ayant jamais assisté à une saignée des temps modernes, c’est une scène étrange qui se déroule sous leurs yeux. Dans un premier temps, des hommes enveloppent de façon irrégulière les bras et les jambes de patients avec des bandes faisant office de garrots. Cela permet de contrôler l’écoulement du sang. À l’aide de lames de rasoir, ils réalisent ensuite de petites incisions sur les mains et les pieds des malades. Un filet de sang coule dans le caniveau taché de rouge.

Les patients semblent malgré tout heureux. Ils ont payé pour ce service, me direz-vous, espérant se faire soigner de n’importe quelle maladie, de l’arthrose jusqu'au cancer.

Pourquoi font-ils cela ? Comment la pratique de la saignée a-t-elle perduré, alors que de nombreux médecins la considèrent comme du charlatanisme, au même titre que la phrénologie (interprétation des bosses de la tête) ?

L’attrait de la saignée semble résider dans sa logique simple.

Muhammad Gayas mène son activité de saignée dans le jardin de la mosquée Jama Masjid, à New Delhi. Selon lui, les douleurs et la maladie surviennent « lorsque le sang devient impur ». Il s’agit du même principe fondamental vendu au peuple par les saigneurs depuis qu’Hippocrate a recommandé cette pratique afin d’équilibrer les quatre humeurs (le sang, la bile noire, la bile jaune et la glaire) il y a plus de 2 000 ans.

La saignée est pratiquée dans le monde depuis bien plus longtemps. Elle serait apparue chez les Égyptiens il y a au moins 3 000 ans. Tout au long du 19e siècle, la plupart des médecins occidentaux en étaient de fervents adeptes et elle était encore recommandée pour le traitement de la pneumonie dans un livre médical datant de 1942. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la saignée n’a donc pas disparu après le Moyen-Âge avec l’application de sangsues (qui sont d’ailleurs toujours utilisées, principalement pour réduire les œdèmes après une opération de chirurgie plastique ou une microchirurgie vasculaire).

 

LA SAIGNÉE, UN TRAITEMENT EFFICACE ?

La pratique de la saignée peut aider des patients souffrant d’anomalies sanguines particulières. Les docteurs l’utilisent pour traiter la polyglobulie, qui correspond à une production anormalement élevée de globules rouges, ainsi que pour soigner l’hémochromatose, une maladie héréditaire qui se traduit par un taux de fer trop important dans le sang.

Je suis également tombée sur une étude préliminaire évoquant les bénéfices de cette pratique au niveau vasculaire pour certains patients diabétiques présentant un taux de fer élevé, mais il s’agit là d’un traitement loin d’être généralisé. Une autre étude parue dans la revue BMC Medicine a beaucoup fait parler d’elle en 2012. Elle révélait que le taux de cholestérol et la tension artérielle de 33 sujets s’étaient améliorés six semaines après que les patients se sont fait prélever 0,57 litre de sang, par rapport aux sujets sur lesquels aucune saignée n’avait été pratiquée. Les médecins attribuaient également ces améliorations à la réduction du taux de fer. Il convient cependant de souligner que la quantité de sang prélevée dans le cadre de l’étude était assez faible : une pinte (0,57 litre) correspond à peu près à la quantité prélevée lors d’un don du sang, qui est une excellente chose pour les personnes en bonne santé et n’a rien à voir avec la saignée.

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    En 1799, George Washington souffrit de maux de gorge accompagnés d’un gonflement de celle-ci. Les médecins pratiquèrent une saignée, prélevant près de la moitié de son sang, ce qui entraîna l’apparition de boursouflures dans sa gorge. Le lendemain, le président était mort. La vie de George Washington, Junius Brutus Stearns, 1851.

    PHOTOGRAPHIE DE Junius Brutus Stearns

    Mais cette étude n’exclut pas un effet placebo, ce qui a certainement contribué à la popularité de la saignée par le passé. En outre, d’autres études suggèrent qu’un taux de fer trop faible dans le sang est mauvais d'un point de vue cardiovasculaire. Une fois encore, l’effet bénéfique potentiel de la saignée est donc incertain.

    En tout cas, la diminution de l’approvisionnement en sang du corps peut comporter des risques : celui de perdre trop de sang (pouvant entraîner une baisse dangereuse de la tension artérielle et même un arrêt cardiaque) et celui de contracter une infection ou de souffrir d’anémie (pour les personnes déjà souffrantes). N’oublions pas non plus que, dans la plupart des cas, la saignée ne soigne pas ce qui vous fait souffrir.

    Alors non, nous n’avons pas besoin de remettre au jour la tradition du saigneur de quartier. Cet héritage est cependant toujours là, d’une certaine manière : les enseignes rouges et blanches des barbiers représentent le sang, les bandages et le bâton que les patients serraient dans leur main à l’époque où les barbiers étaient aussi des saigneurs.

     

    UNE PRATIQUE TOMBÉE EN DÉSUÉTUDE

    Il a fallu attendre les années 1800 et les grandes guerres pour que la pratique commence à reculer. Benjamin Rush, illustre médecin et signataire de la Déclaration d’indépendance des États-Unis, a suscité la fureur lorsqu’il a commencé à saigner à blanc ses patients lors de l’épidémie de fièvre jaune qui toucha Philadelphie en 1793. Rush était de toute évidence un fanatique de la saignée et un sacré numéro. Dans une biographie, le médecin Robert North le décrit comme étant : « ferme sur ses positions, ainsi que suffisant, acerbe, satirique, sans humour et polémique ».

    Benjamin Rush préconisait le prélèvement de jusqu’à 80 % du sang de ses patients. Robert North dit se rappeler qu’« une telle quantité de sang était déversée dans la rue qu’elle en était infestée de mouches et qu’il y flottait une odeur répugnante ».

    Après cet épisode, les détracteurs de la saignée devinrent plus nombreux. Pierre Louis, le père des statistiques médicales, commença à convaincre les médecins de s’appuyer sur les preuves statistiques plutôt que sur les « rétablissements » anecdotiques de patients ayant subi une saignée. Une analyse particulièrement impressionnante révéla que la saignée n’avait pas aidé les personnes souffrant de pneumonie en Europe. La pratique finit par tomber en désuétude dans les années 1850, après d’âpres disputes parmi les médecins.

    Malgré les objections du monde médical, une étude de l’histoire de la saignée décrit même l’élimination de la pratique comme un triomphe de la raison et « l’un des plus beaux exemples du progrès médical ».

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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