Vous avez du mal à évaluer les risques liés au COVID ? Vous n'êtes pas seul.e

De nombreux facteurs psychologiques influencent la réponse individuelle au danger ainsi que la propension à prendre des décisions plus ou moins risquées.

De Jillian Kramer
Publication 3 août 2021, 15:43 CEST, Mise à jour 26 nov. 2021, 15:33 CET
Human Brain

L’être humain a évolué pour juger des risques selon de nombreux facteurs psychologiques. Cette caractéristique influence la réponse de chacun face à la pandémie de COVID-19.

PHOTOGRAPHIE DE Scott Camazine, Science Source

Depuis des mois, les scientifiques insistent sur l’utilisation obligatoire des masques afin de freiner la propagation du COVID-19, d’autant plus depuis la flambée du variant Delta, plus contagieux. Toutefois, certain.e.s citoyen.ne.s épuisé.e.s par cette pandémie rejettent cette mesure de précaution.

Depuis le 17 juin, le port du masque à l’extérieur n’est plus obligatoire en France. Pourtant, en juillet, il a fait son retour dans certains départements. Il reste obligatoire dans les lieux clos, même lorsque l’on est complètement vacciné.e. En outre, l’obligation de la détention d’un pass sanitaire pour accéder à certains lieux a suscité de vives indignations dans la population française. Une situation quelque peu déroutante pour certaines personnes.

D'aucuns estiment que la vaccination et le port du masque devraient être laissés à l’appréciation de chacun.e.  

Les gens ont été amenés à évaluer les risques tout au cours de cette pandémie. Souvent, ils ont tiré des conclusions tout à fait différentes. Alors que les variants Delta et Lambda menacent la reprise de nombreuses activités sociales, la réouverture des frontières et la tenue des cours en présentiel, la population devra continuer à faire face à ces risques et à prendre des décisions sur ce qui est à faire et à éviter.

Dans ce monde criblé de menaces, parfois évidentes et parfois plus subtiles, le danger peut facilement être mal évalué, ignoré ou contesté. « Ce n’est pas simplement des personnes qui jugent les risques différemment, mais la même personne peut réagir très différemment à un danger et à un autre », explique Paul Slovic, psychologue spécialisé dans l’étude des risques et fondateur du Decision Science Research Institute en Oregon.

Savoir quelles actions seront risquées représente un véritable défi cognitif continu, assure Valerie Reyna, co-directrice du Center for Behavioral Economics and Decision Research à l’université Cornell. « C’est [une situation] incertaine, qui ne s’est pas encore produite et qui est basée sur notre propre estimation, laquelle change avec le temps en fonction de l’évolution des conditions. C’est vraiment difficile. »

 

L’INTUITION, NOTRE MEILLEURE ALLIÉE

Certain.e.s scientifiques pensent qu’il existe deux manières d’évaluer les risques et de prendre des décisions. La première, par un processus émotionnel instinctif, souvent appelé pensée intuitive. La deuxième, par une méthode plus lente et analytique. « La plupart du temps, nous répondons [avec] notre système expérientiel », explique M. Slovic. Il ajoute qu’il est possible d’utiliser les deux processus pour prendre des décisions, mais que « le cerveau humain est paresseux. Si nous estimons que nous pouvons répondre à une situation complexe facilement, avec nos sentiments, nous le ferons ».

Ce n’est pas toujours une mauvaise chose. Le mode de raisonnement analytique est plus laborieux et demande plus de temps. Il est souvent comparé à un « raisonnement mathématique et l’analyse des bénéfices/risques ». Cette façon de penser est « importante et puissante mais difficile à exécuter ». De fait, l’Homme a évolué de façon à évaluer les risques rapidement. Après tout, il serait plutôt dangereux de prendre beaucoup de temps pour savoir si vous devez fuir devant un lion en chasse ou si vous tentez de le confronter.

« Si vous avez déjà essayé de calculer la racine carrée de 285, alors vous avez une idée de ce que la délibération représente », explique Ralf Schmälzle, neuroscientifique spécialisé en communication à l’université d’État du Michigan. Ce processus « consomme énormément de ressources venant de la mémoire de travail ». L’intuition, elle, permet d’obtenir une réponse instantanément.

La plupart du temps, elle fonctionne. En faisant usage de notre intuition, « nous maîtrisons, nous survivons, nous avançons vers l’année ou les décennies suivantes », indique M. Slovic. « Dans un monde aussi complexe et dangereux, nous nous en sortons bien. » Il ajoute toutefois qu’il y a « des moments où nous échouons complètement ».

En 2013, M. Schmälzle a étudié la perception des risques face à une menace virale : la pandémie H1N1, plus communément appelée grippe A. Avec ses collègues de l’université de Constance en Allemagne, il a posé diverses questions liées aux risques à 130 personnes. Il a divisé les participant.e.s en deux groupes : le premier qui considérait la grippe A comme un risque et le deuxième pour qui ce n’était pas le cas.

Un documentaire présentant plusieurs faits sur la maladie leur a ensuite été proposé. Pendant ce temps, M. Schmälzle étudiait leur activité cérébrale en la mesurant grâce à l’imagerie par résonance magnétique. L’équipe a découvert que le cortex cingulaire antérieur, la partie du cerveau généralement associée à l’évaluation des risques, s’activait chez les patient.e.s qui estimaient déjà que cette maladie présentait un risque.

« Les gens ressentent une sorte de signal d’alarme intuitif » déclenché par les émotions, explique-t-il.

Concernant le COVID-19, « si vous ne possédez pas cet aspect intuitif face à la perception des risques, alors vous ne verrez pas le besoin de porter un masque ou de vous faire vacciner ».

 

LE BIAIS OPTIMISTE

La théorie qui stipule que l’Homme utilise ce système binaire pour analyser les risques est « excellente et appuyée par de nombreuses données », souligne Mme Reyna. Toutefois, elle précise qu’elle ne tient pas compte d’autres facteurs importants dans la prise de décision.

L’un d’entre eux est le biais cognitif. C’est un type de biais qui amène une personne à penser qu’elle est moins exposée à un certaines conséquences, explique Marie Helweg-Larsen, psychologue sociale au Dickinson College. « Nous admettons que certaines situations surviennent pour certaines personnes mais nous pensons être spéciaux. Nous pensons que nous sommes moins susceptibles de vivre des répercussions négatives. »

À titre d’exemple, les fumeur.euse.s savent que les cigarettes sont mauvaises pour leur santé. Pourtant, il leur arrive de penser que leur risque de développer un cancer des poumons est moins élevé que pour d’autres fumeur.euse.s. « Ils pensent qu’en mangeant plus de légumes, en tirant moins fort sur leur cigarette, en fumant des cigarettes moins nocives », ils ou elles éviteront les conséquences du tabagisme. « Seulement, manger davantage de légumes n’évite pas le cancer. »

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    Ce même biais optimiste a sûrement joué un rôle dans l’évaluation des risques face au COVID-19. Les personnes qui refusent de porter des masques comprennent qu’elles risquent ainsi une contamination voire une forme grave. Cependant, elles estiment également que leur risque personnel est moins élevé que celui des autres.

    « C’est facile de penser que les gens délirent », souligne Mme Helweg-Larsen, mais c’est en quelque sorte une solution de facilité. « C’est un phénomène que l’on appelle en psychologie “raisonnement motivé”. Il signifie que nous tirons les conclusions que nous souhaitons tirer parce qu’elles amènent au résultat que nous aimerions voir arriver. »

    L’optimisme peut s’avérer utile dans la mesure où de nombreuses activités qu’entreprennent les humains présentent des risques. Si nous pensions mourir dans un accident chaque fois que nous prenions notre voiture, plus personne ne conduirait. « Il serait difficile de mener notre vie quotidienne si nous étions apeuré.e.s par le moindre petit risque. »

    Les situations stimulantes, que ce soit en termes d’espoir ou de crainte, peuvent également pousser un individu à prendre ou à éviter un risque, ajoute M. Slovic. Une loterie dont la récompense atteint les 100 millions d’euros peut inciter une personne à gâcher un peu d’argent dans un ticket, alors même que les chances de gagner sont infimes. Pareillement, si un avion s’écrase et que des personnes perdent la vie dans l’accident, la peur de monter dans un avion peut s’intensifier, bien que ce moyen de transport soit statistiquement plus sûr que la voiture.

    En outre, la présence ou l’absence du sentiment de contrôle influence la capacité d’évaluation des risques. « Nous surestimons la mesure de notre contrôle des conséquences », déclare Mme Helweg-Larsen. Toujours avec l’exemple de la peur de l’avion, une personne peut surestimer le risque d’accident car ce n’est pas elle qui est aux commandes de l’appareil.

    « Ça ne veut pas dire que les gens pensent pouvoir piloter l’avion. Mais il y a un sentiment d’incertitude car ils n’ont pas le contrôle. C’est une illusion, évidemment, puisque de nombreux accidents ne sont pas dus au conducteur de la voiture dans laquelle vous vous trouvez par exemple. »

    Au cours de la pandémie, « de nombreuses personnes ont eu peur de se reposer sur la volonté des autres à faire ce qu’il faut [pour nous protéger]. Ça a été un vrai problème et c’en est toujours un. Nous voulons contrôler les répercussions et c’est pour cette raison que [la situation] nous paraît encore plus inquiétante ».

    De plus, il est possible d’être influencé.e par une expérience personnelle face à un danger et notamment par une infection au COVID-19. Une récente étude de l’université d’Alabama a démontré que les personnes ayant été infectées par le COVID-19 et ayant guéri pourraient être moins enclines à respecter les efforts collectifs, notamment le port du masque et la distanciation physique. En revanche, celles dont un proche a contracté la maladie se sont montrées plus favorables à ces mesures.

    Wanyun Shao, coauteure de l’étude et professeure assistante de géographie à l’université d’Alabama, suppose que « le fait d’entendre des “histoires d’horreur” peut susciter l’inquiétude alors que l’expérience personnelle avec le COVID peut diminuer la crainte, comme si l’angoisse était terminée ».

     

    LA LIBERTÉ DE CHOISIR

    Selon les chercheurs, il existe des moyens pour améliorer notre évaluation des risques face à la prolongation de la pandémie. Le plus important reste de continuer à suivre les données scientifiques de sources fiables. « Si vous avez déjà assuré qu’il fallait faire confiance à la science, conservez cet état d’esprit actuellement », conseille Mme Helweg-Larsen.

    Il est également important de reconnaître que les jugements basés sur notre intuition se produisent généralement en une fraction de seconde. Toutes les situations ne requièrent pas nécessairement une réaction immédiate. Au contraire, « il est sage de ne pas réagir instantanément mais de marquer une pause pour réfléchir à l’information que vous venez d’entendre », recommande M. Slovic.

    Toutefois, puisque dans la situation actuelle, c’est la fin de la pandémie qui est en jeu, certain.e.s responsables de la santé publique estiment que la société tout entière ne peut compter sur la capacité des autres à évaluer les risques et à faire les choix les plus sûrs et les plus judicieux.

    Ces dernières semaines, le pass sanitaire a fait son entrée en vigueur pour de nombreux établissements publics, notamment les salles de spectacles, les cinémas, les salles de sport, etc. Par le passé, de telles obligations se sont avérées essentielles pour mettre un terme aux pandémies. En France, alors que la variole faisait rage au 19e siècle, un vaccin a été rendu obligatoire dès 1902. Grâce à cette loi sanitaire, cette maladie a été totalement éradiquée du territoire national. En 1980, l’OMS a annoncé que la variole avait officiellement disparu.

    « Le problème avec les gens qui tentent de faire une analyse des bénéfices/risques de la vaccination, c’est qu’elle semble logique alors qu’elle n’est pas juste », explique Mme Helweg-Larson. « Pour la plupart des gens, il est largement préférable qu’ils se fassent vacciner. Les bénéfices personnels [et sociétaux] dépassent de loin les risques. »

    Selon elle, d’un point de vue psychologique, il reste tout de même préférable de laisser la liberté de choisir à la population. « Nous sommes enclin.e.s à limiter et restreindre le choix des individus lorsque leur comportement nuit aux autres. C’est pour cette raison que nous encourageons l’arrêt du tabac et que nous limitons les zones où il est autorisé de fumer, mais que nous n’interdisons pas la cigarette. »

    Dans le cas du COVID-19, il pourrait être demandé de choisir entre la vaccination ou « se plier à porter son masque et se faire tester régulièrement ».

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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