Des paléontologues identifient un fossile lié aux origines des ptérosaures

Découverte il y a plus d'un siècle, la créature préhistorique était un véritable paléo-puzzle désormais résolu à l'aide de la microtomographie aux rayons X.

De Michael Greshko
Publication 11 oct. 2022, 12:24 CEST
Paléoart Scleromochlus taylori

Dans cette reconstitution située il y a 231 millions d'années, deux Scleromochlus taylori se jaugent du regard au cœur d'un paysage luxuriant aujourd'hui devenu l'Écosse. De récentes études ont identifié Scleromochlus comme un membre des lagerpétidés, proche des reptiles volants connus sous le nom de ptérosaures.

PHOTOGRAPHIE DE Rendering by Gabriel Ugueto

Depuis 1907, le monde de la paléontologie s'interroge sur un étrange ensemble de fossiles formés il y a a 231 millions d'années dans les dunes qui recouvraient l'actuelle Écosse. Aucun os n'a été préservé par les fossiles, uniquement leurs contours gravés dans un gré granuleux. Pour étudier ces empreintes, les scientifiques devaient couler de la cire ou du plastique sur la roche pour ensuite décoller les moulages, une technique qui a mené à la découverte d'un drôle de dinosaure : un reptile de 20 cm de long doté de ce qui semblait être de longs membres postérieurs, un cou ramassé, des côtes étrangement courtes et une tête surdimensionnée.

Baptisée Scleromochlus taylori, la créature a été ballottée de part et d'autre de l'arbre phylogénétique des reptiles depuis sa découverte, au gré des efforts de générations de scientifiques essayant de déterminer son identité. Les chercheurs ont également eu bien du mal à reconstruire son mode de vie, en se demandant notamment si ce dinosaure était du genre à sauter entre les dunes comme le font l'actuelle gerboise et les autres rongeurs sautillants. Après plus d'un siècle de recherche, les paléontologues ont fini par démasquer Scleromochlus grâce aux récentes découvertes anatomiques, des découvertes qui pourraient aider la science à comprendre l'évolution des ptérosaures, ces reptiles volants qui évoluaient dans le ciel des dinosaures.

Le 5 octobre, les chercheurs ont publié dans la revue Nature des images obtenues par microtomographie à rayons X révélant des caractéristiques anatomiques inédites qui placent Scleromochlus parmi les lagerpétidés, un groupe de reptiles apparu il y a 240 millions d'années et disparu à la fin du Trias, il y a 201 millions d'années environ. « À l'époque de sa découverte,  Scleromochlus était une créature bizarre qui sortait du lot, c'était donc très difficile à comprendre, » explique l'auteur principal de l'étude Davide Foffa, paléontologue rattaché à l'université Virginia Tech aux États-Unis et à l'université de Birmingham au Royaume-Uni, qui a mené les recherches au musée national d'Écosse.

Cette reconstitution de Scleromochlus s'appuie sur des tomographies haute résolution des blocs de grès du fossile, où seules les empreintes des os de la créature ont été conservées.

PHOTOGRAPHIE DE Reconstitution de Matt Humpage, Northern Rogue Studios

À lui seul, le groupe des lagerpétidés est déjà une véritable énigme : jusqu'à il y a peu, la majorité des fossiles mis au jour ne concernait que des membres postérieurs ou des fragments de crâne. En 2020, une étude pionnière menée par Martin Ezcurra a montré que les lagerpétidés partageaient de nombreux traits anatomiques avec les ptérosaures. Cette avancée a permis aux scientifiques de combler les lacunes du registre fossile qui empêchaient de clarifier les origines évolutionnaires des ptérosaures.

Puisque les fossiles de Scleromochlus représentent des squelettes quasiment complets, « ils nous offrent pour la première fois un aperçu nettement plus détaillé de l'anatomie des lagerpétidés, » déclare Ezcurra, paléontologue au musée argentin des sciences naturelles non impliqué dans cette nouvelle étude.

 

DÉMASQUER SCLEROMOCHLUS 

L'aventure de Foffa pour lever le voile sur l'identité de Scleromochlus débute en 2018, lorsqu'il rejoint le musée national d'Écosse pour étudier un groupe de fossiles du Trias, les reptiles d'Elgin, baptisés ainsi car ils proviennent d'un gisement de fossiles voisin de la ville écossaise d'Elgin.

Ces reptiles offrent une fenêtre sur une période cruciale de l'évolution. Il y a 252 millions d'années, à la fin du Permien, la Terre a connu la pire extinction massive de son histoire : une période de réchauffement intense provoquée par la libération d'une immense quantité de gaz par des volcans de l'actuelle Sibérie. Plus de 95 % des espèces ont disparu dans cet événement, aujourd'hui connu sous le nom d'extinction permienne.

Durant la période du Trias qui a suivi, la vie a su rebondir et s'est rapidement diversifiée, ouvrant la voie aux groupes de vertébrés terrestres actuels. « La nature est passée à l'expérimentation, on peut voir qu'elle essayait de nouvelles choses, bien loin des sentiers battus, » déclare la paléontologue Natalia Jagielska, candidate au doctorat de l'université d'Édimbourg en Écosse, non impliquée dans l'étude. (À lire : Découverte du plus grand fossile de ptérosaure datant du Jurassique en Écosse)

Pour étudier ces reptiles et leurs anatomies hors du commun, Foffa et ses collègues se sont tournés vers la microtomographie à rayons X, en superposant une multitude d'images en deux dimensions pour reconstruire les contours des fossiles en trois dimensions. Après avoir scanné un reptile d'Elgin baptisé Leptopleuron, Foffa a décidé de se concentrer sur le légendaire Scleromochlus.

Comme l'avaient appris à leurs dépens les générations précédentes de scientifiques, il est difficile d'étudier un fossile absent. Pour construire ses modèles 3D, Fossa a passé plus d'un an à identifier les poches d'air dans ses tomographies des blocs de grès de Scleromochlus, tout en essayant de compenser les fissures dans la pierre. Grâce à leur travail, Foffa et ses collègues ont pu identifier des détails bien trop petits et fins pour être imprimés dans la cire.

Les côtes de la créature étaient plus longues que l'affirmaient les précédentes études ; tout comme ses membres antérieurs et sa queue. Foffa est parvenu à reconstruire en intégralité une main et un pied qui n'avaient pas été relevés auparavant. En outre, le chercheur a mis en évidence les extrémités du fémur de Scleromochlus, ce qui a permis de confirmer son appartenance au groupe les lagerpétidés.

 

COMPRENDRE LES PTÉROSAURES 

Maintenant que Scleromochlus a rejoint les rangs des lagerpétidés, le fossile pourrait aider les scientifiques à comprendre les ptérosaures, les tout premiers vertébrés à avoir maîtrisé le vol actif. À la fois étranges et merveilleux à nos yeux, ces créatures constituaient un groupe extrêmement diversifié qui comprenait certains des plus grands animaux volants de tous les temps. Il s'est toutefois avéré complexe de reconstituer l'histoire de leur évolution. (À lire : Ptérosaure : le premier vertébré à se lancer dans les airs)

Le défi provient en partie des nombreuses lacunes du registre fossile. Les os des ptérosaures étaient creux, ce qui les rendait légers pour voler, mais aussi extrêmement fragiles. Au début du Trias, à l'entrée en scène des ptérosaures, les environnements propices à la création de fossiles étaient moins répandus que durant les périodes ultérieures.

C'est pourquoi le registre fossile de l'origine des ptérosaures présente une ellipse de 30 millions d'années. Les plus anciens ptérosaures connus ont vécu il y a 220 millions d'années et maîtrisaient déjà parfaitement le vol, ce qui ne laisse que peu d'informations sur les créatures antérieures. En découvrant en 2020 que les lagerpétidés étaient un groupe parent des ptérosaures, Ezcurra a réduit ce fossé à 18 millions d'années.

Néanmoins, ce fossé reste tout de même très difficile à combler : ni Scleromochlus ni aucun autre membre des lagerpétidés ne possède un quatrième doigt allongé, une caractéristique des ptérosaures qui leur permettait de soutenir leurs ailes. « Ce n'est pas facile, mais nous ne pouvons pas arrêter les recherches, » déclare Ezcurra.

Même si aucun os de Scleromochlus n'a survécu, les empreintes de son squelette ont offert aux scientifiques le lagerpétidé le plus complet connu à ce jour. Il semble également appartenir à l'une des branches les plus anciennes de l'arbre des lagerpétidés et pourrait donc nous en dire plus sur les prédécesseurs des ptérosaures.

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    Grâce aux tomographies haute résolution, les chercheurs ont réussi à relever des détails inédits sur le crâne de Scleromochlus, notamment une partie de son museau et l'arrière de sa mâchoire.

    PHOTOGRAPHIE DE Reconstitution de Matt Humpage, Northern Rogue Studios

    Scleromochlus ne possédait aucune adaptation faisant de lui un bon grimpeur, une caractéristique longtemps suggérée pour les ancêtres planeurs des ptérosaures. Son bassin ne présentait aucun renforcement osseux contrairement à celui des créatures sautillantes comme la gerboise. Scleromochlus était probablement capable de se déplacer sur ses membres postérieurs ou de marcher à quatre pattes, ce qui signifie que les ancêtres des lagerpétidés et des ptérosaures avaient une démarche similaire.

    « L'ancêtre commun des ptérosaures et des lagerpétidés n'avait rien d'un animal volant , il était très terrestre, avec un pied robuste, » indique Jagielska. « Voilà une histoire qui pourrait être plus intéressante. »

    Les futurs travaux sur les fossiles pourraient apporter de plus amples détails : l'objectif de Foffa est de construire un atlas des os de Scleromochlus, en utilisant les données recueillies par tomographie pour établir un registre numérique permanent du fossile. En publiant ces données, l'équipe de Fofa espère nourrir le débat sur cette étrange créature.

    « Si le débat dure encore cent ans, tant mieux, » conclut-il. « C'est ça la science ! »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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