Découverte du plus grand fossile de ptérosaure datant du Jurassique en Écosse

Le fossile, en parfait état de conservation, donne un aperçu inédit de l’évolution de ces merveilleux reptiles ailés.

De Michael Greshko
Publication 23 févr. 2022, 18:00 CET
Mis au jour en Écosse, sur la côte de l’île de Skye, ce nouveau genre de ...

Mis au jour en Écosse, sur la côte de l’île de Skye, ce nouveau genre de ptérosaure affichait probablement une envergure de 2,5 mètres, soit l’équivalent de celle des plus grands albatros actuels. La structure osseuse du reptile ailé révèle même qu’il n’avait pas terminé sa croissance à sa mort.

PHOTOGRAPHIE DE Natalia Jagielska

Nous voici 167 millions d’années avant notre ère, sur l’île de Skye, en Écosse. Le long du rivage, des dinosaures avancent d’un pas lourd, tandis qu’un reptile ailé de la taille d’un albatros survole un lagon subtropical, où il attrape poissons et calamars à l’aide de sa gueule dentelée.

Trouvant la mort d’une manière ou d’une autre, l’animal a rapidement été enseveli dans les sédiments qui tapissaient le fond du lagon, avant que son squelette fossilisé, le mieux conservé de ce genre, ne soit finalement découvert par hasard en 2017.

Baptisé Dearc sgiathanach (qui se prononce « jark ski-an-aq ») et décrit dans la revue Current Biology, ce fossile se trouve dans un superbe état de conservation : des parties de son crâne, de ses membres, de sa queue, de ses côtes et de ses vertèbres sont même intactes. Il rejoint ainsi la crème des fossiles : rares sont les sites qui conservent aussi bien les ptérosaures, et encore plus ceux qui préservent des fossiles aussi anciens.

« D’ordinaire, lorsque nous décrivons des fossiles, nous parvenons à identifier un bout de fémur ou un morceau de bec », explique Natalia Jagielska, paléontologue et doctorante à l’université d’Édimbourg et autrice principale de l’étude. « Par chance, Dearc est en très bon état de conservation, à tel point qu’il est en quelque sorte une bizarrerie ».

Dearc est le fossile de ptérosaure le plus grand et le mieux conservé du Jurassique, période qui a duré de 205 millions à 145 millions d’années avant notre ère.

Comme chez les oiseaux modernes, la taille des ptérosaures est souvent décrite par l’envergure, c’est-à-dire la largeur combinée des deux ailes membraneuses de l’animal, chacune tendue par un quatrième doigt extraordinairement long. Les ptérosaures ultérieurs mis au jour dans d’autres régions du monde, comme le Quetzalcoatlus, ont atteint des envergures gigantesques de 10 mètres voire plus au Crétacé, période qui a duré de 145 millions à 66 millions d’années avant notre ère.

Dearc, lui, date du Jurassique moyen. Les fossiles de cette période plus ancienne sont rares, si bien que les scientifiques pensaient jusqu’alors que les ptérosaures de l’époque ne mesuraient pas plus de 1,80 mètre d’envergure. Une hypothèse que le nouveau fossile a balayée : selon les estimations des chercheurs, il affichait une envergure comprise entre 1,9 mètre et 2,5 mètres, ce qui le place parmi les plus grands oiseaux modernes.

Dearc vient aussi compléter le patrimoine paléontologique de l’Écosse en tant que premier nouveau ptérosaure mis au jour dans le pays depuis la découverte en 1828 du ptérosaure Dimorphodon par Mary Anning, collectionneuse de fossiles et paléontologue précurseure.

« Il s’agit probablement du plus beau squelette mis au jour en Grande-Bretagne depuis l’époque de Mary Anning », souligne Steve Brusatte, explorateur National Geographic, paléontologue à l’université d’Édimbourg et auteur principal de l’étude.

 

CONTRE VENTS ET MARÉES

Premiers vertébrés à voler, les ptérosaures étaient les maîtres incontestés des airs au Mésozoïque. Ce groupe de reptiles ailés était composé des créatures très différentes, tantôt pelucheuses et dotées de grands yeux et d’une bouche semblable à celle d’une grenouille, tantôt aussi grandes que des girafes et affichant une envergure à faire pâlir les avions de chasse. Avec sa dentition adaptée pour clouer au sol ses proies glissantes, sa vue acérée et des ailes aussi larges qu’un joueur de NBA est grand, Dearc vient aujourd’hui compléter les rangs de ce genre paléontologique sacré.

Et pourtant, ce précieux fossile a bien failli rester enseveli.

Steve Brusatte parcourt depuis des années l’île de Skye, à la recherche d’os et de sites à pistes de dinosaures fossilisés, notamment d’empreintes de pas de dinosaures à long cou si grandes qu’elles ressemblent à des mares résiduelles. Dearc a été mis au jour dans la roche calcaire de l’île en mai 2017, lors d’une expédition menée par le paléontologue et financée par la National Geographic Society.

Le 23 mai au matin, alors qu’elle inspecte un site situé sur la côte nord de l’île de Skye, la membre de l’équipe Amelia Penny remarque un objet sombre qui dépasse de la roche. Celui-ci était encore invisible quelques semaines auparavant : un vent violent avait récemment agité les eaux de la côte avec une telle force que les blocs rocheux qui recouvraient le fossile en avaient été déplacés.

Lors du déjeuner, Penny montre à Steve une photo de ce qu’elle a vu, et le paléontologue reconnaît aussitôt une partie de la mâchoire d’un ptérosaure. En se basant sur les morceaux qui dépassent de la roche, l’équipe déduit que cet individu doit être de grande taille et qu’il semble très bien conservé.

En règle générale, les ptérosaures fossilisent très mal. Leurs os, légers et remplis de poches d’air, conviennent parfaitement pour le vol, mais ne supportent pas le processus de fossilisation. Qui plus est, les fossiles de ptérosaures mis au jour appartiennent le plus souvent à des individus juvéniles, ceux de spécimens adultes étant rares et incomplets.

À partir de cet instant, c’est une course contre la montre pour sauver le fossile qui attend l’équipe de Steve Brusatte. Situé dans des couches de roche du littoral battu par les vagues, le site de fouille de l’île était exposé aux marées.

Au lendemain de la découverte, et à la demande de Steve Brusatte, Dugald Ross, propriétaire d’un musée du coin et entrepreneur, arrive sur place pour découper le bloc rocheux dans lequel se trouve le fossile à l’aide d’une scie diamant. Il se met au travail, mais l’équipe réalise rapidement qu’il y a bien plus à extraire qu’une mâchoire ou un crâne fossilisé : c’est le squelette presque complet de l’animal.

Alors que la marée menace de submerger le site, l’équipe découpe d’imposants blocs rocheux. Après avoir remonté chaque morceau du fossile extrait sur le rivage, les scientifiques les sèchent et appliquent dessus une substance stabilisante, appelée consolidant, pour protéger les os fragiles et exposés. « Nous nous sommes battus contre la marée pour le sortir », souligne Steve Brusatte.

À 16h, l’eau commence à lécher le fossile encore emprisonné dans la roche et l’équipe a dû se rendre à l’évidence. Elle doit attendre la prochaine marée basse, prévue aux alentours de minuit, pour sortir le reste du fossile de ptérosaure.

Pour protéger au maximum les os fragiles, les chercheurs appliquent du consolidant sur le fossile et croisent les doigts pour qu’il résiste à l’eau. Cela fonctionne et l’équipe emporte finalement le bloc rocheux de 90 kg dans une brouette le soir suivant.

« C’est le fossile le plus important que nous avons jamais mis au jour au cours d’un de mes voyages, et aussi celui dont l’extraction a été la plus éprouvante », raconte Steve Brusatte. « Je n’ai jamais été aussi euphorique. »

 

LE JURASSIQUE, UNE PÉRIODE CHARNIÈRE

Une fois extrait, le fossile a rejoint la collection des musées nationaux d’Écosse, à Édimbourg. Débarrassé de la roche et du consolidant par le préparateur Nigel Larkin, l’animal a ensuite pu être étudié par Natalia Jagielska.

Géologue de formation, Natalia s’était précédemment intéressée aux roches de l’île de Skye et ainsi qu’à l’anatomie des oiseaux. Ce fossile était cependant l’occasion d’étudier un type d’animal volant à la fois familier et tout à fait étranger.

Pendant plus de deux ans, la scientifique a soigneusement mesuré les os du ptérosaure pour les comparer à ceux de ptérosaures déjà décrits. Bien que beaucoup plus imposant, celui de l’île de Skye ressemble à de nombreux égards au Rhamphorhynchus, un genre bien connu.

Afin de déterminer l’envergure du spécimen écossais, Natalia Jagielska a mesuré les os des ailes d’espèces apparentées plus connues avant d’établir un rapport entre la longueur des os et l’envergure des animaux. En se basant sur celui-ci, elle a ensuite pu estimer que Dearc affichait une envergure comprise entre 2,2 et 3,8 mètres, soit l’équivalent de celle des albatros modernes.

L’examen au scanner du fossile a permis d’obtenir un modèle approximatif de la forme de son crâne, notamment des lobes optiques (les régions associées à la vue), et a révélé la structure de l’oreille interne du ptérosaure. Greg Funston, doctorant à l’université d’Édimbourg, a sectionné l’un des os du reptile ailé pour en étudier la structure interne et ainsi découvrir que ce spécimen était immature. Dearc n’avait donc pas atteint sa taille maximale au moment de sa mort.

En servant de référence pour l’étude de squelettes moins complets mis au jour au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde, Dearc aidera par sa taille les chercheurs à mieux comprendre les fossiles de ptérosaures, estiment Natalia Jagielska et Steve Brusatte.

Le fossile prouve également l’existence, dans le temps et l’espace, de ptérosaures entre les spécimens plus petits du Jurassique inférieur et les géants du Crétacé supérieur. « Il est certes étonnant de voir qu’un ptérosaure de plus grande taille vivait au Jurassique moyen, mais je m’attendais à ce que ce vide soit comblé », indique Taissa Rodrigues, paléontologue à l’université fédérale brésilienne d’Espírito Santo qui n’a pas pris part à l’étude.

L’Écosse pourrait bien être le terrain de nouvelles découvertes sur le reptile ailé : dans une étude préliminaire qui doit être relue par des pairs, une autre équipe de scientifiques a annoncé le 16 février dernier qu’elle avait mis au jour sur l’île de Skye un ptérosaure appartenant à une branche différente de l’arbre généalogique que Dearc.

Ces deux découvertes confirment l’importance du Jurassique moyen en matière d’évolution. Au cours de la première moitié du Jurassique, de nombreux groupes différents (notamment des dinosaures, des mammifères et même des plantes à fleurs) se seraient rapidement diversifiés, sans doute sous l’impulsion de la dislocation du supercontinent Pangée. La comparaison des fossiles de ptérosaures mis au jour aux quatre coins du monde avec ceux découverts en Écosse suggère que l’espèce a connu une importante diversification lors de cette période, qui coïncide à peu près au moment où les dinosaures à plumes qui se sont mués en oiseaux ont commencé à acquérir des capacités de planage et, par la suite, de vol propulsé.

« Nous pouvons presque imaginer les ptérosaures en train de regarder le ciel et se dire “Quel trafic !” », plaisante David Unwin, paléontologue à l’université de Leicester et co-auteur de l’étude préliminaire sur le ptérosaure. « Il est assez surprenant de constater que tous ces différents animaux volants et proto-volants ont pu coexister ».

Contrairement à Taissa Rodrigues, David Unwin doute de la taille avancée de Dearc, car Rhamphorhynchus, l’animal utilisé pour estimer son envergure, présentait des os d’aile particulièrement longs. Les estimations de taille basées sur ses membres pourraient donc être faussées. Pour le scientifique, Dearc ne dépassait sans doute pas 2,10 mètres d’envergure.

Quelle que soit sa véritable taille, ce spécimen demeurera un fossile écossais d’exception qui rappelle les découvertes de Mary Anning, quelque chose qui emplit de fierté Natalia Jagielska. En dépit des deux siècles qui les séparent, les deux paléontologues nous ont offert un aperçu plus complet de ce à quoi ressemblait le ciel d’Écosse à l’époque du Jurassique.

« Anning est un symbole féministe, mais aussi de la classe ouvrière », confie la paléontologue avant d’ajouter : « Je ressens ce même genre de lien ».

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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