L’éruption du Hunga Tonga fut encore plus puissante que ce que pensaient les scientifiques

La surpuissante explosion survenue fin 2021 a craché 10 kilomètres cubes de roches, créant un panache volcanique de 57 kilomètres de haut ainsi qu’un tsunami mondial. Les scientifiques rassemblent aujourd’hui les pièces du puzzle.

De Maya Wei-Haas
Publication 24 nov. 2022, 18:27 CET
Dans le Royaume des Tonga, un volcan connu sous le nom de Hunga Tonga-Hunga Ha'apai est ...

Dans le Royaume des Tonga, un volcan connu sous le nom de Hunga Tonga-Hunga Ha'apai est entré en éruption en décembre 2021. À son paroxysme, l’éruption a relâché une explosion surpuissante qui a propagé des ondes atmosphériques ayant fait le tour la Terre à plusieurs reprises. L’éruption a détruit la majeure partie du cratère que l'on voit ici dépasser de l'eau.

PHOTOGRAPHIE DE Maxar via Getty Images

Des nuances cramoisies teintaient le ciel matinal surplombant le Royaume des Tonga alors que Grace Frontin-Rollet repérait deux petites îles rocailleuses depuis la proue du RV Tangaroa. Malgré l’aspect pittoresque de la scène, les relents sulfureux de l’air rappelaient à la géologue marine ce qu’elle et ses collègues scientifiques étaient venus chercher après un périple de six jours sur des eaux agitées. Dans le vaste espace situé entre les deux bouts de terre, caché dans l’océan, reposait le cratère d’un immense volcan entré en éruption seulement quelques mois auparavant lors de l’une des explosions les plus puissantes et étranges jamais observées. 

« Je pense qu’on ne mesurait pas l’ampleur de l’évènement avant d’atteindre le site », explique Frontin-Rollet de l’Institut national de la recherche sur l’eau et l’atmosphère (NIWA) de Nouvelle-Zélande.

En décembre 2021, le volcan Hunga Tonga-Hunga Ha'apai (appelé ainsi en référence aux deux îles qui reposent sur ses rebords) s’est réveillé dans une série d'explosions qui atteignirent leur paroxysme le 15 janvier 2022. La détonation a été tellement bruyante qu’elle est parvenue aux oreilles des Alaskains, 9500 kilomètres plus loin. Ce qu’il s’est passé ce jour-là était jusqu’à présent resté un mystère. Les scientifiques — dont l’équipe de chercheurs embarquée sur le RV Tangaroa — assemblent actuellement les pièces du puzzle qui révèle un tableau surprenant.

D’après l'annonce des chercheurs, en date du 21 novembre, les dernières études réalisées sur le sol marin suggèrent que l’explosion a éjecté 10 km3 de roche. Si l'hypothèse est confirmée, l'éruption du Hunga Tonga sera la plus grande éruption documentée de ces cent dernières années, dépassant l’éruption du mont Pinatubo en 1991.

D'autres analyses récentes révèlent des mesures encore plus époustouflantes. L’éruption a produit une nuée ardente de gaz et de cendres qui a culminé à une hauteur jamais atteinte auparavant de 57 kilomètres. Ce nuage a injecté dans l’atmosphère 146 téragrammes d’eau vaporisée ; une première qui, d’après certains spécialistes, pourrait légèrement réchauffer le climat de manière temporaire. L’éruption a également provoqué un tsunami qui a surpris les scientifiques en traversant le monde entier.

« C’est un évènement majeur », explique Kevin MacKay, biologiste marin au NIWA ayant également embarqué à bord du RV Tangaroa. « Plus on étudie l'éruption, plus on se rend compte de sa puissante. »

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    Comprendre les effets de l’éruption est loin de n’être qu’un moyen de satisfaire la curiosité des scientifiques. De nombreux volcans sous-marins similaires reposent au large des côtes dans le monde. La majeure partie de ces volcans ne sont pas surveillés, quand de nombreux autres restent encore à découvrir.  

    « Nous ne savons que trop bien, comme les autres nations de la ceinture de feu du Pacifique, combien nous sommes à la merci de la nature », a déclaré le secrétaire adjoint de la gestion des ressources naturelles des Tonga, Taaniela Kula, lors d’une conférence de presse en mai. L’éruption, a-t-il expliqué « nous rappelle qu’il y a toujours plus à apprendre des géants de notre planète Terre ».

     

    UNE FENÊTRE SUR LES PROFONDEURS

    Une ancienne bataille tectonique entre les plaques pacifique et indo-australienne a donné naissance à un alignement de volcans dans le sud de l’océan Pacifique, dont le puissant Hunga Tonga-Hunga Ha'apai. Aujourd’hui, les seules parties du volcan qui émergent de l'eau sont les deux petites îles qui ont signalé à Frontin-Rollet que son équipe avait bien atteint leur destination. C'est à cet instant qu'elle explique s'être rendue compte que leur bateau de soixante-dix mètres de long était absolument minuscule comparé au monstre géologique qui s’étendait sous l’eau devant eux.

    À cause de ce couvercle aquatique, les scientifiques ont eu du mal à comprendre ce qu’il s’était passé lors de la tumultueuse éruption de janvier. Le contact du magma avec l’eau provoque des explosions de vapeur et par enchaînement, de puissantes éruptions. Qu’est-ce qui a provoqué la cascade d’évènements au Hunga Tonga-Hunga Ha'apai ? Pour trouver des réponses, les scientifiques ont dû venir tâter le terrain.

    Sur cette photographie prise par un astronaute depuis la Station spatiale internationale, on observe des nuages de cendre stagnant dans l’atmosphère le lendemain de l’intense explosion du Hunga Tonga-Hunga Ha'apai.

    PHOTOGRAPHIE DE NASA

    En avril, le RV Tangaroa est arrivé sur le site dans le cadre de la première étape d'une enquête en deux parties appelée Tonga Eruption Seabed Mapping Project (TESMaP) et dirigée par le NIWA et la Nippon Foundation. En août, l'intervention fut assurée par le Maxlimer, navire sans équipage de SEA-KIT International commandé à distance depuis le Royaume-Uni. Les chercheurs ont étudié la région avec précision, cartographié les fonds marins, pris des photos et des vidéos, analysé la colonne d’eau et collecté des échantillons de cendres et de roches volcaniques.

    Au total, l’équipe a cartographié plus de 13 500 km2 autour du volcan, révélant une zone dépourvue de vie et recouverte d’une fine couche blanchâtre de sédiments. Les carottes extraites dans cette zone ont révélé l’origine de ce désastre : une avalanche rapide et dévastatrice de cendres chaudes et d’éboulis volcaniques appelée coulée pyroclastique, issue de l’effondrement du panache volcanique de cendres et de gaz.

    MacKay souligne que les scientifiques ne peuvent qu’émettre des hypothèses quant à la dynamique des coulées pyroclastiques sous l’eau puisque qu’aucune n’a pu être observée en personne. D’après leur théorie, lorsque les débris plongent dans l’eau les cendres chaudes provoquent la vaporisation de l’eau ce qui forme une couche de gaz qui favorise la propagation des matériaux sur le sol océanique, à la manière d’un toboggan.

    Les scientifiques ont trouvé des preuves de multiples coulées pyroclastiques sur les rebords de la caldeira. L’avalanche volcanique a franchi les vallées et les monts sous-marins et a dépassé de 80 km les limites de l’aire de recherche de l’équipe de scientifiques, ce qui laisse penser que des débris ont pu être propulsés encore plus loin.

    Les coulées pyroclastiques semblent également être responsables des dégâts occasionnés sur les lignes de communication domestiques et internationales des îles Tonga, ce qui a entravé les premières interventions. La modélisation dirigée par Emily Lane, de NIWA, suggère que les rejets volcaniques se sont déversés dans une vallée où se trouvait l’un des câbles sous-marins et ont ricoché sur les parois de la dépression. Un tel mouvement pourrait expliquer pourquoi un morceau de câble s’est retrouvé emporté au nord en direction du volcan.

    Les dernières recherches indiquent également que l’explosion du volcan a provoqué un affaissement de 700 mètres du cratère central. Cela confirme les résultats d’une enquête antérieure réalisée en mai par le volcanologue Shane Cronin de l’Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande et par une équipe des services géologiques des îles Tonga. « Il y a un énorme trou dans le sol là où il n’y en avait pas auparavant », explique Richard Wysoczanski, biologiste marin au NIWA. « C’est assez spectaculaire. »

    Les trois quarts des roches excavées et éjectées semblent avoir atterri dans un périmètre de 19 km autour du volcan. La plupart des matériaux volcaniques restants semblent avoir circulé dans l’atmosphère sous forme de poussière pendant des mois, ce qui a intensifié les couleurs du ciel au lever et au coucher du soleil, explique MacKay. C’est ce qu’il s’est passé après l’éruption du Krakatoa en 1883 et a probablement inspiré le ciel rouge peint dans « Le cri » de Edvard Munch.

    Si le volcan s’est assagi, il ne s’est pas pour autant totalement endormi : il rejette désormais dans la mer de l’eau chaude chargée de fragments de verre volcanique. « Il n’est pas complètement éteint », explique Wysoczanski, ajoutant qu’une nouvelle éruption est peu probable.

     

    L'ÉRUPTION VUE DU CIEL

    Les scientifiques ont été surpris de constater que l’explosion avait laissé les pentes du volcan intactes. Toute l’énergie éruptive semble avoir été dirigée directement vers le ciel, précise MacKay. Cet étrange évènement pourrait expliquer un autre fait remarquable : la hauteur du panache volcanique.

    Comme on peut le voir sur les images prises par les satellites en orbite autour de la Terre, les cendres et les gaz ont rejoint le ciel en un fulgurant tourbillon au moment de l'explosion. Lorsque Simon Proud, expert en télédétection par satellite au Centre national d'observation de la Terre (NCEO) du Royaume-Uni, a analysé les données, il a sincèrement douté des chiffres obetenus. Pourtant, une deuxième vérification de ses calculs a confirmé les résultats improbables : le panache volcanique a culminé à 57 kilomètres de haut, dans une couche de l’atmosphère appelée mésosphère où la plupart des avions ne peuvent pas voler et où les étoiles filantes illuminent le ciel.

    « Nous n’avions jamais rien vu d’autre atteindre une telle altitude », affirme Proud, auteur principal de l’étude sur la hauteur de la nuée ardente. « C’était à couper le souffle. »

    Alors que le nuage terrifiant se propageait au-dessus des îles, les vagues du tsunami, dont certaines atteignaient 15 mètres de haut d'après certaines estimations, commencèrent à s’écraser sur les rivages alentours. À la surprise des scientifiques, la perturbation s’est rependue sur les océans du monde entier ce qui augmenté de 30 centimètres le niveau de la mer Méditerranée, située de l’autre côté de la planète.

    Ce tsunami si inhabituel est le fruit d’une accumulation d’évènements divers. Près du volcan, des facteurs tels que l’effondrement du plancher de la caldeira et des coulées pyroclastiques ont stimulé le déchaînement des eaux. Le choc a également provoqué de brutales chutes de la pression atmosphérique, « ce qui a fomenté le tsunami », explique Lane de NIWA, spécialisée dans ce phénomène naturel violent.

    Loin du volcan, un phénomène quelque peu différent était à l'œuvre. En explosant vers le ciel, l’énorme panache volcanique a repoussé l’atmosphère, propageant des ondes atmosphériques qui, en six jours, ont fait quatre fois le tour du globe. « L’explosion était si puissante qu’elle a fait osciller l’atmosphère », explique Quentin Brissaud, géophysicien au sein du Norwegian Seismic Array et auteur d’une étude qui décrit les effets atmosphériques de l’éruption.

    Alors qu’elles parcouraient le monde en un éclair, ces ondes ont perturbé la surface de l’océan et formé un tsunami météorologique. L’unique occurrence documentée de ce phénomène date de l’éruption du Krakatoa en 1883, l’une des éruptions volcaniques les plus puissantes et meurtrières de l’histoire.

    De nombreuses questions à propos de Hunga Tonga-Hunga Ha'apai, comme ce qui a déclanché la terrible éruption, restent pour l'instant sans réponse. 

    Comme le dit Wysoczanski : « L'étude ne fait que commencer. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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