Quand les requins se nourrissaient de dinosaures

Des fossiles de dinosaures portent les traces immuables de morsures infligées par des requins préhistoriques.

De Riley Black
Publication 5 janv. 2023, 14:56 CET
Représentation de petits requins appartenant au genre Squalicorax rôdant autour de la dépouille flottante d’un hadrosaure dans ...

Représentation de petits requins appartenant au genre Squalicorax rôdant autour de la dépouille flottante d’un hadrosaure dans l’ancienne voie maritime intérieure de l’Ouest, qui autrefois couvrait en partie le Kansas.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Switek, Dmitry Bogdanov

Dans une époque reculée, il y a environ 86 millions d’années, la dépouille d’un hadrosaure fut emportée vers la mer. Ce dinosaure à bec de canard avait péri quelque part sur terre mais les gaz provoqués par la décomposition avaient suffisemment ballonné sa carcasse imposante pour qu'elle flotte dans des eaux chaudes où des requins affamés purent la déchiqueter. Les détails de ce festin, ce sont les fossiles qui nous les racontent.

Un chasseur de fossiles amateur, Keith Ewell, a découvert en 2005 dans la formation géologique de Smoky Hill Chalk, dans l’ouest du Kansas, une série de neuf os de la queue d'un dinosaure. Le site préhistorique où ces fossiles ont été mis au jour est surprenant. Au Crétacé, époque à laquelle s’accumulaient les couches de sédiments de la Smoky Hill Chalk, le Kansas était en partie immergé par la voie maritime intérieure de l’Ouest. Les dinosaures ne vivaient pas dans cet environnement marin mais il arrivait que leur dépouille soit transportée lors d'inondations locales et d’autres phénomènes aquatiques, jusqu’aux mâchoires des carnivores marins. Si le plésiosaure, armé de ses quatre palettes natatoires, et le mosasaure, aux airs de dragon de Komodo, se partageaient la couronne des prédateurs reptiliens, les requins préhistoriques tiraient eux-aussi leur épingle du jeu comme le prouvent les traces de dents distinctives présentes sur les fossiles de queue retrouvés par Ewell.

Michael Everhart, paléontologue au Sternberg Museum of Natural History, a décrit ces ossements en collaboration avec Ewell dans une étude publiée en 2006 dans la revue Transactions of the Kansas Academy of Science. Ce cas de dinosaure transporté en mer constitue non seulement un évènement extrêmement rare, seulement six cas avaient été recensés à Smoky Hill Chalk, mais aussi une découverte exceptionnelle puisqu’au moins quatre des vertèbres de l’hadrosaure portent des marques de dents uniquement imputables à un requin charognard.

Reste à savoir de quel requin il s'agit. Une dent dentelée en forme de A appartenant à un représentant du genre Squalicorax a été découverte juste en dessous des ossements. Cependant, cette proximité ne signifie pas forcément que cette dent a appartenu au requin ayant dévoré la carcasse du dinosaure. Association ne sous-entend pas toujours intéraction. En réalité, d’après Everhart et Ewell, les marques de dents ne semblent pas avoir été causées par un requin aux dents dentelées. Il est plus probable que le dinosaure ait été dévoré par Cretoxyrhina, un genre de requin massif d’environ six mètres de long, notamment parce que des fragments de dents de ce requin ont été retrouvés implantés dans des ossements présentant des traces de morsures similaires. Au moins un Cretoxyrhina doit avoir mordu dans la chair de l'hadrosaure.

Bien qu'elle soit exceptionnelle, la découverte d’Ewell n'est pas un cas isolé. D’après Everhart, à l'exception de deux spécimens, tous les fossiles incomplets de dinosaures retrouvés à la Smoky Hill Chalk présentaient des traces de morsures. Par exemple, dans le cas du Niobrarasaurus, majoritairement recouvert de solides écailles, les marques de dents indiquent que la partie basse de l’un de ses membres antérieurs a été arraché par un Cretoxyrhina charognard.

Une dent de Squalicorax laisse penser que ce requin préhistorique a pu se nourrir de la carcasse d'un genre d'ankylosaure, Aletopelta, après qu’elle a été transportée jusqu’à la mer.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Switek

Par ailleurs, des dinosaures mordus par des requins ont été retrouvés dans des strates formées à d'autres époques et dans d'autres lieux. Si le genre Squalicorax, comprenant des requins préhistoriques d'assez petite taille, n’est pas responsable des dégâts occasionnés sur l’hadrosaure découvert par Everhart et Ewell, le paléontologue David Schwimmer et ses coauteurs ont publié en 1997 une étude dans laquelle ils mentionnaient un os de pied d’hadrosaure, découvert dans un rocher de 80 millions d’années en Alabama, et dans lequel était plantée une dent de Squalicorax. Par ailleurs, lors de la réunion de la Societé de paléontologie des vertébrés des États-Unis qui s'est tenue en 2004 à Raleigh, en Caroline du Nord, Jason Schein, paléontologue au New Jersey State Museum, a présenté un poster représentant l'humerus d'un petit hadrosaure découvert dans de la marne vieille de 66 millions d'années, qui était gravement entaillé par des requins charognards. Il est donc évident que les requins mangeaient des dinosaures.

Cependant, aucun de ces cas ne concernent des morsures infligées sur des dinosaures vivants. Il s’agit systématiquement d'actes de charognage.

Si certains dinosaures pouvaient nager, à l'instar de Natovenator polydontus, ce n'est pas le cas des espèces de dinosaures retrouvées sur les sites de la Smoky Hill Chilk, de la formation d’Hornerstown dans le New Jersey et autres, qui étaient à l'époque des environnements marins. Pour les atteindre, ces dinosaures auraient dû parcourir à la nage des distances considérables. De ce que l’on sait de la biologie des dinosaures et du contexte géologique des ossements portant des traces de dents de requins, ces derniers ne pouvaient se nourrir de dinosaures que lorsque les carcasses d’hadrosaures, d’ankylosaures et d’autres espèces de ce type dérivaient dans la mer.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise en 2013 et à été mis à jour en 2023.

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