En Islande, les volcans semblent se réveiller tous les 320 jours

En 2021, la péninsule de Reykjanes s’est réveillée. Depuis, trois éruptions ont eu lieu, séparées d’environ 320 jours. Les éruptions en Islande semblent réglées comme du papier à musique.

De Robin George Andrews
Publication 22 août 2023, 20:09 CEST
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La principale fissure de l’éruption de 2023 rougeoie au loin tandis que la mousse brûle dans la vallée de Litli-Hrútur. Les éruptions sont devenues un phénomène annuel dans la péninsule islandaise de Reykjanes. 

PHOTOGRAPHIE DE Mike Mezeul II Photography

Il y avait 800 ans que la péninsule de Reykjanes, au sud-ouest de l’Islande n'avait pas connu la moindre éruption. Le 19 mars 2021, après 15 mois de tremblements de terre de plus en plus perturbants, de la roche en fusion a jailli d’une série de fissures. Pourtant, le magma sous-jacent ne s’est pas précipité à la surface en un torrent épique. Il s’est plutôt déversé en plusieurs salves étranges et relativement régulières.

Sur la base de l’histoire géologique de la région, certains volcanologues ont suggéré que la péninsule entrait dans une nouvelle ère volcanique. Pour eux, elle devrait connaître des éruptions occasionnelles tous les 10 ou 20 ans. Toutefois, les experts ne s’attendaient pas à ce que les éruptions deviennent si courantes et étrangement cadencées. Après la fin de la première le 18 septembre 2021, une deuxième éruption a commencé à proximité, 319 jours plus tard. Celle-ci s’est terminée le 21 août 2022 et 323 jours plus tard, une troisième éruption a suivi, le 10 juillet 2023.

Les volcans individuels n’entrent pas en éruption selon un calendrier précis et leur comportement est déjà difficile à expliquer. Reykjanes est une vaste région volcanique où les labyrinthes magmatiques qui s’entremêlent peuvent s'échapper par divers endroits. Les scientifiques qui enquêtent trouvent plus de questions que de réponses et l’une d’entre elles revient particulièrement souvent : Pourquoi le magma sort-il par des pulsations étrangement rythmées plutôt que tout d'un coup lors d'une éruption ?

« C’est un véritable mystère », confie Tobias Dürig, volcanologue à l’université d’Islande.

Les trois éruptions cachent des indices qui suggèrent que la poche de magma située en dessous de la région n’est pas un réservoir unique mais plutôt une masse mouvante de roche en fusion. Cette masse serait capable fusionner plusieurs poches de magma et de déclencher des éruptions erratiques et spectaculaires qui défient toute explication logique.

« C’est impressionnant », témoigne Edward Marshall, géochimiste à l’université d’Islande.

 

LA NOUVELLE RAGE DE REYKJANES 

Le sous-sol volcanique de la péninsule de Reykjanes est un véritable chaos. Elle est située sur la partie terrestre de la dorsale médio-atlantique, une faille dans la Terre qui s’ouvre continuellement et qui rapproche de la surface des roches en fusion brûlantes. La région est fréquemment secouée par des tremblements de terre. En 2021, un pic de fréquence et de magnitude a été enregistré pendant 15 mois, accompagné d’un gonflement de certaines parties de la péninsule. Ce phénomène devait signaler un mouvement lié à la faille, qui aboutirait à une éruption.

Lorsque l’éruption prévue a commencé, près d’une montagne volcanique nommée Fagradalsfjall, la plupart des gens ont été soulagés. La ville la plus proche se trouvait à plusieurs kilomètres et l’éruption ne menaçait pas de se transformer en explosion. Elle a plutôt donné lieu à des coulées de lave, confinées par les vallées environnantes.

La dernière fois qu’une telle situation s’est annoncée, entre 1210 et 1240, la lave s’est répandue sur le territoire par de multiples fissures. Les volcanologues se sont demandé si l’événement recommençait. Trois éruptions plus tard, il semble que ce soit le cas.

Il ne suffit pas que de trois épisodes pour déclarer un schéma mais la fréquence et la possible régularité de ces éruptions méritent d’être étudiées. « Nous n’avions pas observé un tel phénomène depuis un long moment », déclare Sam Mitchell, volcanologue à l’université de Bristol.

L’écart d’environ 320 jours entre les épisodes n’est probablement rien d’autre qu’un hasard. « L’écart de 320 jours est certainement une coïncidence », explique M. Mitchell. « Si cela venait à se produire de nouveau, je serai très surpris. »

D’une certaine manière, le schéma a déjà été rompu. Après la fin de l’éruption de 2021, une autre nappe de magma est remontée près de la surface en décembre sans réussir à percer la croûte supérieure.

Pourquoi n’a-t-elle pas engendré une éruption ? « Nous ne le savons pas », répond M. Mitchell. Ces nappes magmatiques, appelées dykes, perdent parfois leur flottabilité si elles se refroidissent trop, ou perdent le gaz qu’elles contiennent. Les éruptions manquées de ce type montrent que la région est sujette à bien plus d’épisodes que le veut le schéma de 320 jours.

Toutefois, la situation reste étrange, non seulement car les éruptions sont fréquentes, mais aussi parce que des pauses sont observées. Pourquoi la région ne connait-elle pas une seule éruption spectaculaire qui s’arrête lorsque la réserve de magma s’épuise ?

 

UNE ÉRUPTION PAS COMME LES AUTRES

À première vue, ces trois éruptions, malgré leurs durées différentes, semblent difficiles à distinguer.

« Les schémas qui ont précédé les trois événements sont très similaires », explique M. Mitchell. Un ensemble de tremblements de terre se produit lorsqu’un dyke remonte à la surface, ils diminuent lorsque le magma ne brise plus violemment la croûte au cours de son ascension, et une fissure éruptive finit par s’ouvrir à proximité du site de 2021. Chaque éruption a ouvert une brèche un peu plus loin vers le nord-est, comme si la faille se déchirait dans cette direction.

La principale différence réside dans la quantité de lave qui jaillit de ces fissures au fil du temps. Cette mesure, la vitesse d’effusion, « nous renseigne sur les différentes forces à l’œuvre dans le système volcanique », explique M. Marshall. Pour les éruptions de 2022 et 2023, la vitesse d’effusion était plus élevée au début et diminuait de façon exponentielle. « C’est un schéma normal » pour les éruptions de coulées de lave en Islande.

Pourtant, celle de 2021 était curieuse. Sa production de lave a commencé de façon modérée et s’est maintenue au même taux pendant environ un mois et demi. Puis elle a soudainement augmenté pour atteindre plus du double du débit initial, créant des fontaines très spectaculaires. La situation a perduré plusieurs mois jusqu’à ce qu’elle prenne fin subitement. Selon M. Marshall, « c’est un déroulement inhabituel ».

M. Marshall et ses collègues ont examiné la composition chimique de la lave de chaque éruption. Les résultats suggèrent qu’elles ont toutes puisé dans la même source profonde de matière rocheuse en fusion, cachée près de la frontière abyssale entre la croûte et le manteau. Les éléments chimiques des éruptions de 2022 et de 2023 étaient quasiment identiques. Ceux de 2021 ont changé au cours des six mois de l’épisode.

Les preuves suggèrent que les éruptions ultérieures ont été alimentées par leurs propres poches individuelles de magma qui sont remontées d’une plus grande profondeur. Lorsque chaque poche s’est ensuite suffisamment vidée, l’éruption a perdu de sa puissance et s’est terminée.

Il n’en va pas de même pour le feu d’artifice de 2021. Tout a peut-être commencé de la même manière, avec une poche magmatique solitaire qui a alimenté la phase initiale de l’éruption. Toutefois, le pic du flux de lave a pu être déclenché lorsqu’une nouvelle poche ascendante de magma a fusionné avec le matériau déjà en éruption. Cela aurait apporté de la chaleur, de la pression, des gaz piégés et une composition distincte de roches en fusion à l’éruption, comme si l’on versait de l’essence sur un feu qui faisait déjà rage. Lorsque ces poches conjointes se sont épuisées, l’éruption s’est arrêtée.

Il est difficile déterminer avec certitude le déroulement de l’événement, notamment en raison de la transformation constante du paysage. Le sol qui se trouve sous nos pieds nous semble immuable, alors qu’il est souvent amorphe. Chaque fois que se produit une éruption, « le système de plomberie change », explique M. Mitchell. « On ne peut pas revenir à l’état initial. »

Les éruptions en fissures sont communes en Islande. Les feux du Krafla, dans le nord-est de l’Islande, de 1975 à 1984, ont donné lieu à de multiples épanchements de lave. Dans ce cas toutefois, il s’agissait d’un réservoir unique et peu profond de roche en fusion. « Vous avez une chambre magmatique, elle se vide, met du temps à se remplir à nouveau, puis elle est pleine et tout recommence », explique M. Dürig.

Le changement de la forme de la subsurface de Reykjanes est plus déroutant. Ses pulsations annuelles sont difficiles à expliquer mais le fait que toute la région se réveille une fois tous les 800 ans environ est encore plus étrange. « Je ne comprends pas du tout pourquoi il s’agit d’un phénomène épisodique », s’interroge M. Marshall. « Je ne peux faire que des suppositions. »

Au moins, ces éruptions, contrairement à d’autres éruptions proches des rifts, n’ont pas été spécialement dangereuses. Les touristes peuvent profiter du spectacle pendant que les volcanologues travaillent. « C’est un terrain de jeu scientifique relativement sain », se réjouit M. Mitchell, un bon endroit pour tester des théories tout en imaginant si une autre éruption pourrait se produire dans une petite année.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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