Voici selon la science la "meilleure" façon de cuire les pâtes

Un professeur et ses étudiants ont eu recours à la physique pour résoudre une énigme : quelle est la façon la plus économique et la plus écologique de faire cuire des pâtes ?

De David Fairhurst
Publication 10 août 2023, 15:12 CEST
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À l'université de Nottingham Trent, en Angleterre, un professeur et des étudiants en physique montrent à quel point la science est présente dans le quotidien grâce à des démonstrations ludiques, comme lors d'expériences autour de la cuisson des pâtes. 

PHOTOGRAPHIE DE Ullstein Bild DTL, Getty Images; Illustration by Javier Jaén

Notre tâche était assez simple : trouver la façon la plus économique de cuire des pâtes et en révéler les procédés scientifiques sous-jacents.

Pour cela, nous avons dû tenir compte de l’avis du lauréat du prix Nobel de physique 2021, et de ceux de chefs étoilés. Précisons que nous ne disposions que de quelques éléments (une casserole, de l’eau et des pâtes), mais pour lesquels il existe une grande variété de choix. Les seuls autres paramètres modulables étaient la chaleur et le temps. Tout cela dans le but de démontrer comment la science peut être utilisée dans notre quotidien, tout en essayant de réduire les coûts et l'empreinte écologique.

Comme souvent dans un contexte de recherches scientifiques, l’origine de ce projet n’avait initialement rien à voir puisque tout est parti d’un sphinx colibri qui utilisait sa fine trompe pour se nourrir. Une observation qui a réveillé en moi le physicien fasciné par ce qui est mou et fluide et m’a fait réfléchir à la manière dont ce papillon pouvait bien aspirer du nectar visqueux à travers ce tube flexible.

J’ai donc demandé à deux étudiants, Mia London et Ross Broadhurst, de résoudre le problème en utilisant des composants simples. Leur choix s’est porté sur de longues pâtes creuses, les bucatini, dont ils ont astucieusement contrôlé la rigidité par le temps de cuisson. Une opération couronnée de succès puisqu’ils sont en effet parvenus à reproduire les conditions d’une trompe en train d’aspirer de la nourriture. Voilà, fin de l’histoire. Enfin, c’est ce que nous croyions...

Quelques mois plus tard, nous étions de retour au laboratoire, en train de faire bouillir d’autres bucatini parce que nous avions plongé dans un débat houleux sur la « meilleure » façon de cuire les pâtes.

Ce débat sur les pâtes a commencé il y a environ un an, lorsque Giorgio Parisi, physicien italien lauréat du prix Nobel, a partagé sur Facebook une publication de l’architecte Alessandro Busiri Vici dans laquelle il présentait une façon économique de cuire l’aliment préféré de leur pays. Busiri Vici conseille de couper le feu à mi-cuisson et de laisser l’eau chaude finir le travail. Parisi précise cependant de « laisser le couvercle tout du long » pour garantir l’isolation et empêcher la perte de chaleur par évaporation.

Bien que le coût de l’énergie et des autres dépenses de la vie aient grimpé en flèche dans une grande partie de l’Europe, les suggestions de Parisi et Busiri Vici pour faire des économies ont suscité de vives réactions de la part de leurs concitoyens italiens. « C’est un désastre », s’est écrié le célèbre chef Luigi Pomata, recommandant à Parisi et aux autres physiciens de ne pas se mêler de la cuisine. Le chef étoilé Antonello Colonna a déclaré que les clients de son restaurant ne toléreraient jamais les résultats caoutchouteux de leur méthode.

Colonna a toutefois mentionné une autre approche économique : la « méthode de l’eau froide », préconisée par le chef américain Alton Brown. Défiant toutes les traditions culinaires, cette méthode consiste à plonger les pâtes dans de l’eau froide et de porter le tout à ébullition.

D’autres se sont joints à la frénésie des réseaux sociaux, y allant de leur avis, de leurs insultes et de leurs recettes. Malgré l’expertise du lauréat du prix Nobel (les théories de Parisi mettent en évidence des schémas répétitifs dans les systèmes complexes, allant des molécules à la mémoire ou encore des volées d’oiseaux à la rotation des planètes) même lui n’aurait peut-être pas pu prévoir les réactions à sa publication bien intentionnée.

 

Que sont des pâtes, en termes scientifiques ? Que se passe-t-il lorsque l’on fait cuire des pâtes sèches ? Et surtout, point critique dans ce débat sur les techniques de cuisine les plus économiques et les plus goûteuses : qui a raison ?

La réponse à la première question est simple. Les pâtes sèches sont fabriquées en ajoutant de l’eau à du blé dur moulu (une sous-espèce de Triticum turgidum). En d’autres termes, on donne forme puis on sèche un mélange d’eau et de farine de semoule moulue obtenue à partir de blé dur.

La réponse à la deuxième question est la suivante. Lorsque nous cuisinons des pâtes sèches, deux processus assez simples se mettent en place. Les pâtes doivent d’abord se réhydrater et s’assouplir en absorbant de l’eau. Cela se fait par diffusion, à la manière d’un parfum dont l’odeur se répandrait dans une pièce. Sous l’effet de la diffusion, les molécules d’eau bouillante pénètrent le centre d’un spaghetti de diamètre classique en à peu près 10 minutes. Il est intéressant de noter que la diffusion ralentit avec le temps puisque l’eau mettrait 40 minutes à pénétrer des pâtes deux fois plus épaisses que les spaghettis classiques. Cela explique pourquoi on trouve des morceaux de pâtes difficiles à mâcher lorsque les spaghettis restent collés les uns aux autres dans la casserole : l’eau n’a tout simplement pas eu le temps de se diffuser au centre des amas.

Les pâtes doivent ensuite cuire, ce qui nécessite de la chaleur. La chaleur aussi se diffuse dans les pâtes, gonflant les protéines, décomposant les grains d’amidon et rendant le tout comestible.

Les recettes en ligne, les instructions sur les emballages et ChatGPT préconisent généralement la même méthode de cuisson des pâtes. Par portion, versez 85 g de pâtes dans 1 L d’eau bouillante avec une pincée de sel. Ajoutez de l’huile, si vous le souhaitez. Remuez (ou pas) de temps en temps pour éviter que les pâtes ne collent. Laissez cuire pendant environ 10 minutes, le temps que la chaleur et l’eau pénètrent les pâtes. Égouttez, rincez (ou ne rincez pas). Ajoutez la sauce (ou non). Servez.

Si des changements mineurs dans la préparation peuvent altérer le goût, ils n’affecteront pas le coût financier de la cuisson, qui dépend de la chaleur. Le coût dépend de la quantité d’énergie nécessaire pour chauffer la casserole, l’eau et les pâtes à 100 °C, puis de la quantité d’énergie nécessaire pour maintenir le tout à ébullition pendant 10 minutes. Pour le calculer précisément, il faut connaître le prix de l’énergie, le type de gaz ou d’électricité, le type de cuisinière, le métal de la casserole, son épaisseur et son poids, l’énergie nécessaire pour la chauffer...

 

Oui, nous avons fait les calculs. Mia, Ross et moi avons cuisiné des pâtes selon la méthode standard, encore et encore. Nous avons calculé les retombées économiques de différentes combinaisons de casseroles, poêles et sources d’énergie, et nous sommes arrivés à un coût de cuisson moyen d’environ dix centimes de dollars par portion, sachant que le chauffage de l’eau consomme la majeure partie de l’énergie et celui des pâtes 1 % seulement.

Aux États-Unis, quelque 2,7 millions de tonnes de pâtes sont avalées chaque année, ce qui représente un coût de cuisson estimé à 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros). À une telle échelle, la moindre économie d’énergie peut faire la différence.

Passons en revue les possibilités.

La recette de Parisi et Busiri Vici réduit de moitié l’énergie utilisée lors de la cuisson et permet d’économiser trois centimes de dollars par portion. La méthode à l’eau froide du chef Brown réduit également l’étape de la cuisson, et permet d’économiser là aussi environ trois centimes.

On peut également réduire les coûts en utilisant moins d’eau. Harold McGee, auteur de On Food and Cooking, a encouragé les lecteurs du New York Times, il y a plusieurs années, à essayer à la fois de commencer la cuisson à l’eau froide et de réduire d’un tiers de la quantité d’eau utilisée. Si cette approche « demande plus d’attention » et nécessite de remuer régulièrement, elle permettrait d’économiser environ six centimes par portion.

Sur SeriousEats.com, le chef J. Kenji Lopez-Alt préconise une méthode encore plus radicale. Il jette les pâtes dans le moins d’eau bouillante possible, remue lorsque l’eau recommence à bouillir, puis éteint le feu, couvre la casserole et attend 10 minutes. Égouttez, mangez, et économisez huit centimes par portion, selon mes calculs.

Mia et Ross ont ensuite participé à un concours de science culinaire et s’en sont sortis haut la main. Ils ont essayé une méthode alternative, le prétrempage, dont le secret réside dans la séparation des processus de réhydratation et de cuisson. Bien que la diffusion de l’eau soit beaucoup plus lente à température ambiante, les pâtes deviennent molles au bout de deux heures. Une fois égouttées, elles peuvent être réchauffées brièvement dans une casserole avec de l’eau ou de la sauce pour terminer la cuisson. Contrairement aux autres méthodes, qui rejettent de la vapeur et nécessitent de jeter de l’eau chaude (autant d’énergie gaspillée), cette approche permet d’économiser plus de neuf centimes par portion. Un article, une recette et une vidéo sur cette méthode sont disponibles sur le site web de l’Exploratorium, le musée des sciences de San Francisco.

On peut légitimement se demander pourquoi les scientifiques universitaires s’attèlent à perfectionner la cuisson des pâtes, ou à trouver la meilleure façon de souffler des bulles de savon. N’ont-ils pas entendu parler de la menace du changement climatique ou des défis de la production d’énergie durable ? Si, nous en avons entendu parler. Or s’attaquer à ces problèmes mondiaux nécessite une plus grande diversité de voix scientifiques et le soutien d’un public à la fois avide de découvertes scientifiques et confiant dans les méthodes employées à cet égard.

En levant le voile sur la science de la vie quotidienne, nous espérons préparer de nombreuses personnes à s’épanouir dans un monde de plus en plus technologique et à mettre leur conscience et leur passion au service de la protection de la planète.

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    David Fairhurst est maître de conférences à l’université de Nottingham Trent, en Angleterre, où il étudie le flux et l’évaporation dans le sang, les bulles, les gouttes et les flaques d’eau. Il enseigne la relativité générale et la communication scientifique et dirige le programme de deuxième cycle.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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