Paléontologie : nouveaux indices sur les derniers jours des dinosaures

La découverte d'un site fossilifère « exceptionnel » en Amérique du Sud offre aux scientifiques une nouvelle fenêtre sur la vie des dinosaures avant le cataclysme à l'origine de leur extinction.

De Riley Black
Publication 30 oct. 2023, 19:00 CET
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Un troupeau d'hadrosaures tente d'échapper à un incendie dans cette vision d'artiste. Ces dinosaures herbivores sont très répandus sur les sites fossilifères du Crétacé supérieur de l'hémisphère Nord, mais ils se font plutôt rares dans le registre fossile de l'hémisphère Sud.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration by De Agostini, Getty Images

L'âge d'or des dinosaures s'est achevé dans les flammes. Il y a 66 millions d'années, un astéroïde colossal a percuté l'Amérique Centrale et déclenché la cinquième extinction massive de l'histoire de notre planète, emportant avec elle 75 % des espèces connues à ce jour.

La majorité de nos connaissances sur ce virage fatal pour l'histoire de la vie nous vient d'Amérique du Nord, grâce aux fantômes de dinosaures comme le T. rex et le Triceratops mis au jour dans l'Ouest américain. Pour les paléontologues, les conséquences de la catastrophe sur les régions situées plus au sud restent entourées de mystère, mais la récente découverte d'un lit à ossements de dinosaures en Argentine pourrait bien changer cela.

Connu sous le nom de carrière Cañadón Tomás, le site fossilifère présente « un potentiel exceptionnel » pour nous en apprendre plus sur la façon dont l'extinction massive s'est déroulée en Amérique du Sud, assure Matthew Lamanna du musée Carnegie d'histoire naturelle de Pittsburgh. Parmi les découvertes réalisées sur le site, citons notamment divers ossements de dinosaures à bec de canard appelés hadrosaures qui vivaient peut-être en troupeau, ainsi que la dent d'un dinosaure carnivore, une vertèbre de serpent et la mâchoire d'un petit mammifère. Ces trouvailles nous montrent que la roche a conservé les animaux de cet écosystème préhistorique sans distinction de taille.

Aperçu du site Cañadón Tomás, qui pourrait renfermer tout un écosystème de dinosaures et d'autres créatures qui peuplaient la région juste avant l'impact.

PHOTOGRAPHIE DE Dr. Matthew Lamanna, Carnegie Museum of Natural History

De nos jours, la zone n'est qu'un désert recouvert de broussailles, mais juste avant la catastrophe cette région sud-américaine bénéficiait d'un climat chaud et humide, avec une végétation composée de fougères et de palmiers. De précédentes études montrent que la carrière Cañadón Tomás était parcourue par un cours d'eau qui se jetait dans la mer après avoir traversé d'immenses plaines inondables, comme nous l'explique la paléontologue Noelia Cardozo de l'université nationale de Patagonie San Juan Bosco. C'est grâce à cet habitat d'eau douce que les créatures ont pu être ensevelies et préservées pour nous offrir à présent une fenêtre inespérée sur la vie dans cette région du monde à la fin du Crétacé.

« On recense nettement moins de sites contenant des fossiles de vertébrés terrestres datant de la toute fin du Crétacé dans l'hémisphère Sud » indique Lamanna, qui a récemment présenté le site argentin lors du congrès annuel de la Société américaine de géologie.

Même s'il est vrai que les roches porteuses de fossiles du Crétacé sont plus difficiles à trouver dans l'hémisphère Sud, poursuit Lamanna, les experts consacrent également bien plus de temps et d'efforts à la recherche de fossiles de cette époque dans l'hémisphère Nord. « Il y a moins de chercheurs dans l'hémisphère Sud et ils sont souvent moins bien financés, » témoigne Alexander Vargas, paléontologue à l'université du Chili, non impliqué dans la nouvelle étude. C'est pourquoi nous obtenons aujourd'hui ce portrait asymétrique de la situation avant et après l'impact de l'astéroïde.

Le site de Cañadón Tomás permet aujourd'hui de réécrire cette histoire. Avec ses grands herbivores, ses traces de carnivores et d'animaux plus petits, la carrière offre une fenêtre inédite sur un écosystème tout entier qui prospérait à l'époque des dinosaures.

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    Gabriel Casal de l'université nationale de Patagonie San Juan Bosco (à gauche), Matthew Lamanna du musée Carnegie d'histoire naturelle (au centre) et Derek Fikse du Lehigh Valley Health Network (à droite) examinent un fragment de mâchoire attribué au premier mammifère du Crétacé découvert dans le bassin du golfe San Jorge.

    PHOTOGRAPHIE DE Kara Fikse, Carnegie Museums of Pittsburgh

    NOUVEAUX FOSSILES

    En 2020, les chercheurs de l'université nationale de Patagonie San Juan Bosco étaient à la recherche de nouveaux sites fossilifères en Patagonie lorsque le paléontologue Bruno Alvarez est tombé sur l'extrémité d'un os de patte. Ce n'était pas qu'un simple fragment isolé. Sous une pluie torrentielle, l'équipe a poursuivi les recherches pour finalement révéler un lit d'ossements tout entier.

    Après avoir mis au jour d'autres ossements à Cañadón Tomás, les experts ont rapidement compris qu'il ne s'agissait pas d'un seul dinosaure, mais bien de plusieurs individus d'âges différents, les signes d'un potentiel troupeau.

    Les hadrosaures ont éveillé l'intérêt de Lamanna car les dinosaures à becs de canard sont relativement rares en Amérique du Sud. De telles découvertes sur le continent aboutissent souvent à l'introduction d'une nouvelle espèce, comme l'hadrosaure Gonkoken nanoi présenté plus tôt cette année par Vargas et ses collègues à partir de fossiles découverts au Chili.

    Malgré tout, il en fallait plus pour impressionner les paléontologues. « Honnêtement, je n'ai pas été spécialement captivé par le site au départ, » se souvient Lamanna. L'équipe responsable des fouilles étudiait d'autres sites répartis à travers le cours supérieur du Río Chico. Tout ce qu'il manquait pour amener Lamanna à revoir sa position sur le site de Cañadón Tomás était un simple ratissage à la recherche de petits fossiles.

    « Dès que la petite mâchoire de mammifère est apparue, après pas moins de deux heures de recherche, j'ai complètement changé d'avis, » raconte Lamanna.

    Le fragment de mâchoire supérieure et ses cinq petites dents proviennent d'un mammifère du Crétacé connu sous le nom de regitherid. « C'était un petit mammifère herbivore aisément reconnaissable à ses dents hautement spécialisées recouvertes de crêtes et de sillons microscopiques, » nous explique Lamanna. L'animal ressemblait probablement à un rongeur de la taille d'un écureuil, avec des dents conçues pour broyer des plantes. Personne n'avait encore trouvé de mâchoire de mammifère fossilisée sur ce bassin géologique. Tout à coup, les scientifiques prenaient conscience du potentiel du site à révéler de nouveaux détails sur la vie de divers animaux juste avant l'extinction.

    À mesure que les experts ont intensifié les fouilles, d'autres découvertes aussi petites que significatives ont suivi : la dent d'un dinosaure carnivore de la famille des abélisauridés, comme Carnotaurus, ainsi que la griffe d'un théropode plus petit de la famille des nosauridés. La roche de Cañadón Tomás a également révélé la vertèbre d'un petit serpent, ce qui souligne toute la diversité préservée par le site.

    L'étudiante de second cycle à l'université nationale de Patagonie San Juan Bosco, Noelia Cardozo, utilise une boussole pour consigner l'orientation des fossiles de la carrière Cañadón Tomás.

    PHOTOGRAPHIE DE Dr. Gabriel Casal, UNPSJB-PV

    SECRETS DE LA PRÉHISTOIRE

    La présence de petits animaux est un témoin important sur les sites fossilifères. Ils offrent souvent plus de renseignements sur la composition de l'écosystème local, par rapport aux dinosaures plus grands dont l'aire de répartition est généralement plus étendue. En outre, puisque les squelettes de petite taille ont tendance à se décomposer plus rapidement que les os robustes et massifs des grands dinosaures, les petits fossiles constituent une découverte particulièrement rare. En étudiant par exemple les mâchoires de mammifères toujours porteuses de dents, les paléontologues sont en mesure de mieux cerner la condition des ancêtres de l'Homme au fil du temps.

    La collection de fossiles issue de Cañadón Tomás permettra aux scientifiques de tester leurs hypothèses sur cette période critique. Certaines études suggèrent que le nombre d'espèces de dinosaures aurait diminué dans l'hémisphère Nord vers la fin du Crétacé, accentuant ainsi leur vulnérabilité à l'extinction. « On présume souvent que les continents de l'hémisphère Sud ont connu un scénario similaire, mais était-ce vraiment le cas ? » s'interroge Lamanna.

    Alors que l'ensemble des dinosaures non aviens ont disparu après l'impact, les experts se heurtent toujours à un degré d'incertitude quant au destin des espèces survivantes dans l'hémisphère Sud. « La distance avec le site d'impact a pu favoriser la survie de certains groupes dans les terres australes, comme les mammifères monotrèmes et les ancêtres des marsupiaux modernes » indique Vargas. Cela expliquerait pourquoi ces groupes de mammifères sont présents dans l'hémisphère Sud de nos jours tout en étant presque totalement absents plus au nord.

    Les fouilles et l'analyse des fossiles mis au jour sur le site de Cañadón Tomás suivent leur cours à l'heure actuelle. L'équipe prévoit de retourner sur place cette année, puis début 2024, indique Cardozo. Chaque découverte a le potentiel d'apporter de nouveaux éléments au tableau que nous dressons de la vie à la fin du Crétacé, peu de temps avant le funeste cataclysme. « C'est toujours une bonne nouvelle de trouver plus de fossiles… et de meilleure qualité » déclare Vargas. De son côté, Lamanna garde bon espoir quant aux futures découvertes de son équipe lors des prochaines expéditions.

    « Si notre équipe a déjà trouvé les fossiles d'un serpent, de deux ou trois familles de dinosaures et d'un mammifère en ayant seulement gratté la surface, qui sait ce que nous cache encore ce site ? » se réjouit-il.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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