À qui appartenait ce pendentif vieux de 20 000 ans ?

Une technique révolutionnaire permet d'extraire l'ADN humain d'objets en os datant d’il y a des milliers d’années, offrant ainsi aux scientifiques un aperçu historique de leurs propriétaires ou créateurs.

De Tom Metcalfe
Publication 5 mai 2023, 15:43 CEST
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Dans la salle propre du laboratoire de l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutive de Leipzig, en Allemagne, Matthias Meyer, généticien, est en train de travailler. Il fait partie d'une équipe qui a mis au point une technique permettant d'extraire de l'ADN humain à partir d'objets anciens en os d'animaux : une première.

PHOTOGRAPHIE DE Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology

L'ADN ancien a révolutionné l'archéologie. Il est désormais possible de déterminer le sexe et l'ascendance d’Hommes ayant vécu il y a des millénaires de cela en amplifiant le matériel génétique subsistant dans leurs restes. Les études sur l'ADN ancien couvrent désormais des centaines de milliers d'années et permettent de mieux comprendre certains événements qui ont eu lieu il y a bien longtemps, comme les migrations des premiers Américains et des Hommes de Néandertal.

Une nouvelle étude publiée dans la revue Nature rapporte que des scientifiques ont extrait de l'ADN humain d'un pendentif en dent de cerf probablement porté par une femme il y a environ 20 000 ans. C'est la première fois que de l'ADN humain ancien est extrait d'un objet fabriqué à partir d'un animal. Les chercheurs espèrent qu’à l’avenir, en utilisant cette méthode révolutionnaire, il sera possible de découvrir des informations primordiales telles que l'espèce d'hominine, membre de la lignée humaine, qui a fabriqué un outil en os ou encore la manière dont nos lointains ancêtres répartissaient les tâches entre les sexes, comme la couture des peaux ou la fabrication de pointes de lance en os. Cette nouvelle technique d'extraction de l'ADN permet également de dater des objets anciens en os sans les endommager, ce qui est un avantage par rapport à la datation au carbone 14 qui détruit un petit échantillon du matériau.

« Il s'agit d'une preuve de concept », indique Matthias Meyer, l'un des auteurs principaux de l'étude, généticien à l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutive de Leipzig, en Allemagne. « Il faudra un certain temps avant que cela nous apporte de nouvelles connaissances... mais ce sera énorme. »

 

UN PENDENTIF DATANT DU PALÉOLITHIQUE

Matthias Meyer et ses collègues ont étudié un pendentif fabriqué à partir d'une dent de cerf découvert dans la grotte de Denisova, en Sibérie, en 2021. La grotte a été occupée par différents groupes d'hominines pendant environ 50 000 ans. Elle est devenue célèbre en 2010 avec la découverte d'une espèce humaine inconnue jusqu'alors, les Hommes de Denisova. Le pendentif provient d'une couche de sédiments datant d'environ 20 000 ans, lorsque la grotte était habitée par l'Homo sapiens

Jusqu'à présent, il était impossible d'extraire de l'ADN humain ancien d'un tel objet. D'ordinaire, un échantillon était prélevé dans la dent et broyé dans l'espoir d’identifier l'ADN du cerf dont il provenait. La nouvelle technique qui consiste à laver l'objet dans une solution de phosphate de sodium a cependant permis de récupérer les deux séquences d'ADN anciens, celui du cerf et celui de l'Homme qui l'a fabriqué ou porté, sans endommager le pendentif.

Vue de dessus du pendentif en dent de cerf découvert dans la grotte de Denisova, dans le sud de la Sibérie. Il a probablement été porté par une femme il y a environ 20 000 ans.

PHOTOGRAPHIE DE Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology

Elena Essel, biologiste moléculaire, l’une des auteurs principaux de l'étude et doctorante à l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutive, explique que les chercheurs ont essayé différentes substances chimiques jusqu'à trouver la plus adéquate : le phosphate de sodium.

La méthode d'extraction de l'ADN consiste à plonger plusieurs fois le pendentif dans de nouveaux bains de solution, à des températures croissantes allant jusqu'à près de 90 °C.

Les chercheurs se sont appuyés sur leurs connaissances en génétique des cervidés et humaine pour distinguer l'un, un wapiti (Cervus canadensis), de l'autre, un Homo sapiens. Cela leur a également permis de déterminer à la fois le sexe et l'ascendance de l’être humain, révélant que cette femme descendait d'anciens Eurasiens du Nord, une population qui, jusqu'à présent, n'avait été recensée que plus loin à l'est.

Les chercheurs ont également daté le pendentif en calculant le nombre de mutations dans l'ADN ancien et en les comparant aux génomes modernes. Les deux ADN, du cerf et de l'homme, dateraient de 19 000 ans au minimum et 25 000 ans au maximum, ce qui représente une fourchette plus large que celle fournie par la datation au carbone 14, précise à quelques décennies près dans certains cas. Ici la datation a été réalisée sans endommager le pendentif, contrairement à la méthode précédente, précise Elena Essel.

 

UNE VÉRITABLE AVANCÉE DANS LE DOMAINE ARCHÉOLOGIQUE

Marie Soressi, archéologue de l'université de Leyde aux Pays-Bas et l'une des principaux auteurs de l'article, explique que les objets anciens en os ne sont pas aussi fréquemment découverts que ceux en pierre dans les sites archéologiques préhistoriques, peut-être parce qu'ils se décomposent souvent avec le temps. Il en existe tout de même un certain nombre, notamment des figurines, des aiguilles à coudre, des outils pour tailler le silex, ainsi que des pointes de lance et de flèche. « Pour la première fois, nous pouvons établir une corrélation entre un objet [en os] spécifique et un individu en particulier, en fonction du sexe biologique de l'individu ou de son ascendance », déclare-t-elle.

En plus de nous révéler si la couture ou l'art étaient des activités pratiquées principalement par un sexe ou l'autre, la technique pourrait également nous permettre de déterminer si les Hommes de Néandertal ou les Homo sapiens fabriquaient les objets en os qui ont été découverts dans des endroits où les deux espèces vivaient, ajoute-t-elle.

Les chercheurs étudient encore la durée pendant laquelle un objet en os doit être manipulé pour s’imprégner de l'ADN humain. Selon Marie Soressi, le pendentif a probablement été porté à même la peau pendant des mois ou des années. Toutefois, l'ADN humain peut également provenir de la personne qui l’a fabriqué et manipulé pendant une période relativement courte.

Kendra Sirak, généticienne au département de biologie évolutive humaine de l'université d'Harvard, qui n'a pas pris part à la présente l'étude, constate que la nouvelle méthode « non destructive » d'extraction de l'ADN ancien permettra de préserver les objets anciens en os, assez délicats, pour les archéologues ayant potentiellement recours à des techniques d'analyse différentes. « L'avantage de cette technique est qu'elle préserve l'intégrité d'un objet ancien, ce qui signifie que d'autres personnes peuvent effectuer différents types d'études sur celui-ci », explique-t-elle.

Selon Marie Soressi, les archéologues qui espèrent utiliser la nouvelle technique devront prendre des mesures spéciales lors de la mise au jour de l'objet afin d’éviter de contaminer l'ADN ancien avec du matériel génétique moderne, notamment en portant des gants et des masques pendant les fouilles et en enfermant celui-ci rapidement dans un sac en plastique. « Les méthodes de travail devront évoluer », indique-t-elle

La technique nécessitera également une coopération encore plus étroite entre les archéologues qui mettent au jour les objets en question et les généticiens qui les testeront. Les deux professions discutent déjà de la manière de maximiser les chances de récupérer de l'ADN ancien avant qu'une pelle ou une truelle ne soit plantée dans le sol, explique Kendra Sirak : « l'ADN n’est plus vu comme quelque chose dont on se soucie après coup. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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