Turbulences en avion : d’où viennent-elles et comment réagir à bord ?
Les turbulences peuvent faire peur mais la science explique ce phénomène naturel et donne des astuces pour voyager en toute sécurité.

Montagnes, tempêtes et jet stream affectent les turbulences que l’on ressent en avion. Bien qu’elles fassent plus de peur que de mal, quelques passagers se blessent chaque année à cause d’elles.
Les turbulences font partie des aléas normaux des voyages en avion : tout le monde a sa propre petite histoire à raconter à propos de ces trous d’air. Ce moment qui donne la chair de poule lorsque l’avion fait une embardée. Cette sensation que l’estomac se noue. Les boissons qui dérapent. Les passagers qui trébuchent dans les allées. Dans de rares cas, elles peuvent être à l’origine d’accidents.
En avion, les turbulences sont une source de stress pour de nombreux voyageurs, habitués des voyages en plein ciel ou non. Les comprendre, savoir où elles se produisent et connaître les outils que les pilotes utilisent pour assurer la sûreté des avions et le confort des passagers pourrait aider à apaiser les craintes des voyageurs, même des plus angoissés.
PAR QUOI SONT CAUSÉES LES TURBULENCES ?
La définition d’une turbulence est assez claire : « état de l'air affecté par de multiples mouvements verticaux convectifs ou non ». Si vous avez déjà observé un filet de fumée qui se décompose soudainement en plusieurs parties, alors vous avez été témoin de turbulences.
Elles peuvent se produire n’importe où, tant au niveau du sol qu’en très haute altitude, loin au-dessus des routes qu’empruntent les avions. Mais celles que l’on subit le plus en voyage peuvent être provoquées à cause de trois raisons : les montagnes, le jet stream et les tempêtes.
Tout comme les vagues de l’océan se brisent sur une plage, l’air forme également ses propres vagues quand il rencontre des montagnes. L’air passe parfois sans encombre par-dessus et continue sa route. D’autres fois, des masses d’air s’amassent contre les chaînes de montagnes elles-mêmes, sans autre option que de monter.
Ces « vagues de montagnes » peuvent n'être que de simples oscillations calmes dans l’atmosphère. Mais elles peuvent également devenir de forts courants venteux, qui engendrent ce que l’on appelle des turbulences.
Certaines turbulences sont associées au jet stream, un courant d’air rapide, souvent horizontal, qui se trouve près des pôles. Les avions traversent parfois des zones où les vents soufflent à leur plus haute vitesse. En s'éloignant de telles zones, la force des vents diminue, et leur vitesse fait de même. En décélérant, les vents créent des zones de cisaillements, des zones où ils soufflent à des vitesses et dans des directions différentes. C'est là que se produisent souvent les turbulences.
Bien qu’il soit facile de comprendre comment les turbulences peuvent être créées par des tempêtes, une découverte relativement récente des chercheurs révèle que celles-ci génèrent parfois des conditions cahoteuses dans des zones éloignées.
La croissance rapide d’une tempête repousse l’air qui l’entoure, produisant ainsi des vagues dans l’atmosphère susceptibles de provoquer des turbulences à des centaines, voire des milliers de kilomètres de là, explique Robert Sharman, chercheur spécialisé en turbulences au Centre national de recherches atmosphériques américain (National Center for Atmospheric Research, NCAR).
Chacun de ces scénarios peut provoquer des « turbulences par temps clair ». Elles sont les moins prévisibles et les moins observables. Ces turbulences sont souvent les coupables qui se cachent derrière les blessures modérées, parfois sévères, qui peuvent survenir en avion parce qu’elles se produisent tellement brusquement que le personnel de bord n’a pas le temps de demander aux passagers de s’asseoir.
Selon l’Administration fédérale de l’aviation des États-Unis, 40 passagers et 166 membres du personnel de bord ont été gravement blessés à cause de turbulences entre 2009 et 2023.
LES PRÉVISIONS DE TURBULENCES ANNONCENT-ELLES UN TRAJET CAHOTEUX ?
Bien que les prévisions météo et les rapports des pilotes permettent d’éviter des zones de turbulences, ce sont des outils qui rouillent assez vite, explique Robert Sharman. Les modèles météorologiques ne peuvent prédire des turbulences à l’échelle des avions, et les rapports des pilotes sont souvent imprécis, comportant des marges d’erreur de plusieurs dizaines de kilomètres.
Au sein du NCAR, Robert Sharman travaille depuis 2005 à la construction d’outils permettant de traquer les turbulences en temps réel. Le secret derrière ce dispositif ? Un algorithme déjà présent sur environ 1 000 long-courriers, qui analyse les informations captées par des détecteurs à bord afin de caractériser chaque mouvement de l’avion.
En se basant sur les données de vélocité, de vitesse de l’air, de la pression atmosphérique, de l’angle de roulement et d’autres facteurs, l’algorithme génère un niveau de gravité locale des turbulences atmosphériques, envoyé chaque minute au système national américain.
Associé aux prévisions météo nationales et aux modèles, cet outil annote les prévisions avec les conditions observées en temps réel, ce qui, en retour, permet d’améliorer les modèles de prévisions météo.
Les compagnies aériennes se servent de tels outils prédictifs et de l’intelligence artificielle pour vérifier les conditions le long de leurs routes aériennes. En plus des avions domestiques américains d’ores et déjà équipés de l’algorithme de Robert Sharman, des long-courriers internationaux, comme ceux de Qantas, Air France et Lufthansa, devraient eux aussi bénéficier de cette technologie à l’avenir. Boeing a commencé à proposer l’algorithme en option lors de l’achat d’un nouvel appareil, ajoute Robert Sharman.
« Nous comprenons mieux l’atmosphère à présent, et nos connaissances informatiques nous permettent de fournir de meilleures descriptions des turbulences », continue Robert Sharman. « Par nature, une turbulence est si chaotique que nous avons besoin d’une grande puissance informatique pour visualiser ce qui est en train de se passer. Cette stratégie d’observation est une véritable percée pour nous. »

LES TURBULENCES PEUVENT-ELLES PROVOQUER DES CRASH ?
Une partie de l’angoisse qui entoure les turbulences, c’est la peur du crash. Il s’agit d’une réponse naturelle.
« J’ai déjà vu une personne commencer à crier que nous allions tous mourir parce qu’elle avait vu l’ailette se plier », se souvient Marilyn Smith, ingénieure aéronautique de Georgia Tech. « Heureusement que les ailes se plient ! Si elles étaient rigides au point de ne pas pouvoir plier, l’avion serait probablement tellement lourd qu’il ne pourrait pas voler. Toutes les parties de tous les avions ont subi des tests d’une rigueur poussée au maximum : elles ne peuvent pas se casser en vol. »
En plus des tests physiques menés en laboratoire, où des avions entiers sont soumis à un stress bien supérieur que ce qu’ils subissent en plein air, Marilyn Smith explique que l’informatique moderne a rendu possible la modélisation numérique d'un plus grand nombre de scénarios hypothétiques.
La surveillance de problèmes de maintenance s’est également améliorée. Des détecteurs présents à bord surveillent les composants que l'on sait être vulnérables à l’usure et envoient une notification quand vient le moment d’inspecter ou de remplacer ces pièces.
La conception des avions pourrait-elle être modifiée pour supprimer cette expérience désagréable que sont les turbulences ? Marilyn Smith explique que c’est peu probable, du moins pas dans un avenir proche. L’un des domaines de recherche de l’aéronautique se concentre sur la possibilité d’une réaction instantanée aux courants soudains en altérant le passage de l’air autour de l’aile elle-même.
Cependant, Marilyn Smith avertit qu’il s’agit d’un problème extrêmement compliqué à résoudre tout en gardant un avion léger, abordable et qui ne consomme pas trop d’énergie.
Fassi Kafyeke, directrice des innovations chez Bombardier, un fabricant aéronautique, s’intéresse à la technologie de propulsion électrique pour changer la forme et l’aspect des avions de demain. Cette technologie permettrait de se libérer du besoin de placer les moteurs sous les ailes des avions ; les petits moteurs électriques pouvant être placés n’importe où sur l’appareil, accompagnés de plus petites turbines pour le propulser en avant.
Bien que des changements de design, tels que celui-ci, ne résoudraient que les soucis d’efficacité énergétique, les turbulences sont un facteur qui influent sur les performances et la consommation énergétique d’un avion. Les trajectoires de vol et les changements d’altitude permettant d’éviter les turbulences ont un coût, estimé pour les compagnies aériennes américaines à peu près 100 millions de dollars américains par an (85 millions d'euros). Cela pousse également les avions à consommer 600 millions de litres de carburant par an.
Le changement climatique pourrait encore faire grimper ces coûts. Paul Williams, un scientifique atmosphérique de l’université de Reading, au Royaume-Uni, a estimé qu’entre 2050 et 2080, les changements dans le jet stream dus à la crise climatique seront multipliés par deux en Amérique du Nord, dans le Pacifique Nord et en Europe. Le scientifique travaille en ce moment avec Airbus à traduire ces projections en paramètres de conception pour avion.
« Les avions que les fabricants conçoivent aujourd’hui seront toujours en service en 2050, 2060 et 2070 et ils auront besoin de supporter les secousses qu’ils subiront », explique Paul Williams. « Nous n’en sommes encore qu’au début, mais les fabricants se demandent déjà s’ils auront besoin de modifier les fuselages pour rendre leurs appareils plus résistants. »
COMMENT SE PRÉPARER AUX TURBULENCES ?
En plus de ces connaissances sur la météorologie et l’ingénierie, il existe également quelques bonnes stratégies pour prévoir et surmonter le stress induit par les turbulences à bord.
Les turbulences sont souvent plus importantes tard dans la journée. Heather Poole, hôtesse de l'air depuis vingt-et-un ans et autrice du livre Cruising Altitude, recommande de prendre un avion tôt dans la journée et de s’asseoir le plus à l’avant possible de l’appareil.
« Les turbulences se font souvent ressentir à l’arrière de l’avion », explique-t-elle. « Il y a eu quelques fois où j’ai vu des passagers en classe éco s’accrocher à ce qu’ils pouvaient comme si leur vie en dépendait ; j’ai dû passer un appel au pilote pour qu'il leur explique la situation, car [dans le cockpit] ils ne ressentent pas les turbulences comme les passagers. »
Restez attaché, même quand le signal lumineux est éteint, ajoute Heather Poole. Même une ceinture peu serrée vous évitera de vous cogner la tête sur les compartiments à bagages au-dessus de vous. Ne vous faites pas passer votre enfant à bout de bras à travers les allées, et ne tendez pas votre tasse de café au personnel navigant qui tente de sécuriser des objets.
Elle suggère également de mentionner votre peur au personnel navigant. Ils s’assureront de venir prendre de vos nouvelles en cas de turbulences. En outre, des applications comme My Radar ou Soar, peuvent aider à lever le voile du mystère sur ce qu’il se passe dans le ciel, cela peut vous rassurer.
« C’est ça la peur : cette sensation de ne pas avoir de contrôle », déclare Heather Poole. « Si vous en apprenez plus sur la météo et sur ce que sont les turbulences et où elles se trouvent, vous aurez une meilleure compréhension du phénomène et de ses causes, et tout ira bien. »
Michelle Z. Donohue est une écrivaine indépendante spécialisée en nature, science et technologie.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
