Au cœur de la fournaise, dans les tunnels de lave d'Hawaï

Explorez les immenses labyrinthes souterrains façonnés par des siècles d’éruptions volcaniques.

De Joshua Foer
L’éruption, l’an dernier, du Kīlauea sur l’île d’Hawaii a précipité des rivières de lave dans l’océan. ...
L’éruption, l’an dernier, du Kīlauea sur l’île d’Hawaii a précipité des rivières de lave dans l’océan. Une partie de la roche en fusion s’est écoulée via des tunnels façonnés par des éruptions précédentes. D’autres coulées ont formé de nouveaux tunnels, qui ont ajouté des branches au réseau souterrain.
PHOTOGRAPHIE DE CJ Kale

Spéléologues confirmés, Ann et Peter Bosted roulaient, il y a quelques années, vers Hawaiian Ocean View, leur lieu de résidence sur l'île d'Hawaii, quand Ann remarqua une petite cavité sur le bas-côté de la route. L’ouverture ne faisait pas plus de 1 m, mais elle était assez large – et intrigante – pour que le couple se gare et décide d’aller y voir de plus près. 

« Nous avions un peu de temps devant nous, se rappelle Peter, alors nous l’avons inspectée, avant de découvrir un passage latéral qui s’est avéré beaucoup plus complexe que prévu. » De retour chez eux, Peter indiqua la puka (l’entrée de la grotte) sur une carte numérique dans le but d’y retourner, avec l’accord du propriétaire du terrain, pour voir où les mènerait cette ouverture. 

Sur les cinq volcans de l’île d’Hawaii, seuls trois – le Kilauea, le Mauna Loa et l’Hualalai ont connu des éruptions depuis 1800. Le cratère Puu Oo, sur le Kilauea, est en éruption continue depuis 1983.
PHOTOGRAPHIE DE Matthew W. Chwastyk, ÉQUIPE DU NGM SOURCES : USGS, OBSERVATOIRE DES VOLCANS D’HAWAII (HVO) ; SERVICE DES PARCS NATIONAUX

 

Vue du ciel, la petite ville de Hawaiian Ocean View évoque un patchwork de rubans d’asphalte étalé sur le flanc du volcan Mauna Loa. Cet entrelacs de rues et de terrains vacants de 264 km2 abrite à peine 4 500 habitants. Mais, depuis vingt ans, c’est une destination prisée des spéléologues, qui viennent explorer et cartographier le Kipuka Kanohina, un réseau de grottes de lave s’étalant entre 5 et 25 m de profondeur sous la ville. 

Une grotte peut naître de deux façons : lentement ou rapidement. La plupart des cavités les plus spectaculaires du monde – comme celles de Carlsbad, au Nouveau-Mexique – se sont formées pendant des millions d’années, et résultent du goutte à goutte et de l’écoulement obstiné d’une eau acide à travers le calcaire soluble. 

 

 

À l’inverse, les grottes de lave, plus connues sous le terme de « tunnels de lave », naissent en un clin d’oeil – un an ou deux, parfois quelques semaines –, à la suite d’une éruption volcanique. 

La plupart des tunnels de lave d’Hawaii sont dus à un type de coulée très fluide appelé pahoehoe. En dévalant les pentes d’un volcan, la lave de surface se refroidit à l’air, se solidifie et forme une couche externe élastique comme une peau. Sous cette membrane qui se dilate, la lave brûlante continue d’exsuder, érodant le sol et creusant des tunnels souterrains. Désormais à l’abri de l’air, elle déferle sans entrave, parfois sur de nombreux kilomètres. Quand l’éruption cesse et que les tunnels se vident de leurs derniers contenus en fusion, il reste un énorme dédale de boyaux. 

Jusqu’à présent, aucun autre endroit sur Terre n’a autant de tunnels de lave accessibles qu’Hawaii, et aucune ville n’offre un terrain aussi favorable à leur exploration qu’Ocean View. 

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      Le journaliste Joshua Foer se tient dans le Kazumura, le plus long tunnel de lave cartographié du monde : plus de 64 km. Les parois striées se sont formées au cours d’une éruption survenue il y a environ 600 ans.
      PHOTOGRAPHIE DE Carsten Peter

      Dans les années 1990, les Bosted ont activement participé à la cartographie des 222 km de la grotte de Lechuguilla, située dans le parc national des grottes de Carlsbad, classé sur la liste du patrimoine mondial. Aujourd’hui sexagénaires et presque à la retraite, ils font partie de la poignée de spéléologues confirmés qui se sont installés à plein temps à Ocean View. Ann a des nattes qui lui tombent jusqu’aux reins et Peter porte une chemise hawaïenne bariolée, une casquette blanche, des tongs et une barbe presque biblique. Ils confessent n’avoir jamais fait autant de spéléologie qu’aujourd’hui, passant tous deux, certaines années, plus de 200 jours sous terre. 

      Ann et Peter souhaitent me montrer la nouvelle puka repérée au bord de la route. Un couple de leurs amis se joint à nous. Barb et Don Coons sont céréaliers dans l’Illinois et spéléologues depuis toujours ; ils passent l’hiver à Ocean View. Âgé de 64 ans, Don a été guide à Mammoth Cave, le plus vaste réseau de grottes du monde, pendant dix ans ; il a dédié dix-huit hivers aux expéditions légendaires qui ont permis d’établir la carte de la grotte Chevé, au Mexique, la deuxième plus profonde d’Amérique du Nord. Et il préside l’ONG Cave Conservancy of Hawaii, qui rachète des terres dans et autour d’Ocean View pour sauvegarder les tunnels de lave de la localité. 

      Équipés de casques et de lampes frontales, de coudières et de genouillères, nous nous faufilons dans le trou et rampons, sur une centaine de mètres, dans un passage de moins de 1 m de haut. La lave a formé ce tunnel il y a des siècles. 

      Avec leurs décorations quasi psychédéliques, les tunnels de lave d’Hawaii semblent appartenir à une autre planète. De délicats stalactites de basalte pendent aux plafonds et sortent des parois, exhibant toutes sortes de formes étranges – dents de requin acérées ou fines aiguilles couvertes de gouttelettes gluantes. De longues excroissances creuses formées par le dégazage à mesure que la lave se refroidissait tombent du toit en épais bouquets. Çà et là, le vernis argenté des magnésioferrites plisse comme de la peinture écaillée. Ailleurs, une fine couche de gypse colore les parois d’un blanc brillant. 

      Notre petite armée progresse jusqu’à un croisement. Le plafond se trouve à moins de 30 cm du sol dentelé et coupant. « On s’amuse comme on peut », lance Peter, pince-sans-rire, pendant que nous nous tortillons sur le ventre dans ce couloir effroyablement étroit ; j’entends distinctement mon tee-shirt se déchirer sur le sol hérissé de pointes de lave acérées. Le passage est si exigu que nous devons même ôter nos casques ; nous avançons en nous contorsionnant dans le noir. 

      Malgré nos écorchures, nos bleus et nos vêtements en lambeaux, la récompense est au rendez-vous : nous venons d’ajouter 47,06 m de tunnels de lave sur la carte du réseau de Kipuka Kanohina. Cela peut paraître modeste mais, grâce à des jours comme celui-là, la carte est sur le point d’être achevée au rythme de 5 000 à 7 000 m par an. Le Kanohina sera bientôt le plus long réseau relevé de tunnels de lave du monde.  

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        Une section du Kipuka Kanohina se ramifie en trois tunnels qui se rétrécissent. Évoluer sur des roches volcaniques est périlleux : elles peuvent déchirer les vêtements et entailler la peau. Des blocs de lave tranchants se détachent aussi parfois du plafond.
        PHOTOGRAPHIE DE Carsten Peter

        Le tunnel que le réseau de Kanohina semble sur le point de supplanter dans le Livre Guinness des records se trouve de l’autre côté de l’île d’Hawaii. Il a sans doute été formé au xve siècle par l’éruption d’un autre volcan : le Kilauea. 

        Le Kazumura est le plus long tunnel de lave cartographié à ce jour (plus de 64 km), et le plus profond. Bien que son plafond ne soit jamais à plus de quelques dizaines de mètres de la surface terrestre, le dénivelé du tunnel – de son point le plus élevé, à mi-hauteur du volcan, à son terminus, au bord du rivage – est de 1 101 m. 

        À la différence du réseau de Kanohina, qui se compose d’une série de passages ramifiés évoquant le delta d’un fleuve, le Kazumura consiste essentiellement en un seul et gigantesque tunnel. En certains endroits, sa largeur et sa hauteur sont telles (plus de 18 m) qu’ il pourrait sans problème abriter un métro. Malgré la forme caverneuse du Kazumura, sa première exploration complète n’a eu lieu qu’en 1995 et a été réalisée en deux jours. 

        « C’est un trésor national, mais il y a des gens qui vivent juste au-dessus sans savoir que cette grotte existe », constate Harry Shick, qui propose un circuit découverte de la portion du Kazumura qui traverse sa propriété. 

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          Les stalactites de lave accrochées au toit du tunnel sont formées par des éclaboussures de la lave qui s’écoulent dans le tunnel et qui se refroidissent en prenant une forme de stalactite.
          PHOTOGRAPHIE DE Carsten Peter

          Il existe apparemment une omerta autour des tunnels de lave de l’île d’Hawaii. La majorité des spéléologues et des écologistes préféreraient que les curieux ne localisent jamais leurs découvertes. Quand les Bosted ont proposé de me mener à la grotte de Manu Nui, qu’ils cartographient depuis 2003, c’était à la condition que National Geographic ne révèle pas sa position, sinon pour signaler qu’elle fut créée par l’Hualalai, le troisième volcan le plus actif dans l’histoire de l’île, après le Mauna Loa et le Kilauea.

          Manu Nui est, à bien des égards, le joyau des grottes d’Hawaii. Avec une déclivité moyenne de 15,7°, c’est l’un des tunnels de lave les plus pentus de l’île, et son aspect a quelque chose d’irréel. Après y avoir pénétré par une puka située sur une propriété privée, nous grimpons vers une chambre souterraine fantasmagorique. Les parois éclaboussées de projections de lave couleur chocolat, cerise et caramel paraissent si savoureuses que je serais presque tenté de les lécher. 

          Les Bosted tiennent expressément à ce que nul visiteur ne touche ces formations uniques. Les stalagmites de basalte sont très fragiles ; il suffit d’un geste inadapté pour qu’un tunnel soit défiguré. Harry Shick a inspecté avec soin plusieurs kilomètres du Kazumura et remis en place des morceaux de lave tombés au sol avec de la colle extraforte.

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            L’aspect visqueux de la paroi du tunnel, dans la grotte de Manu Nui, est dû à l’oxydation du fer, abondant dans ces laves.
            PHOTOGRAPHIE DE Carsten Peter

            « Nous ne comprenons pas encore complètement les écosystèmes de ces tunnels de lave, explique Lyman Perry, de la Division des forêts et de la vie sauvage d’Hawaii (DOFAW). C’est pourquoi nous ne souhaitons pas que les gens y pénètrent. Pour tout vous dire, s’ils découvraient ces cavités, ils finiraient par les détruire. »

            Les sensibilités culturelles qui entourent les tunnels sont encore plus délicates à gérer que leurs trésors géologiques. De nombreux peuples indigènes d’Hawaii considèrent que les tunnels de lave sont kapu, c’est-à-dire sacrés, car leurs ancêtres s’en servaient souvent de lieux d’inhumation. Dans la tradition hawaïenne, les ossements contiennent la mana d’une personne, son énergie spirituelle, et personne ne doit venir les déranger inutilement.

            Keoni Alvarez est un écologiste et un cinéaste de 31 ans qui s’est opposé à des projets de constructions immobilières sur des sites de grottes funéraires. Il est catégorique : la présence de dépouilles dans un tunnel de lave rend ce dernier entièrement kapu. « Pour nous, ces grottes sont sacrées et elles ne doivent pas être profanées », insiste-t-il. Le problème est que nul ne peut dire si un tunnel de lave particulier est un lieu d’inhumation tant qu’il n’a pas été exploré. Et de nombreux Hawaïens refusent de s’y aventurer par respect pour ce qu’ils pourraient y trouver.

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              Les piscines d’eau douces sont rares à Hawaii, et leur apparence engageante est trompeuse : les plongeurs peuvent être désorientés dans les passages tortueux et asphyxiés.
              PHOTOGRAPHIE DE Carsten Peter

              Si les Hawaïens contemporains cultivent la prudence envers ces tunnels, leurs ancêtres les utilisaient sans retenue. Nombre d’entre eux furent des habitations préhistoriques, comme le prouvent les traces de feu et les aménagements pour dormir retrouvés près des entrées. En cas de conflit, les tunnels de lave étaient scellés et utilisés comme « grottes refuges » pour cacher les femmes, les enfants et les vieillards. Dans certains cas, des pierres bouchaient l’entrée, laissant seulement un étroit passage pour une personne. 

              D’après un expert local, la moitié des tunnels de l’île contiendraient des objets d’intérêt archéologique. En particulier sur la côte sous le vent, plus aride, où les tunnels de lave étaient souvent les meilleurs endroits pour trouver de l’eau douce. Loin à l’intérieur du Kanohina, à des centaines de mètres des entrées, il n’est pas rare de tomber sur des restes de torches en bancoulier et sur des cercles de pierres où l’on calait jadis des gourdes pour recueillir l’eau coulant goutte à goutte.

              Don Coons et Peter Bosted insistent sur la différence entre aventure et exploration. L’aventure, c’est ce qu’on fait pour la sensation. L’exploration est lente, méthodique, et on ne la pratique jamais pour soi-même. Chaque tunnel exploré, y compris la section étroite et inconfortable du Kipuka Kanohina où nous avons rampé, exige d’être étudié avec méticulosité et cartographié à l’aide de clinomètres et de télémètres laser. « Les profondeurs océaniques, le cosmos et les grottes sont les dernières frontières, résume Dan Coons, qui utilise une lampe de poche scotchée à un casque léger pour ses explorations. Avec des moyens modestes, on peut entrer dans un endroit inexploré, y découvrir quelque chose de nouveau et être la seule personne au monde à l’avoir vu. »

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                La lave du volcan Kilauea jaillit des tunnels et rejoint le Pacifique. Une grande partie de ce paysage en transformation perpétuelle est inexplorée : à peine 10 % des tunnels de lave d’Hawaii auraient été cartographiés.
                PHOTOGRAPHIE DE Carsten Peter

                Retour à la puka, sur le bas-côté de la route. Allongés sur le ventre, nous sommes pris en tenaille entre le sol et le plafond. C’est alors que Peter prend une décision déconcertante. « Ça me paraît plutôt dangereux, dit-il d’un ton monocorde. Je suis trop compressé pour pouvoir continuer. » Il annonce qu’il fait demi-tour et nous laisse découvrir où mène le tunnel de lave.

                Quelques mètres plus loin, nous atteignons un amas de blocs trop lourds pour être déplacés dans notre position. Le tunnel s’arrête là. Pour le moment. Mais l’air frais qui nous caresse le visage ne peut signifier qu’une seule chose : ce tunnel se prolonge de l’autre côté. 

                Ce reportage a été publié dans le magazine National Geographic n° 213, daté de juin 2017.

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