Brain rot : les secrets de la décomposition du cerveau

Quand le cerveau cède à la putréfaction, ce n'est pas TikTok qu'il faut blâmer, mais l'autodestruction des cellules et une armée d’organismes affamés.

De Helen Bradshaw
Publication 16 mai 2025, 08:02 CEST
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Non, TikTok ne précipite pas la décomposition de votre cerveau. Celle-ci ne se produit qu'après la mort et bien que la plupart des cerveaux se décomposent rapidement, les chercheurs ont découvert un nombre surprenant de spécimens relativement bien conservés dans le registre archéologique. 

PHOTOGRAPHIE DE ZEPHYR, SCIENCE PHOTO LIBRARY

En 2024, les presses de l'université Oxford ont élu mot de l'année l'expression brain rot, de l'anglais brain, cerveau, et rot, que l'on pourrait ici traduire par décomposition, pourrissement ou encore dégénérescence, sorte de gangrène cérébrale donc. Skibidi, rizz, quoicoubeh, si ces mots ne sont pour vous qu'une succession de lettres incompréhensible, vous n'êtes peut-être pas aussi familier avec l'expression brain rot que ceux qui ont réussi à adopter le lexique des générations Z et Alpha. Malgré tout, vous avez probablement déjà observé (ou vécu) ses effets.

Le brainrot, c'est donc le prétendu déclin cérébral qui résulte des heures passées dans les méandres du monde numérique où tout ne semble que contenu trivial. Pourtant, si le doomscrolling sur TikTok risque bien de vous infliger quelque migraine, une fatigue oculaire et le son de la dernière trend en boucle dans les oreilles, « votre cerveau ne peut évidemment pas entrer en décomposition avant la mort », rassure Andy McKenzie, neuroscientifique au sein d'Apex Neuroscience, un organisme à but non lucratif basé en Oregon, aux États-Unis, qui étudie la préservation du cerveau, une branche de la recherche fascinante.

Même si la décomposition du cerveau peut connaître différents chemins, elle implique généralement la mort des cellules et une armée de décomposeurs affamés, pas le doomscrolling. Dans la plupart des cas, le cerveau se décompose rapidement après la mort, mais les chercheurs trouvent de plus en plus d'échantillons conservés depuis des centaines voire des milliers d'années. Si l'étude de ce phénomène reste difficile, elle pourrait toutefois nous en apprendre plus sur la vie des individus auxquels ces cerveaux ont appartenu.

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Ces fragments de cerveau proviennent d'un individu enterré dans le cimetière d'une workhouse (maison de travail, ndlr) de l'époque victorienne, au Royaume-Uni, il y a près de 200 ans. Aucun autre tissu mou n'a survécu parmi les ossements extraits de la tombe saturée d'eau.

PHOTOGRAPHIE DE Alexandra L. Morton-Hayward

 

APRÈS LA MORT, L'AUTODESTRUCTION DES CELLULES

Le cœur s'arrête de battre, les poumons ne respirent plus et le cerveau ferme le rideau, c'est le destin que nous connaîtrons tous. Dès notre mort, le processus de décomposition peut commencer. En l'absence de circulation sanguine, les cellules ne reçoivent plus l'énergie dont elles ont besoin pour vivre. « La cellule se passerait bien de mourir, mais le corps ne lui laisse pas le choix : elle se dégrade passivement », déclare McKenzie. 

Au niveau cellulaire, ce processus, l'autolyse, est responsable de la décomposition initiale du cerveau. « Le cerveau est l'organe le plus actif du corps sur le plan métabolique », indique Alexandra Morton-Hayward, anthropologue judiciaire à l'université d'Oxford. « Il représente 2 % de notre masse corporelle mais consomme 20 % de notre énergie. Lorsque viennent la mort et la pénurie d'énergie qui l'accompagne, ce sont les cellules les plus énergivores qui s'autodétruisent le plus rapidement. »

En quelques heures ou au plus quelques jours, alors que les enzymes dégradent les cellules et leurs protéines, le cerveau commence à perdre sa forme. Les bourrelets qui donnent au cerveau son apparence habituelle sont les premiers à disparaître en formant d'abord une pâte, puis une substance encore plus visqueuse. « Généralement, le cerveau se liquéfie au cours des trois premiers jours », indique Morton-Hayward.

Si le cerveau ne s'autodétruit pas assez rapidement, bon nombre d'organismes seront prêts à lui venir en aide. Pour les bactéries et autres créatures amatrices de tissus morts, les bien nommés détritivores, tomber sur un cerveau en décomposition, c'est un peu comme gagner à la loterie. « Tout ce qu'il reste, c'est une substance organique flasque et spongieuse dont les bactéries raffolent », illustre Charlotte King, anthropologue à l'université d'Otago en Nouvelle-Zélande.

Pour passer de corps à squelette, la durée du processus de décomposition peut se compter en jours, en semaines ou même en années. « Nous sommes tous très différents dans la vie et nous le serons encore dans la mort pour ce qui est de la décomposition », indique Morton-Hayward, qui était croque-mort avant de devenir anthropologue. Des facteurs comme les traitements que nous suivons ou le ciel sous lequel nous passons de vie à trépas peuvent influencer radicalement le processus.

Les pratiques funéraires modernes, comme l'embaumement, peuvent lisser certaines de ces différences, mais le milieu d'inhumation aura toujours un impact : le cerveau d'une personne enterrée en Alaska peut avoir une apparence différente d'une autre inhumée en Floride. À titre d'illustration, il faut imaginer le climat alaskain comme un réfrigérateur et celui de Floride comme la table de la cuisine.

« Si vous laissez le lait ouvert sur la table de la cuisine, il risque de tourner dans la journée », indique McKenzie. « Si vous le laissez dans le réfrigérateur, il restera stable plus longtemps. » Il y a plusieurs raisons à cela, poursuit-il. Les bactéries préfèrent les hautes températures et les enzymes autolytiques sont plus efficaces à la température corporelle normale.

Anthropologue judiciaire et directrice du C.A. Pound Human Identification Lab de l'université de Floride, Phoebe Stubblefield ne connaît que trop bien ce phénomène. « Dans les environnements chauds comme la Floride ? Oh oui, la décomposition est une affaire de jours, d'heures même ! », témoigne-t-elle.

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    QUAND LE CERVEAU FAIT DE LA RÉSISTANCE

    Quel que soit son environnement, un cerveau se décompose rapidement par rapport au reste du corps. Il durera peut-être plus longtemps que certains tissus mous, comme les intestins, mais il se liquéfie souvent plus rapidement que la majorité des autres tissus mous. Il existe toutefois quelques exceptions à la règle, des cerveaux qui ont survécu aux décennies, aux siècles ou même aux millénaires et les chercheurs en trouvent de plus en plus souvent.

    « Le consensus veut que le cerveau soit le premier organe à se décomposer dans le corps humain, nous avions donc fini par l'accepter », témoigne Brittany Moller, doctorante à l'université James-Cook qui a lancé un projet archéologique sur les cerveaux en compagnie de King. « En s'intéressant de plus près à la question, on réalise que ce n'est pas si sûr. C'est une hypothèse qui a été émise et on constate à présent que ce n'est pas toujours le cas. »

    En 2024, Morton-Hayward et ses collègues ont recensé plus de 4 000 échantillons de cerveaux en provenance du monde entier et s'étalant sur près de 12 000 ans d'histoire dans le registre archéologique. Avec le temps, ils rétrécissent et prennent une teinte orangée due au fer résiduel, mais ce sont toujours bel et bien des cerveaux humains.

    Les cerveaux qu'elle a étudiés proviennent d'environnements très variés, de la plus glaciale des toundras aux marais les plus chauds. Bon nombre de spécimens sont dans un état de conservation remarquable car ils ont traversé les âges dans des milieux privés d'eau à l'état liquide, soit déshydratés, soit gelés. Certains étaient piégés dans des tourbières, un environnement connu pour sa capacité à préserver toutes sortes de tissus mous. D'autres ont même été préservés non pas malgré l'humidité de leur environnement marécageux, mais bien grâce à celle-ci. 

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    Les archives médicales comme le Harvard Brain and Tissue Resource Centre (photographié ci-dessus) entreposent des milliers de cerveaux sains ou malades conservés dans des bacs remplis de formaldéhyde. En milieu naturel, le cerveau a tendance à se décomposer très rapidement.

    PHOTOGRAPHIE DE Volker Steger, SCIENCE PHOTO LIBRARY

    « Traditionnellement, un environnement qui présente une forte teneur en eau et une température élevée est considéré comme défavorable à la préservation », explique Morton-Hayward. Un environnement pauvre en oxygène peut être utile à la préservation, car les bactéries sont bien incapables de s'y développer, « mais dans ces milieux saturés en eau et pauvres en oxygène, nous ne trouvons aucun autre tissu mou résiduel. Cela suggère donc que le cerveau se comporte différemment dans un environnement saturé en eau, sans que nous sachions l'expliquer, ce qui est très étrange. »

     

    LES CERVEAUX D'UN AUTRE TEMPS

    Même si les chercheurs ne comprennent pas encore tous les rouages de la préservation du cerveau à long terme, ces cerveaux préservés nous ont déjà révélé quelques secrets sur la vie de leurs propriétaires. Par exemple, King et Moller ont identifié la bactérie responsable de la syphilis dans un spécimen du 19e siècle issu d'un cimetière de la ruée vers l'or en Nouvelle-Zélande, mais il leur reste encore à déterminer si l'infection a frappé l'individu de son vivant.

    Pour chaque cerveau qui a survécu dans ces environnements, il y en a bien plus qui ont disparu. Nous savons que certains environnements favorisent la préservation, mais nous ne savons pas pourquoi. Quand la plupart des cerveaux se liquéfient en quelques jours dans une multitude d'environnements, ceux-là ont résisté.

    Néanmoins, chaque nouvelle découverte nous en dit un peu plus sur les peuples qui nous ont précédés. « Nous sommes le résultat de tous ceux qui ont vécu avant nous, de toutes leurs expériences de vie », résume King. « S'il est possible de les comprendre un peu plus à travers l'analyse de leur tissu cérébral, c'est tout de même formidable. » 

    Même si nous ne serons jamais capables de déterminer combien d'heures une personne a passées sur TikTok en examinant son cerveau, les chercheurs pourront peut-être, un jour, tirer des conclusions sur sa santé mentale. Voilà un domaine que Morton-Hayward espère approfondir.

    « Les troubles mentaux affectent l'espèce humaine depuis bien longtemps, mais ils ne laissent aucune trace sur les os. La dépression, la schizophrénie… toutes ces maladies sont restées silencieuses dans l'histoire », déclare-t-elle. « Il n'existe aucune façon probante d'étudier la santé mentale ou les maladies psychiatriques du passé; ce serait pourtant fascinant de pouvoir les déceler sur le tissu qu'elles ont affecté. Mais c'est impossible de s'y atteler sérieusement sans d'abord comprendre comment ces structures anatomiques ont pu traverser des millénaires alors qu'elles n'auraient pas dû. » 

    En attendant, avec chaque cerveau qui passe entre ses mains, Morton-Hayward compte bien éveiller les consciences parmi les archéologues : la préservation du cerveau est non seulement possible dans un cadre archéologique, elle est également plus fréquente que nous ne le pensons. Lors de précédentes fouilles, des archéologues ont peut-être déjà supposé que ces masses ridées s'étaient décomposées il y a bien longtemps, ou les ont confondues avec tout autre chose. Désormais, ils savent quoi chercher. « Je suis convaincue que de nombreux cerveaux ont été détruits accidentellement par le passé », dit-elle. « J'espère que tout cela appartient désormais au passé, sans mauvais jeu de mots. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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