Canada : un cerf aurait transmis le Covid-19 à un humain

On savait que le Covid-19 circulait largement au sein des populations de cerfs de Virginie. Mais jusqu’alors, aucun humain n’avait été infecté par un cerf.

De Dina Fine Maron
Publication 7 mars 2022, 13:59 CET
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Le cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) est désormais une espèce-réservoir pour le Covid-19. Des chercheurs pensent qu’un cerf du Canada a infecté un humain.

PHOTOGRAPHIE DE Jim Brandenburg, Minden Pictures

Selon une étude prépubliée, un cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) aurait transmis le coronavirus à un habitant de l’Ontario, au Canada. Il s’agirait du premier cas de transmission interespèces impliquant un cerf de Virginie, une espèce présente dans toute l’Amérique du Nord.

Grâce à de précédents travaux, nous savions déjà que le virus circulait largement au sein des populations américaines de cerfs de Virginie. Mais avant que cette nouvelle étude ne paraisse, leur virus ressemblait à s’y méprendre à celui que contractent humains vivant dans leur voisinage. Il était donc facile de croire que c’est nous qui infections les cerfs, et non l’inverse.

Mais il y a peu, une équipe canadienne composée de 32 chercheurs issus du gouvernement et d’universités a conclu, dans une publication postée sur BioRxiv, qu’en 2021, plus d’une douzaine de cerfs de Virginie canadiens avaient été infectés par un coronavirus doté d’une constellation de « mutations jamais observées auparavant dans les lignées de SARS-CoV-2 ».

En parallèle, d’autres analyses ont montré qu’un habitant de l’Ontario ayant été en contact direct avec un cerf de Virginie a été infecté par le même variant. (Ce dépistage a pu avoir lieu grâce à la campagne gouvernementale de séquençage de l’ensemble des cas de Covid-19 survenant dans la région à l’époque).

Mis ensemble, ces paramètres indiquent que le virus aurait circulé chez les cerfs et aurait accumulé des mutations en passant d’un animal à l’autre avant d’être transmis à l’humain. Il est possible que le virus soit d’abord passé par une autre espèce-hôte comme le vison bien que, selon les auteurs, les analyses génomiques indiquent qu’une transmission du cerf à l’humain est « le scénario le plus probable ».

Selon plusieurs experts, cette prépublication ne doit pas donner lieu à des inquiétudes.

D’après Jüergen Richt, vétérinaire et directeur du Centre des maladies infectieuses émergentes et zoonotiques de l’Université d’État du Kansas, la probabilité de se transmettre le virus entre humains demeure bien plus élevée que de l’attraper au contact d’un cerf. Jüergen Richt n’est par ailleurs pas intervenu dans cette étude prépubliée.

 

TESTS PCR POUR CERVIDÉS

Dans le cadre de leurs recherches, les scientifiques ont prélevé des échantillons nasaux et tissulaires sur 300 cerfs de Virginie morts dans le sud-ouest et l’est de l’Ontario entre novembre et décembre 2021. Ils avaient tous été abattus par des chasseurs et faisaient déjà l’objet de tests dans le cadre d’un programme annuel de dépistage de l’encéphalopathie des cervidés (EC) qui peut entraîner la mort des cerfs et de leurs cousins proches. Quelques-uns des échantillons testés étaient inexploitables, mais les chercheurs ont découvert que 17 cerfs sur 298 (soit 6 % de la population étudiée) étaient positifs à un « variant inédit et hautement divergent ».

Chose étonnante, leurs résultats montrent que ce variant est une ancienne version du Covid, antérieure aux variants Delta et Omicron. Le coronavirus circulerait donc chez les cerfs depuis longtemps.

Après avoir fait leur campagne de dépistage, les auteurs de l’étude ont effectué des analyses pour évaluer le potentiel d’échappement vaccinal de ce virus touchant les cervidés. Ils en ont conclu que les vaccins actuels apportent très vraisemblablement une protection robuste contre celui-ci.

C’est une bonne nouvelle selon Jüergen Richt, qui pense également que l’hypothèse d’une infection directe du cerf à l’humain est l’explication la plus probable en ce qui concerne l’origine de l’infection constatée chez un habitant de l’Ontario.

Il attire toutefois l’attention sur le fait qu’il existe probablement d’autres variants non répertoriés chez les humains comme chez les animaux. Et le tableau est peut-être encore plus complexe que ce que nous pensons.

« En tant que scientifique, il faut toujours se demander ce qui pourrait se passer d’autre lorsque l’on n’est pas sûr à 100 % », rappelle-t-il.

L’équipe de recherche souligne toutefois qu’on ne sait toujours pas si d’autres humains ont été infectés par ce virus d’origine cervidée ni s’il y a eu d’autres cas de transmission interespèces du cerf à l’Homme.

« Avec l’émergence d’Omicron et la fin de la saison de la chasse au cerf, [les possibilités] de dépistage et de surveillance génomique chez les humains comme chez les [cerfs de Virginie] sont restreints dans cette région depuis la période où ces échantillons ont été recueillis », écrivent les chercheurs dans leur article.

 

DES CAS CHEZ LES VISONS ET LES HAMSTERS

Au cours de la pandémie, plusieurs humains ont été infectés par des visons d’élevage et un employé d’une animalerie de Hong Kong a été infecté par un hamster (à la suite de quoi, tous les hamsters du magasin ont été tués et le gouvernement a exigé des détenteurs de hamsters qu’ils les remettent aux autorités en vue d’une euthanasie). Les chercheurs font remarquer qu’au contraire de ces cas isolés ayant concerné des animaux domestiques, il est autrement plus difficile de surveiller (et de dépister) la transmission entre cerfs de Virginie et humains.

On ignore également comment ces cerfs ont pu être infectés par le coronavirus. Comme l’expliquait National Geographic en août 2021, ce pourrait être dû aux équipes de recherche, de sauvegarde de la nature, aux touristes et aux chasseurs qu’ils côtoient.

À l’époque, des chercheurs du département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) ont émis l’hypothèse que les cerfs ont pu être infectés par le virus en buvant des eaux usées contaminées ou en s’exposant à d’autres espèces infectées comme le vison.

L’USDA n’a d’ailleurs pas répondu à nos sollicitations pour cet article.

Début 2021, des chercheurs de l’USDA ont détecté des anticorps contre le Covid chez 40 % des cerfs de Virginie testés dans le Michigan, dans l’Illinois, dans l’État de New York, et en Pennsylvanie. D’après leurs travaux, ces animaux avaient été en contact avec le virus mais aucun ne présentait de symptômes. Des études ultérieures ont révélé que d’autres cerfs avaient été infectés, dans l’Iowa notamment. Selon Jüergen Richt, il est désormais envisageable que le virus « circule largement » aux États-Unis parmi la population animale.

Selon l’équipe de recherche, il est « particulièrement important » d’accroître la surveillance des populations humaines et animales, et plus particulièrement celle des populations de cervidés.

« À l’heure actuelle, il n’existe pas de preuve d’une transmission récurrente du cerf à l’humain ou d’une transmission reconduite entre humains », selon les chercheurs.

Ils ajoutent qu’il est crucial d’identifier les espèces-réservoirs pouvant être à l’origine d’une transmission prolongée du virus ou d’une infection interespèces.

« Je pense que cette étude fera date », déclare Tracey McNamara, spécialiste en pathologie animale à l’Université occidentale des sciences de la santé de Pomona, en Californie. Elle espère « que c’est l’avenir de la biosurveillance, que l’on ait à regarder le spectre du royaume animal dans son ensemble, et pas uniquement des humains pris à part, des animaux pris à part, mais qu’on fasse ce travail conjointement. C’est ce que ce groupe a fait, et c’est assez remarquable. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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