Coronavirus : AstraZeneca peut-il redonner confiance en son vaccin ?

Entre les rares effets secondaires rapportés et le manque de rigueur dans la communication de l'entreprise, les experts craignent que le grand public finisse par tourner le dos à ce vaccin pourtant prometteur dans la lutte contre la pandémie.

De Linda Marsa
Publication 8 avr. 2021, 09:58 CEST, Mise à jour 8 avr. 2021, 12:42 CEST
AstraZeneca

Une soignante prépare les doses du vaccin AstraZeneca contre le coronavirus à Milan, en Italie, le lundi 22 mars 2021.

PHOTOGRAPHIE DE Alessandro Grassani, T​he New York Times, Redux

Pour des milliards de personnes, le vaccin produit par AstraZeneca avait tout du candidat idéal : à moins de deux dollars la dose, il reste accessible, et contrairement aux vaccins à ARNm, il peut être stocké dans un réfrigérateur standard. Cependant, suite aux rapports relatifs à un effet secondaire rare potentiellement déclenché par le vaccin et à une série de maladresses dans la communication de l'entreprise, les autorités de santé publique craignent que les populations de certains pays aient perdu toute confiance en ce vaccin.

Une semaine après la décision prise par certains pays de suspendre le vaccin AstraZeneca en réaction aux rares cas de thromboses signalés, le National Institutes of Health des États-Unis a rendu public un communiqué plus virulent que jamais dénonçant la publication incomplète des résultats des essais cliniques de l'entreprise aux États-Unis. Désormais, de nombreux médecins et scientifiques craignent la réaction du public face aux faux pas du groupe suédo-britannique, notamment un manque de rigueur dans la publication de certains résultats et une confusion dans le schéma vaccinal. Les déboires d'Astrazeneca pourraient-ils saper la confiance de la population dans ce que les essais cliniques présentent pourtant comme un vaccin sûr et efficace, jugé par beaucoup essentiel à l'endiguement de cette pandémie mondiale ?

Les temps sont durs pour ce vaccin considéré comme le plus pratique sur le marché. Figurant parmi les premiers à avoir atteint le stade des essais cliniques, le vaccin est né d'un partenariat inédit entre les scientifiques de l'université Oxford et le géant pharmaceutique suédo-britannique AstraZeneca, avec une mise à disposition prévue dès le mois d'octobre, soit bien avant ses concurrents. En outre, l'accord prévoyait que le vaccin serait vendu à prix coûtant afin de le rendre accessible aux pays les plus pauvres.

« Je n'ai pas souvenir d'un déploiement de vaccin qui ait connu autant de difficultés, » témoigne William Schaffner, médecin et professeur de médecine préventive à l'école de médecine de l'université Vanderbilt à Nashville, dans le Tennessee. « Cette fois, il semblerait qu'ils en soient les premiers responsables, » ajoute le professeur également spécialiste des maladies infectieuses depuis cinquante ans.

Si les experts sont aussi inquiets, c'est parce que le vaccin d'Astrazeneca est l'une des solutions clés proposées par COVAX, ou COVID-19 Vaccines Global Access, le dispositif international qui a pour but d'assurer un accès équitable aux vaccins pour les pays à faible et moyen revenus. « Le monde a besoin de ce vaccin, en plus des autres, » déclare Eric Topol, médecin chercheur et spécialiste des essais cliniques pour l'Insitut de recherche Scripps de La Jolla, en Californie. « Nous encourageons l'entreprise à aller de l'avant, il faut que ce vaccin réussisse, car il sera utile pour deux à trois milliards de personnes. »

À la question de savoir si des campagnes de sensibilisation allaient être menées afin de démêler la confusion ou si d'autres mesures allaient être prises pour dissiper les craintes de la population, le porte-parole du groupe AstraZeneca a répondu à National Geographic : « Les résultats des essais aux États-Unis viennent s'ajouter aux données des essais de l'université Oxford et à un ensemble grandissant de preuves concrètes qui montrent que ce vaccin est bien toléré et hautement efficace contre toutes les formes de la COVID-19, quels que soient le groupe ethnique ou la tranche d'âge à l'étude. »

Le porte-parole n'a pas apporté de réponse spécifique au problème des thromboses, indiquant toutefois que les agences de santé publique au Royaume-Uni et en Europe « avaient réaffirmé que les bénéfices du vaccin d'AstraZeneca continuaient de l'emporter largement sur les risques. »

 

UN DÉPART MOUVEMENTÉ

Le développement du vaccin d'AstraZeneca, nom commercial Vaxzevria, a connu plusieurs contretemps. En août dernier, les essais ont été suspendus à travers le monde parce que l'un des sujets avait développé une forme d'inflammation de la moelle épinière, bien qu'un examen des données de sécurité ait plus tard révélé que cette affection grave n'avait pas été provoquée par le vaccin. En novembre 2020, les premiers résultats des essais menés au Royaume-Uni ont semé la confusion, car deux schémas vaccinaux différents avaient été utilisés chez les sujets ; difficile dans ces conditions de déterminer le schéma optimal d'administration du vaccin. En outre, suite à une erreur, certains volontaires n'avaient reçu qu'une demi-dose de vaccin, ce qui avait là encore perturbé les résultats. Plus récemment, des études ont indiqué que ce vaccin n'était pas particulièrement efficace contre le variant sud-africain du virus, baptisé B.1.351, incitant le pays à renoncer à son utilisation.

Pour Heidi Larson, ex-responsable de la communication pour la vaccination de l'UNICEF et directrice du programme The Vaccine Confidence Project à l'École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, « la multiplication des rapports sur les problèmes de sécurité et les mesures de précaution risque de semer le doute et de faire naître l'hésitation. »

Un sondage réalisé par YouGov suite à l'annonce des cas de thromboses a révélé une perte de confiance significative envers le vaccin d'AstraZeneca. Plus de la moitié des sondés en France, Allemagne et Espagne pensent que le vaccin n'est pas sûr.

En Italie, l'un des premiers pays gravement touchés par la pandémie qui connaît actuellement un nouveau pic de mortalité, au moins la moitié des patients du Dr Roberto Burioni, professeur de microbiologie et de virologie à l'université Vie-Santé Saint-Raphaël de Milan, refusent l'injection du vaccin d'AstraZeneca pour eux-mêmes et leurs enfants. Ce comportement est essentiellement dû aux informations glanées sur Facebook et d'autres réseaux sociaux. « Je n'ai jamais vu cela au cours de ma longue carrière, que des patients refusent un vaccin gratuit dont la sécurité et l'efficacité ont été prouvées, » témoigne Burioni. « AstraZeneca a réussi un coup de maître en développant ce vaccin en si peu de temps. Mais ils ont multiplié les erreurs de communication. Résultat, il y a une grande confusion. »

 

PROBLÈMES EN SÉRIE

Les problèmes les plus récents sont apparus au début du mois de mars lorsque le vaccin semblait lié à au moins 15 cas de trouble sanguin potentiellement mortel, avec une formation de caillots sanguins ainsi qu'une diminution de la numération plaquettaire provoquant une hémorragie interne et une forme d'accident vasculaire cérébral. La nouvelle a poussé 13 pays de l'Union européenne, dont la France, l'Espagne et l'Allemagne, à suspendre temporairement leurs campagnes de vaccination. Les injections du vaccin AstraZeneca ont repris lorsque l'Agence européenne du médicament (AEM) a déclaré le vaccin sûr de manière générale ; les bénéfices de la protection contre la COVID-19 l'emportaient largement sur les risques de contracter cette maladie potentiellement mortelle. L'agence a ajouté que la fréquence des cas de thromboses correspondait à ce qui était attendu pour des populations de taille similaire dans des circonstances normales.

Qu'est-ce qu'un virus ?

Depuis le rapport initial début mars, le nombre de cas est passé à 62 pour 9,2 millions de personnes vaccinées au sein de l'Espace économique européen (EEE), d'après les derniers chiffres de l'AEM. Ces cas ont été suivis de 10 décès en Allemagne, au Royaume-Uni et en Norvège, qui concentre 5 cas dont 3 décès. Ces 5 cas sont apparus après la vaccination de 130 000 Norvégiens de moins de 65 ans à l'aide du vaccin d'AstraZeneca. C'est un taux d'incidence élevé avec de graves conséquences pour une population pourtant jeune et sans problème de santé antérieur, a indiqué Sara Viksmoen Watle, médecin en chef de l'Institut norvégien de santé publique, à la revue Science. Ces cas ont incité le gouvernement allemand à restreindre l'utilisation du vaccin aux plus de 60 ans, car les effets secondaires semblent se limiter à une population plus jeune.

Afin de résoudre le problème des thromboses, l'Agence européenne du médicament a formé un comité d'expert chargé de déterminer la cause de ces effets secondaires. Parallèlement, des scientifiques allemands de l'université de Greifswald appuient leurs travaux sur la ressemblance entre ces complications et un effet secondaire atypique de l'héparine, un anticoagulant, la thrombopénie induite par l'héparine, qui peut être traitée si elle est détectée à temps.

Déterminer si le vaccin est à l'origine de ces réactions graves permettra aux médecins de les diagnostiquer et peut-être de les traiter, voire d'identifier les sujets prédisposés à ce problème de caillot avant de leur administrer le vaccin.

Le problème en question est entièrement différent des habituels caillots sanguins, indique Nigel Key, hématologue et directeur du centre de l'hémophilie et de la thrombose de l'école de médecine de l'université de Caroline du Nord à Chapel Hill. Le syndrome présente une combinaison unique de symptômes, notamment la formation de caillots sanguins à des endroits atypiques, et aussi contradictoire que cela puisse paraître, il est également associé à une chute du nombre de plaquettes, la substance qui aide le sang à coaguler. « Ce syndrome est vraiment particulier, » déclare-t-il. « Il y a eu plusieurs thromboses cérébrales [AVC et hémorragie]. Cela réduit donc grandement les possibilités. Mais ce n'est qu'une question de temps avant que l'on en sache plus sur la fréquence et le mécanisme. »

 

MAUVAISES NOUVELLES

Le lundi 22 mars, AstraZeneca a publié les résultats très attendus de ses essais cliniques étendus auxquels ont participé 32 000 sujets. L'entreprise a annoncé que l'efficacité de son vaccin était de 79 %. Le Comité de surveillance et de suivi des données d’essais cliniques des États-Unis, un groupe d'experts indépendant chargé du contrôle de la sécurité des patients et de l'intégrité des essais, a accusé l'entreprise d'avoir omis des données afin de rendre le vaccin plus efficace.

Dans une lettre acerbe diffusée à plusieurs organes de presse, le comité a affirmé que la société avait utilisé des données « obsolètes et potentiellement trompeuses » dans son analyse. « Ce sont les décisions comme celle-ci qui érodent la confiance de la population envers le processus scientifique, » peut-on lire dans le communiqué, et le directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases des États-Unis, Anthony Fauci, de qualifier l'omission de « faute directe » qui pourrait « contribuer à un manque de confiance dans le processus. »

« C'était réellement flagrant, » consent le Dr Topol de l'institut Scripps qui a supervisé plus d'une dizaine d'essais cliniques impliquant des centaines de milliers de personnes à travers le monde. « Je n'ai jamais rien vu de tel. Jamais. »

AstraZeneca a répondu aux critiques en maintenant que les données utilisées étaient celles recueillies avant la date limite du 17 février. Lorsque le géant suédo-britannique a publié ses données finales deux jours plus tard, le 24 mars, après avoir pris en compte l'ensemble des cas de COVID-19 apparus lors des essais cliniques, l'efficacité du vaccin était de 76 %, soit 3 points de moins que le chiffre avancé le lundi.

L'entreprise prévoit de déposer dans les jours qui viennent une demande d'autorisation d'urgence auprès de la Food and Drug Administration des États-Unis, mais le vaccin pourrait faire l'objet d'un examen plus sévère à cause de toutes ces controverses. « La FDA va être particulièrement attentive à l'ensemble de ces données, » indique William Schaffner de l'université Vanderbilt. « Mais j'anticipe tout de même une réponse favorable de la FDA. » 

 

LE CAS DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT 

Avec ces erreurs de communication en série et un effet secondaire aussi rare soit-il, difficile pour les pays en développement de ne pas voir le vaccin d'AstraZeneca comme un substitut de second plan réservé aux nations les plus démunies. Pourtant, ce vaccin fédérait de nombreux espoirs compte tenu de sa facilité de production, son coût relativement bas et la possibilité de le stocker jusqu'à six mois. La Thaïlande et l'Indonésie ont suspendu temporairement son utilisation, dans l'attente des résultats de l'enquête sur les caillots sanguins. La République démocratique du Congo a choisi de remettre son déploiement à plus tard et le Cameroun de ne pas utiliser le vaccin d'AstraZeneca pour des questions de sécurité. Néanmoins, il est prévu que ce vaccin soit utilisé dans plus de 140 pays, dont l'Indonésie, les Philippines, les Fidji, le Ghana et l'Inde.

Cependant, l'Afrique subsaharienne compte à elle seule plus d'un milliard de personnes. Pour vacciner l'ensemble de sa population, il faudra donc deux milliards de doses du vaccin AstraZeneca, deux par personne, pour un schéma vaccinal complet. Si l'immunité collective n'est pas atteinte dans le monde entier, le virus poursuivra sa réplication en produisant de nouveaux variants qui continueront de circuler.

« Pour la plupart des pays africains, c'est le vaccin AstraZeneca qui prime, voilà la réalité, » déclare Shabir Madhi, professeur de vaccinologie au sein de l'université du Witwatersrand à Johannesbourg, en Afrique du Sud. « Les pays africains n'ont pas beaucoup de choix en matière de vaccins disponibles. » Les autres vaccins pourraient ne pas l'être avant la mi-mai, et d'ici là nous risquons de connaître une nouvelle vague épidémique, indique Madhi.

 Quoi qu'il en soit, plus de 20 millions de doses ont déjà été administrées en Europe et au Royaume-Uni, 27 millions en Inde où le vaccin est appelé Covishield, avec relativement peu d'incidents liés à ces caillots sanguins.

L'OMS apporte son soutien ferme au vaccin d'AstraZeneca, qui reste l'une des rares options pour la santé mondiale et dont l'utilisation a déjà été approuvée dans plus de 70 pays. Il continue de faire l'objet d'une forte demande parmi les membres du COVAX, l'effort de collaboration mené par l'OMS dans le but de fournir des vaccins aux pays en développement. « Le vaccin d'AstraZeneca contre la COVID-19 (dont Covishield) offre toujours un rapport bénéfices-risques positif, avec un potentiel élevé de prévention des infections et de réduction des décès à traves le monde, » peut-on lire dans un rapport de l'OMS publié le 19 mars.

Pour le Dr Schaffner, spécialiste des maladies infectieuses à l'université Vanderbilt, il ne fait aucun doute que lorsque la FDA homologuera le vaccin, cela dissipera en grande partie le scepticisme existant. « D'autres agences de santé à travers le monde seront confortées par le fait que notre FDA aura donné le feu vert, » indique-t-il.

 

PRÉCÉDENTES CONTROVERSES

Ce n'est pas la première fois qu'un déploiement de vaccin connaît quelques accrocs. En outre, lorsque plusieurs millions de personnes reçoivent un vaccin, des effets secondaires graves peuvent faire leur apparition. Cela s'est produit avec le vaccin contre la fièvre jaune qui, dans de rares cas, peut déclencher une réaction allergique qui se traduit par des difficultés à respirer ou à avaler (anaphylaxie), une inflammation du cerveau ou de la moelle épinière (encéphalite), ou une défaillance d'organes.

« Il s'est déjà produit de sérieuses crises de confiance envers différents vaccins, » déclare Larson. « Mais c'est presque toujours à cause d'un problème particulier qui soulève des inquiétudes et non pas ces maladresses qui affectent progressivement la confiance. »

À titre d'exemple, le fiasco de la grippe porcine de 1976 nous montre bien à quel point le fait d'agir de façon précipitée peut entamer la confiance publique. À l'époque, plusieurs soldats de Fort Dix, dans le New Jersey, contractent une forme de grippe virulente dont la structure génétique est assimilée à la souche coupable de l'épidémie de grippe espagnole qui avait fait des millions de morts en 1918. Sans attendre la confirmation que cette petite flambée épidémique a le potentiel de se transformer en véritable épidémie, l'administration Ford organise une vaste campagne de vaccination qui aboutit à l'injection d'un vaccin contre la grippe porcine à 45 millions d'Américains.

L'épidémie n'a pas lieu et les vaccinations sont suspendues en 1976, mais le mal est fait : 450 Américains ayant reçu le vaccin contractent une maladie auto-immune rare appelée syndrome de Guillain-Barré, pouvant entraîner une faiblesse musculaire et la paralysie, bien que le doute subsiste quant à la cause réelle de ces effets indésirables. Cet épisode mènera au licenciement du directeur des Centres pour le contrôle des maladies des États-Unis ainsi qu'à plusieurs audiences du Congrès, ce qui a grandement détérioré la crédibilité de l'agence pendant de nombreuses années.

Un autre incident survenu en 1955, celui des laboratoires Cutter, a eu des répercussions nettement plus dramatiques. Après l'introduction réussie du vaccin contre la poliomyélite en avril de cette année-là, les laboratoires Cutter de Berkeley en Californie ont produit un vaccin contenant des virus de la poliomyélite qui n'avaient pas été totalement inactivés. Plus de 120 000 enfants ont reçu ces vaccins, 5 d'entre eux sont morts et 51 sont restés paralysés. Alors que cette épidémie de poliomyélite née de la main de l'Homme reste un sombre chapitre de l'histoire de la santé publique, les vaccinations ont pu reprendre à l'automne 1955, une fois la source de l'épidémie identifiée, et cette catastrophe a abouti à de meilleurs systèmes de contrôle des vaccins.

« C'était une autre époque, » déclare Paul Offit, professeur de vaccinologie à l'école de médecine Perelman de l'université de Pennsylvanie. « La population était moins cynique et faisait confiance aux compagnies pharmaceutiques. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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