Coronavirus : qui donne leurs noms aux variants ?

Actuellement, les noms ressemblent à un méli-mélo de lettres et de chiffres. Parfois, ils utilisent le nom d’un pays qui stigmatise ses habitants. Des experts ont annoncé la mise en place d’un nouveau système pour y remédier.

De Amy McKeever
Publication 3 juin 2021, 16:31 CEST
variants

Cette image obtenue grâce à un microscope électronique à transmission montre le SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19. On peut apercevoir les particules virales à la surface des cellules cultivées en laboratoire. Les pointes situées sur le pourtour de la particule virale donnent leur nom aux coronavirus : « virus à couronne ». Cette image a été prise et colorée aux Rocky Mountain Laboratories (RML) de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses (NIAID), dans le Montana.

PHOTOGRAPHIE DE Niaid

Les noms des variants du coronavirus sont particuliers et compliqués. Certes, B.1.1.7 ou P.1 sont sûrement des noms très pratiques pour que les virologues et les microbiologistes les étudient. Mais ils ne sont pas vraiment pratiques pour aider le grand public à comprendre les variants à l’origine des nouvelles flambées de cas de COVID-19.

Prenons l’exemple de Salim Abdool Karim, épidémiologiste et ancien président du comité consultatif de la COVID-19 en Afrique du Sud. Il a aidé à nommer le premier variant découvert dans le pays : 501Y.V2, également appelé B.1.351 ou 20H/501Y.V2.

« Qui souhaite sans cesse répéter 501Y.V2 ? », demande M. Abdool Karim. « 501Y.V2, c’est vraiment un nom compliqué à prononcer. C’est un nom affreux. Personne n’appellerait son enfant 501Y.V2. »

Il explique que c’est tout à fait compréhensible que la population ait commencé à faire référence à ce variant sous le nom de « variant sud-africain ». Néanmoins, il fait également partie des nombreux scientifiques qui ont critiqué cette pratique, soutenant qu’elle est à la fois stigmatisante et tout simplement inexacte.

C’est la raison pour laquelle l’Organisation mondiale de la Santé a annoncé la mise en place d’un nouveau système de dénomination pour les variants du coronavirus. Elle espère qu’il facilitera le suivi de la maladie pour les non-scientifiques. L’organisation internationale a attribué des lettres grecques à chaque variant majeur, à l’origine des flambées épidémiques dans le monde. Le premier variant découvert au Royaume-Uni, B.1.1.7, sera désormais simplement dénommé Alpha. Celui que M. Abdool Karim a nommé en Afrique du Sud sera désigné sous le nom de Beta. Et ainsi de suite.

Pourquoi était-il si important de renommer ces variants ? Voici comment les virus et les variants sont nommés, de leur dénomination ponctuelle quelque peu chaotique au début de la pandémie au danger de leur appellation selon le lieu où ils ont été découverts.

 

L’IMPORTANCE DES NOMS

De nombreux virus sont nommés en fonction de la région géographique dans laquelle ils ont été identifiés en premier lieu. Par exemple, la forêt de Zika en Ouganda ou la rivière Ebola en République Démocratique du Congo. Seulement, ces pratiques ont longtemps stigmatisé les communautés qui ont donné leur nom aux virus.

« En raison des anciennes épidémies et des scandales de dénomination, nous savons que ce genre de pratiques peuvent avoir un réel impact. Il peut s’agir de la seule information qu’une personne connaît sur le pays, que cette méchante chose vient de là-bas », explique Emma Hodcroft, épidémiologiste moléculaire à l’université de Berne en Suisse. « La communauté scientifique fait de réels efforts pour éviter l’utilisation de noms géographiques. »

En 2015, l’OMS a même publié un guide pour nommer les maladies infectieuses, où il était déconseillé d’utiliser des localisations géographiques, des noms d’Hommes ou d’espèces animales. L’année dernière, l’organisation a intentionnellement évité de citer la Chine ou Wuhan lorsqu’elle a décidé du nom COVID-19, qui signifie « coronavirus disease 2019 ».

Alexandre « Sasha » White, professeur assistant d’histoire de la médecine et de sociologie à l’université Johns Hopkins, souligne que cette mesure n’a pas permis de freiner le sentiment anti-asiatique l’année dernière. Par ailleurs, certaines personnalités, comme l’ancien président des États-Unis Donal Trump, insistaient pour appeler le SARS-CoV-2 « virus chinois » ou « virus de Wuhan ».

« Il ne fait aucun doute que les associations entre la COVID-19, la Chine et la stigmatisation que cela engendre ont malheureusement participé à la hausse des crimes haineux anti-asiatiques dans le monde entier. » Ce phénomène n’est d’ailleurs pas vraiment nouveau. La propagation des maladies infectieuses fait office d’argument pour justifier le racisme et la xénophobie depuis des siècles.

En outre, la suppression des noms géographiques peut également s’expliquer d'un point de vue scientifique. Les spécialistes soulignent que ces noms sont trompeurs, voire tout à fait inexacts.

En réalité, les chercheurs ne savent pas réellement d’où provient le soi-disant variant sud-africain. Certes, il a été identifié pour la première fois en Afrique du Sud, mais le patient zéro n’a pas encore été retrouvé. Il est probable que l’Afrique du Sud ait été le premier pays à remarquer ce variant car le séquençage du génome lors des tests était peut-être plus important.

M. Abdool Karim explique que cette dénomination est trompeuse car ce variant s’est propagé au monde entier et se retrouve en plus grande proportion dans des pays comme les États-Unis plutôt qu’en Afrique du Sud. « Vous voyez donc pourquoi cela ne fait pas sens de l’appeler "variant sud-africain". »

Ces noms inexacts peuvent donner lieu à de réelles conséquences, telles que l’interdiction d’entrée sur le territoire américain des voyageurs en provenance d’Afrique du Sud, du Brésil ou du Royaume-Uni. Ces répercussions peuvent durer sur le long terme. La pandémie de grippe espagnole en 1918 a dévasté la planète il y a plus d’un siècle. Bien que les premiers cas aient été identifiés aux États-Unis, une grande partie du public pense encore qu’elle provient d’Espagne, puisqu’elle était principalement connue sous le nom de grippe espagnole.

La protéine de spicule du SARS-CoV-2, qui permet au virus de s’introduire dans les cellules, est un métamorphe. En l’empêchant de changer de forme, les chercheurs ont trouvé la clé pour fabriquer rapidement des vaccins contre le coronavirus. Cette image est une carte de densité électronique de fausse couleur obtenue à l’aide d’une cryo-microscopie électronique.

PHOTOGRAPHIE DE Daniel Wrapp, Université Du Texas, Austin

 

COMMENT LES VIRUS SONT-ILS NOMMÉS ?

Bien que l’OMS soit la principale responsable pour la dénomination des maladies, les virus sont nommés par un groupe de virologues et de spécialistes de la phylogénétique du comité international de taxonomie des virus (ICTV).

En février 2020, l’ICTV a rebaptisé le nouveau coronavirus SARS-CoV-2, pour « severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 », en français « coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère ». Stanley Perlman, microbiologiste à l’université de l’Iowa et membre du groupe de recherche sur le coronavirus de l’ICTV, assure que le groupe a sélectionné ce nouveau nom car le génome du virus est « clairement proche » de celui responsable de l’épidémie de SRAS en 2003, appelé SARS-CoV.

Toutefois, au vu du nombre d’agents pathogènes dans le monde, les virus n’obtiennent un nom qu’à l’échelle d’espèce et plus haut. De fait, le procédé pour déterminer une appellation pour les variants commence de manière bien plus informelle au sein de la communauté scientifique et il varie de pathogène en pathogène.

« Il n’existe aucune règle pour la dénomination des agents pathogènes », indique Mme Hodcroft. Généralement, les scientifiques proposent un nom et voient s’il est adopté par la communauté ou si un autre nom s’impose à sa place.

Parmi les façons les plus classiques de classifier un virus figure celle des antigènes. Il s’agit de la partie du virus qui entraîne une réponse immunitaire et dont les mutations sont particulièrement nombreuses.

La grippe A, par exemple, possède deux antigènes principaux. On distingue H, pour hémagglutinine, et N, pour neuraminidase. Chaque fois que ces antigènes mutent, ils se voient attribués un nouveau numéro, d’où le nom H1N1 décerné au sous-type responsable de la plus tristement célèbre épidémie de grippe. Le virus a dix-huit mutations différentes pour H et onze pour N, qui peuvent être mélangées et combinées pour donner lieu à cent-quatre-vingt-dix-huit combinaisons différentes. Seuls cent-trente-et-un sous-types ont été identifiés dans la nature.

« Tous ces virus mutent constamment donc nous ne pouvons pas toujours leur donner de nouvelles appellations », explique M. Abdool Karim. « Ce n’est que lorsqu’un antigène change qu’il est pertinent d’attribuer un nouveau nom. »

Le SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19, présente des mutations rapides et très nombreuses, parfois bénignes et d’autres fois dangereuses. M. Perlman estime qu’il exige « un système de dénomination vraiment complexe ». Le problème, c’est que les scientifiques ont été contraints de le faire à hâte. Ils ont ainsi proposé plusieurs systèmes différents, chacun avec une utilité différente.

 

LE CHAOS DES VARIANTS DU SARS-COV-2

En novembre 2020, des chercheurs en Afrique du Sud ont séquencé un variant du SARS-CoV-2 plus contagieux. Il présente une mutation de N501Y qui permet à la protéine spike de s’accrocher plus fermement aux cellules humaines. Cette mutation remplace l’asparagine, un acide aminé abrégé par la lettre N, qui se trouve généralement en position 501 dans la séquence de la protéine spike, avec la tyrosine, abrégée Y. Avant de pouvoir l’annoncer au grand public, les chercheurs devaient lui trouver un nom.

« Nous nous sommes installés autour d’une tasse de thé et nous l’avons appelé 501Y.V2 », révèle M. Abdool Karim. La première partie de cette appellation fait référence à la mutation la plus importante du virus. V2 signifie simplement qu’il s’agit du deuxième variant identifié qui présente cette mutation singulière. La variant découvert au Royaume-Uni s’appelle 501Y.V1 et celui au Brésil 501Y.V3.

Mais il ne s’agit pas du seul nom pour désigner ce variant. Plusieurs systèmes de nomenclature ont vu le jour depuis les prémices de la pandémie. Les deux principaux sont Nextstrain et Pango. La pluralité de ces systèmes de classification des variants peut sembler exagérée. Pourtant, elle permet aux scientifiques de disposer de plusieurs méthodes pour analyser l’arbre généalogique du SARS-CoV-2.

Emma Hodcroft explique que le système Nextstrain, qu’elle a contribué à mettre au point, est destiné aux scientifiques qui souhaitent une vue d’ensemble des modèles au sein de l’arbre généalogique du virus. Ils peuvent ainsi attribuer des noms à ses groupes génétiques majeurs, appelés clades. Il utilise des noms simples basés sur l’année de découverte des clades, suivie par une lettre en suivant l’ordre alphabétique. Le clade basal du système est dénommé 19A. Il fait référence aux virus les plus présents en Chine au début de l’épidémie.

Lépidémiologiste explique qu’à partir du moment où les variants comme 501Y.V2 ont commencé à engendrer des épidémies régionales, le système de dénomination Nextstrain a montré ses limites. Même s’ils n’étaient techniquement pas assez répandus pour valoir leur propre clade, ces variants devaient absolument être identifiables. Par conséquent, dans ce système, le variant identifié en Afrique du Sud s’appelle 20H/501Y.V2.

« C’est juste parce qu’il n’existe pas de système pour [ces variants] », indique M. Abdool Karim. « Il se construit au fur et à mesure. Plus nous en apprenons, plus nous le modifions. »

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    En revanche, Pango adopte une approche détaillée de la phylogénie du virus. Il est devenu le système le plus utilisé puisqu’il est particulièrement utile pour suivre les épidémies locales. Il présente des centaines de lignées, qui reflètent l’évolution du virus parmi chaque nouvelle flambée épidémique. Il attribue de nouvelles lignées en fonction des principales mutations, mais aussi d’autres événements épidémiologiques, notamment les éventuels changements de localisation du virus.

    « Le principe fondamental, c’est que les noms des lignées représentent l’ascendance et la descendance », assure Oliver Pybus, biologiste spécialiste de l’évolution à l’université d’Oxford, qui a aidé à la conception de Pango.

    Il explique que chaque lignée Pango peut être interprétée comme un arbre généalogique. Les virus ayant circulé le plus tôt en Chine sont désignés par les lignées A ou B. À mesure qu’ils évoluaient et se propageaient dans le monde, leurs variants étaient signalés par une série de chiffres. Par exemple, B1 comporte l’épidémie du nord de l’Italie survenue début 2020. Il s’agit du premier descendant de la lignée B à avoir reçu un nom. A contrario, le variant identifié en Afrique du Sud, appelé B.1.351, est le 351e descendant du virus qui a causé l’épidémie italienne.

    Pour éviter que ces appellations ne deviennent trop complexes, chaque nom de lignée Pango ne peut avoir que trois points au maximum. Si le virus change radicalement, une nouvelle lignée commence avec une lettre de l’alphabet différente. C’est pour cette raison que le variant identifié pour la première fois au Brésil est nommé P.2, bien qu’il s’agisse d’un descendant de la lignée B.1.1.28.

    Si vous êtes encore un peu perdu, c’est normal. Ces systèmes de nomenclature ne sont pas destinés à être facilement mémorisés. Ils servent de langage commun aux scientifiques pour discuter et enquêter sur l’évolution du SARS-CoV-2.

    « En tant que scientifiques, nous sommes assez habitués à ce genre de noms compliqués », assure Mme Hodcroft. « Nous adorons diviser les choses et les baptiser. Les variants des virus ne font pas la Une des journaux internationaux habituellement. »

    Seulement voilà, maintenant que ces variants dirigent la suite de la pandémie et sont au cœur de toutes les actualités, il est essentiel de trouver un moyen pour que le grand public puisse suivre, idéalement sans utiliser leur nom géographique.

     

    LE DÉVELOPPEMENT D’UN NOUVEAU SYSTÈME DE DÉNOMINATION

    Pour toutes ces raisons, l’OMS est intervenue pour mettre en place un autre système de dénomination pour les variants les plus inquiétants. L’organisation a rassemblé un panel de virologues et de scientifiques spécialisés dans la dénomination des microbes. Ils étaient chargés de proposer « des appellations faciles à prononcer et non stigmatisantes ». Le groupe a recommandé l’utilisation de l’alphabet grec.

    M. Abdool Karim, consulté pour l’élaboration de ce nouveau système, a affirmé dans un entretien antérieur à l’annonce qu’il s’agissait d’une rupture bienvenue avec la dénomination qui mélangeait les lettres et les chiffres. « J’ai estimé que c’était une [bonne idée]. »

    Plutôt que de renommer chaque mutation du virus, le système de l’OMS s’applique aux quatre principaux variants. Ce sont ceux que les scientifiques estiment les plus virulents, contagieux ou associés à une perte d’efficacité des vaccins ou des traitements. Outre les appellations Alpha et Beta pour les variants découverts respectivement au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, le variant identifié pour la première fois au Brésil s’appelle désormais Gamma et celui découvert en Inde a été baptisé Delta.

    Le nouveau système a également assigné des lettres de l’alphabet grec à six autres variants en cours d’étude, associés à des clusters ou détectés dans plusieurs pays. Ainsi, ces variants sont baptisés Epsilon, Zeta, Eta, Theta, Iota et Kappa.

    Même si les scientifiques continueront d’utiliser leurs systèmes de dénomination comme Nextstrain et Pango, l’OMS espère que le sien facilitera le suivi des mutations virales pour le public. Dans un communiqué, l’organisation encourage les gouvernements et les organes de presses à adopter ces nouvelles appellations.

    Le défi désormais, c’est qu’elles soient adoptées par le public à la place des noms géographiques. Dans un entretien tenu avant l’annonce du nouveau système, Mme Hodcroft a déclaré que la manière dont l’OMS a mis au point le nouveau système pourrait s’avérer utile. Si l’organisation a pu réunir un groupe de virologues et qu’ils se sont mis d’accord pour utiliser ces noms lorsqu’ils s’adressent au public, il y a de fortes chances pour que la communauté scientifique et le reste du monde adoptent le nouveau système.

    Quoi qu’il en soit, M. Abdool Karim assure que les scientifiques ont tiré une grande leçon pour la prochaine pandémie, malheureusement inévitable. « Nous constatons que nous devons mettre en place un système de dénomination rapidement. Je pense que nous serons proactifs la prochaine fois. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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