Il y a 900 000 ans, l’humanité a frôlé l’extinction

L'étude de notre génome révèle que le genre humain a failli s'éteindre au cours de la première moitié du Pléistocène. Nos ancêtres du genre Homo auraient vu leur population chuter de 98,7 %.

De Marie Zekri
Publication 10 sept. 2023, 09:31 CEST
Reconstitution d'un Homo sapiens parmi d'autres membres de la famille humaine. D'après le moulage du crâne ...

Reconstitution d'un Homo sapiens parmi d'autres membres de la famille humaine. D'après le moulage du crâne de Mandal man découvert à Mandal-li en Corée.

PHOTOGRAPHIE DE modèle d'Élisabeth Daynès

Un groupe de chercheurs chinois et italiens, spécialisés en biostatistique et études génomiques, a publié un article fascinant et glaçant à la fois dans la revue scientifique Science en août 2023. Ils ont fait une découverte majeure sur les ancêtres de l’Homme : il y a 900 000 ans, nous serions passés très près de l’extinction. 

Difficile d’imaginer, alors que nous sommes plus de 8 milliards à évoluer sur Terre depuis l'an dernier, qu’il fut un temps où nous étions une espèce menacée. Pris dans la spirale frénétique de notre croissance démographique et de notre consommation toujours plus exponentielle des ressources terrestres, nous sommes aujourd’hui à un point où le monde vierge de nos activités a presque totalement disparu. 

Mais, en remontant le fil de l’évolution, par une étude du génome de 3154 individus modernes, les chercheurs ont mis en lumière une époque où les ancêtres des différentes branches de l’évolution humaine ont vu près de 98,7 % de leur population disparaître. La raison principale de cette extinction de masse pourrait bien se trouver dans un changement climatique violent qui a conduit à une ère glacière.

 

DES RÉPONSES DANS LE GÉNOME DE L’HOMME MODERNE

Afin de fouiller dans le passé lointain de nos ancêtres, les scientifiques ont dû innover. « En regardant l’ADN des humains modernes », explique Yi-Hsuan Pan, spécialiste en biologie moléculaire de l’évolution à l’Université Normale de la Chine de l’Est, et co-autrice de l’étude « nous pouvons reconstituer l’histoire de notre passé en utilisant diverses astuces mathématiques ». Les scientifiques ont alors développé un processus de coalescence rapide en temps infinitésimal (FitCoal) qui permet de contourner la difficulté d’un manque d’archives fossiles en Afrique et Eurasie sur la période préhistorique de 950 000 à 650 000 avant nos jours, et de « retracer les historiques de populations ».

Yi-Hsuan Pan explique que les équipes sont parvenues à identifier ce qu’elle qualifie d’ancien « goulot d’étranglement » à partir de l’étude génomique de cinquante-deux populations humaines modernes. « Nous avons établi plusieurs modèles pour valider l’existence de ce goulot d’étranglement et déterminer que la dispersion depuis l'Afrique pouvait influencer son identification ». Haipeng Li, généticien des populations à l’Université de l’Académie chinoise des sciences de Pékin et co-auteur de l'étude, explique dans un article de Nature que « la découverte de ce goulot d’étranglement peut expliquer l’écart chronologique » de 950 000 à 650 000 avant nos jours, en raison d’une quasi extinction de ces espèces.

Nick Ashton, archéologue au British Museum de Londres, a corédigé une étude connexe, qui interroge le chiffre étonnamment bas du nombre d’individus hominidés qui auraient survécu sur une longue période, aux côtés du Professeur Chris Stringer, paléontologue britannique. Il précise que les généticiens de la présente étude ont étudié les « variations génétiques dans les populations modernes, en utilisant des taux de mutation définis pour remonter dans le temps et estimer la taille de la population dans le passé ».

Illustration schématique du risque d'extinction des premiers hominidés il y a environ 900 000 ans.

PHOTOGRAPHIE DE Yi-Hsuan Pan et Haipeng Li / Science

« En analysant des ensembles de données », explique Yi-Hsuan Pan, « nous avons discerné un ancien goulot d’étranglement où la population est passée de 100 000 à 1 280 individus », soit une disparition de près de 98,7 % de la population totale des ancêtres de l'Homme. Pendant près de 11 700 ans, nos ancêtres ont survécu en petits groupes probablement localisés, d’à peine un millier d’individus, en pleine ère glacière.

 

UNE PETITE HISTOIRE DE L’ÉVOLUTION QUI AURAIT PU NE JAMAIS ÊTRE RACONTÉE

Tout indique, selon les scientifiques, que ces petits groupes de survivants étaient les ancêtres du genre Homo. « Les auteurs de l’article suggèrent que la population est l’ancêtre de l’Homo sapiens », précise Nick Ashton, mais aussi potentiellement de « l’Homo heildebergensis, l’Homo rhodesiensis, l’Homo antecessor ou l’Homo bodoensis ». Cette découverte s’aligne également sur de nombreuses études antérieures qui ont formulé le postulat de « l’origine des humains modernes en Afrique » situe Yi-Hsuan Pan.

Le déclin de nos ancêtres « semble s’être produit assez brusquement », rapporte la biologiste. Sur la base des résultats obtenus, les scientifiques envisagent un premier déclin significatif de la population il y a environ un million d’années, puis un pic de mortalité il y a environ 900 00 ans. Nick Ashton précise néanmoins que les preuves archéologiques, largement insuffisantes, suggèrent un effondrement démographique régional, tandis que les auteurs de l’étude génomique « penchent pour un effondrement mondial ». 

Les fossiles d’hominidés datés de 950 000 à 650 000 ans avant notre ère sont effectivement très rares voire introuvables en Afrique. « Cette période [pour laquelle on a peu voire pas de preuves archéologiques] coïncide avec la transition du début du Pléistocène moyen, entre 1 250 000 et 700 000 ans avant notre ère », explique Yi-Hsuan Pan. Les scientifiques associent ce contexte transitif de ralentissement, puis de déclin démographique général, à des phénomènes climatiques qui expliqueraient qu’une grande partie de la population ait été décimée, expliquant par la même occasion que l’on retrouve si peu de preuves archéologiques sur plus de 10 000 ans. 

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    À partir d’études de « stades isotopiques marins », enregistrés dans les glaces du globe, notamment « l’événement de 0,9 Ma », les auteurs de l’étude ont établi un lien entre le fort taux de mortalité et l’installation d’une ère glacière. Il y a eu une « amplitude progressive des oscillations climatiques, avec des séquences interglaciaires à court terme, d’environ 41 000 ans, puis des cycles plus longs, autour de 100 000 ans, provoquant une forte augmentation du volume global de glace », explique Yi-Hsuan Pan. 

    Une ère glacière particulièrement rude, sèche et longue, s’étendant sur une période d’environ 80 000 ans est, selon les chercheurs, la raison principale qui pourrait expliquer un tel déclin de population sur une période aussi longue. « Cette période sèche a été associée à des changements environnementaux majeurs et à un important renouvellement de la faune en Afrique et en Eurasie », explique Yi-Hsuan Pan.

    Nick Ashton soutient cependant que la glaciation à elle seule ne peut pas expliquer cette quasi-extinction. « S’il y a eu un goulot d’étranglement localisé, cela pourrait être dû à une sécheresse régionale, à une maladie ou éventuellement à une activité volcanique ». Les données concernant les conditions d’existence de ces populations sur cette période étendue restent inconnues des chercheurs. Cependant les conditions climatiques ont dû rester constantes afin qu’un petit groupe survive et se maintienne dans le temps.

    Bien que de nombreuses questions restent aujourd’hui sans réponse et qu'il reste difficile d'établir ce qu'il s’est réellement passé il y a environ 813 000 ans, la découverte d’un « goulot d’étranglement humain ancien » montre que nous avons tous les mêmes racines. Yi-Hsuan Pan souligne ainsi que « nos ancêtres ont failli disparaître et ont dû travailler ensemble pour survivre. Cela nous rappelle qu’aujourd’hui, nous devrions nous unir à l’échelle mondiale, en particulier lorsque nous abordons des questions environnementales. Notre histoire met l’accent sur la nécessité d’un travail d’équipe pour faire face à un avenir incertain ».

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