Découverte d'un monstre marin préhistorique exceptionnellement bien conservé

Cette découverte confirme que la ressemblance de certains anciens reptiles avec les dauphins ne se limite pas à leur squelette.

De Michael Greshko
De nombreux fossiles d’animaux marins vieux de 180 millions d’années, dont ceux de milliers d’ichtyosaures, des ...
De nombreux fossiles d’animaux marins vieux de 180 millions d’années, dont ceux de milliers d’ichtyosaures, des reptiles semblables à des dauphins, à l’instar de ce jeune Stenopterygius, ont été découverts dans les carrières de schiste d’Holzmaden, en Allemagne. En analysant un spécimen différent de Stenopterygius mis au jour à Holzmaden, des scientifiques ont découvert une couche de graisse fossilisée, une première.
PHOTOGRAPHIE DE Benjamin Kear

Il y a 180 millions d’années, dans l’Allemagne actuelle, un reptile semblable à un dauphin est mort et a coulé jusqu’au fond d’un ancien océan. Chose tout à fait remarquable, la mer a incroyablement bien conservé le corps de la créature, ainsi que les premières preuves chimiques qui suggèrent que ces animaux préhistoriques possédaient une couche de graisse semblable à celle des baleines.

Dévoilé en décembre dans la revue Nature, le fossile a préservé le corps d’un reptile marin de type ichtyosaure, appelé Stenopterygius, qui vivait au début du Jurassique. Il présente encore de la peau, plissée et ridée, qui renferme des cellules contenant quelques pigments de l’animal et des traces chimiques d’une couche de graisse. Les chercheurs affirment également que le fossile contient encore des protéines, ce qui a suscité la controverse.

« Non seulement vous pouvez voir ces structures et les identifier sur le plan cellulaire, mais elles contiennent des fragments de véritables protéines. Il s’agit de la partie émergée de l’iceberg, quelque chose digne de Jurassic Park », indique Benjamin Kear, co-auteur de l’étude et paléontologue à l’Université d’Uppsala.

L’étude est la preuve des derniers efforts menés par les paléontologues pour obtenir d’importantes informations à partir de tous petits éléments des fossiles.

« Cette étude se penche vraiment sur la préservation de cet animal dans sa totalité […] à une échelle devenue possible il y a seulement quelques décennies », explique dans un email Caitlin Colleary, paléontologue à l’Institut polytechnique et université Virginia Tech, spécialiste en préservation moléculaire des fossiles. « Elle constitue un exemple supplémentaire de la façon dont la paléontologie moléculaire peut nous aider à imaginer à nouveau ce à quoi ressemblaient ces animaux de leur vivant. »

 

LES ICHTYOSAURES, PRÉCURSEURS EN TERMES D’ÉVOLUTION

Au 19e siècle, avant même que les dinosaures ne soient nommés par les scientifiques, l’ichtyosaure, qui signifie littéralement « lézard-poisson », captivait déjà l’imagination des philosophes naturalistes. Avec leur peau tannée, leurs mâchoires étroites et leurs corps adaptés pour la vitesse, ces reptiles étaient les dauphins du Mésozoïque, époque des dinosaures. Aujourd’hui, ils sont considérés comme des précurseurs en termes d’évolution.

« Ils descendaient de reptiles dotés de poumons qui vivaient sur terre et assez rapidement, après 30 millions d’années, ils sont devenus des poissons. Les ichtyosaures sont les premiers ; les baleines ont fait de même plus tard », explique Ryosuke Motani, paléontologue à l’Université de Californie qui étudie les ichtyosaures. « Ils ont [aussi] les plus gros yeux de tous les vertébrés et des espèces apparues plus tard étaient dotées d’un nombre important de "doigts", neuf à dix par pattes. » (À lire : Ce ''monstre des mers'' préhistorique pourrait être le plus grand animal de l'Histoire.)

Des représentations photographique (en haut) et schématique (en bas) montrent les détails du Stenopterygius étudié dans le cadre de la nouvelle étude. Le crâne de l’animal se trouve sur la gauche.
PHOTOGRAPHIE DE Johan Lindgren

Pendant plus d’un siècle, en conséquence de leur enfouissement en eau profonde dans des sédiments pauvres en oxygène, les scientifiques ont découvert des fossiles d’ichtyosaures qui présentaient des traces de tissus mous. Les fossiles les plus connus viennent des carrières de schiste d’Holzmaden, en Allemagne. La plupart des fossiles d’ichtyosaures provenant de ces carrières ont des contours noirâtres, qui marquent les contours de la peau et des nageoires de l’animal.

Depuis les années 1930, les scientifiques qui étudient ces contours soupçonnaient les ichtyosaures d’avoir une couche de graisse, précise Ryosuke Motani. En effet, pour les fossiles d’ichtyosaures dont les contours du corps étaient visibles, il y avait toujours un espace entre la colonne vertébrale et la surface supérieure de l’animal, ce qui suggérait qu’une couche de tissu mou recouvrait l’ossature de l’animal.

Le plus dur était de prouver la théorie de l’existence d’une couche de graisse avec des preuves chimiques. Les chercheurs pouvaient-ils être sûrs que la graisse avait préservé l’ichtyosaure ou bien qu’il s’agissait simplement de tapis de bactéries qui s’étaient nourri du corps ? Le fossile avait-il préservé des fragments de protéines et de graisses de l’animal ? Pour le savoir, les chercheurs avaient besoin d’étudier en détail la chimie d’un ichtyosaure. Mais pour préparer les fossiles, les musées retirent souvent avec soin la roche qui les entourent ou les traitent avec des composés stabilisateurs qui risquent de polluer le fossile.

C’est à ce moment que Johan Lindgren, un paléontologue de l’Université de Lund a décidé de se procurer un fossile d’ichtyosaure non contaminé et de lui faire passer le maximum d’analyses chimiques possible. L’Urweltmuseum Hauff de Holzmaden, qui abrite de nombreux fossiles découverts dans les carrières, possédait un spécimen de Stenopterygius qui correspondait. Très vite, 23 chercheurs internationaux ont rejoint l’équipe de Johan Lindgren.

« C’était vraiment une histoire digne d’Alice au Pays des Merveilles », confie Benjamin Kear. « Nous sommes entrés dans un terrier de lapin et nous n’avons pas cessé d’aller de plus en plus loin. »

 

COUCHE DE GRAISSE ET CAMOUFLAGE

Dans un premier temps, l’équipe de Johan Lindgren a analysé la peau de l’ichtyosaure, que le fossile avait incroyablement bien préservé. Les scientifiques sont parvenus à identifier les différentes couches de peau et même les plis qui s’étaient formés alors que l’animal se décomposait.

Chose étonnante, les chercheurs ont trouvé des traces de mélanophores, des cellules spécialisées qui contiennent de la mélanine, un pigment. Si une telle découverte chez les ichtyosaures date des années 1950, l’équipe de Johan Lindgren a décidé d’adopter une approche résolument digne du 21e siècle pour étudier cela. À l’aide de puissants spectroscopes et rayons-X, les scientifiques ont scanné le fossile à la recherche de mélanine et ont reconstruit les mélanophores en 3D. L’équipe a ainsi découvert que, comme de nombreux animaux marins modernes, la couleur du dos de l’ichtyosaure était plus foncée que celle de son ventre. Cette forme de coloration, qui s’appelle contre-illumination, aurait permis à l’animal de se camoufler dans l’eau et de réguler sa température corporelle.

Les chercheurs ont également découvert ce qui ressemble à une couche de graisse dans la peau préservée. Les analyses chimiques suggèrent que cette couche n’est pas composée de polluant moderne ou de protéines, contrairement à d’autres couches de peau. Il s’agit plutôt d’une bande de graisse jaunâtre qui se situe approximativement au même endroit que la couche de graisse des dauphins et des tortues luth modernes.

Voici à quoi ressemblait peut-être un ichtyosaure de type Stenopterygius. Si les chercheurs ne connaissent pas la couleur ou les motifs exacts de leur peau, des éléments découverts sur le fossile suggèrent que le dos de l’animal était d’une couleur plus foncée que son ventre.
PHOTOGRAPHIE DE Illustration by Josh Lee

« Pour moi, c’est assez convaincant », indique Jasmina Wiemann, paléontologue à Yale, doctorante et spécialiste en préservation moléculaire des fossiles qui n’a pas pris part à l’étude. « Je dois dire qu’ils ont eu recours à de nombreuses méthodes, ils ont dû avoir beaucoup de travail. »

La présence d’une couche de graisse indique que les ichtyosaures pouvaient au moins maintenir leur température corporelle à un niveau constant. Bien qu’aucune étude ne soit parvenue à prouver que les mammifères marins modernes, notamment les baleines et les dauphins, aient le sang-chaud, les résultats correspondent à ceux d’une étude de 2010 qui avait découvert que la température corporelle des ichtyosaures atteignait 35 °C.  

 

DES PROTÉINES PRÉSERVÉES DANS LE FOSSILE

Toutefois, l’affirmation selon laquelle le fossile d’ichtyosaure contiendrait encore des protéines de l’animal est la plus importante et la plus controversée. Si cela est vrai, les biomolécules de l’ichytosaure feraient partie des plus anciennes préservées jamais découvertes, âgées d’environ 180 millions d’années.

Mary Schweitzer, paléontologue à l’Université d’État de Caroline du Nord et co-auteur de l’étude, a aidé l’équipe à détecter les protéines du fossile à l’aide d’anticorps. Cela fait des décennies qu’elle utilise cette technique, qui lui a permis de découvrir du collagène de dinosaures et d’autres protéines dans des conditions rigoureuses de salle blanche. Dans le cadre de cette nouvelle étude, Mary Schweitzer et ses collègues ont constaté des traces d’hémoglobine dans le foie de l’ichtyosaure, ainsi que des fragments de protéines structurelles, telles que le collagène et la kératine, dans la peau.

Son équipe a analysé les échantillons dans un laboratoire où les tissus d’animaux modernes sont interdits. Pour s’assurer de ne pas obtenir de faux résultats positifs, les échantillons ont également été testés avec de multiples anticorps, dont un qui met en évidence,s’ils existent, les tapis bactériens fossilisés.

« Nous pouvons distinguer où ces anticorps se lient et ils ne le font pas par hasard », précise Mary Schweitzer. «  Vous ne voyez pas [d’anticorps] de kératine se lier sur tout ; ils ne le font que sur ce que nous interprétons comme de la peau. »

Toutefois, certains paléontologues critiquent depuis longtemps la méthode qui repose sur les anticorps car elle aurait tendance à montrer des protéines là où elles ne sont pas exactement présentes. Un des premiers échantillons analysés par Mary Schweitzer dont les résultats ont été publiés, à savoir des fibres provenant du fossile d’un dinosaure Shuvuuia deserti, a récemment été soumis à plusieurs tests par des chercheurs, mais ils n’ont trouvé aucune preuve attestant de la présence de protéines.

« Je crains que ces techniques qui reposent sur les anticorps soient fortement susceptibles de donner de faux positifs à cause des agents de consolidation [des composés utilisés pour stabiliser les fossiles], des polluants et des autres matières organiques des fossiles », a indiqué dans un email Evan Saitta, chercheur au Muséum d’histoire naturelle de Field qui a dirigé la nouvelle analyse du fossile de Shuvuuia. « J’aimerais que ces études incluent plus d’échantillons de contrôle […] bien que la nature hétérogène de cet échantillon puisse aider à éclaircir cela en partie. »

Le scepticisme relatif à l’étude est en partie apparu à cause de l’ampleur des affirmations de Mary Schweitzer et d'autres scientifiques. Si les protéines se conservent aussi bien dans le registre fossile, les chercheurs pourraient directement étudier les protéines des animaux anciens et apprendre bien plus sur la façon dont ils vivaient et ont évolué qu’avec la simple étude des ossements. Des études futures menées sur d’autres ichtyosaures ainsi que des analyses supplémentaires du Stenopterygius devraient aider à clarifier la question.

« Nous allons poursuivre [notre étude de ce fossile] », a indiqué Mary Schweitzer. « Il s’agit d’un spécimen incroyable. »

Pour Benjamin Kear, le débat que pourrait susciter l’étude de l’équipe est bienvenu : « On vous attend ! », dit-il. « Ce n’est que par le biais d’analyses constantes des données que nous pourrons avoir une idée plus claire de ce qui se passe vraiment. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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