Des chercheurs sont parvenus à forer le manteau terrestre

Le manteau terrestre a été atteint pour la première fois. Une prouesse que l’on pensait impossible jusqu’alors, qui nous permet d’imaginer un futur proche où l’on en saurait plus sur les mécanismes internes de notre planète et sur les origines de la vie.

De Marie Zekri
Publication 29 août 2023, 17:29 CEST
Un fragment d'une carotte de roche récoltée dans le manteau terrestre.

Un fragment d'une carotte de roche récoltée dans le manteau terrestre.

PHOTOGRAPHIE DE Andrew McCaig

Depuis de nombreuses années, les géologues s’intéressent aux mécanismes internes de notre planète. La difficulté réside dans notre incapacité à échantillonner le manteau in situ. En effet, la plus grande profondeur que l’Homme est parvenu à atteindre par forage se situe à 12,2 kilomètres. Il s’agit du puits SG-3, sur le site de forage de Kola, en Russie.

Pour comprendre et expliquer des mécanismes comme la tectonique des plaques ou l’origine de la vie sur Terre, les scientifiques se sont concentrés sur les indices qui ont été disséminés par la vie géologique de notre planète. Les géo-scientifiques du monde entier se sont intéressés aux quelques fragments de roches, arrachés au manteau, notamment par les volcans terrestres et au niveau des limites des plaques tectoniques. 

C'est au niveau du Massif Atlantis, une montagne sous-marine située non loin de la dorsale médio-atlantique, dans le champ hydrothermal de Lost City, qu’une équipe de scientifiques internationaux est parvenue, d’avril à juin 2023, à atteindre le manteau supérieur de la Terre pour la première fois dans l’histoire de l’humanité. 

L’expédition 399 du Programme International de Découverte des Océans (IODP), en partie soutenue par la recherche française notamment via l'Institut National des Sciences de l’Univers (INUS) du CNRS, a été codirigée par Susan Q. Lang, professeure et directrice d’un groupe de recherche en géochimie au Woods Hole Oceanographic Institution aux Etats-Unis, et Andrew M. McCaig, professeur en cartographie géologique à  l’école de la Terre et de l’environnement de l’Université de Leeds au Royaume Unis. 

 

UN PREMIER CONTACT AVEC LE MANTEAU TERRESTRE

Ce projet de recherche sur le Massif Atlantis a été proposé en 2018. « Ce site a été exploré plusieurs fois depuis la découverte des émissions d’hydrogène naturel du champ hydrothermal de Lost City en décembre 2000 lors d’une plongée du sous-marin Alvin DSV financée par la National Science Foundation », explique Marguerite Godard, géochimiste spécialiste des roches, chercheuse au CNRS et membre de l'expédition 399. « Entre 2005 et 2015, le massif a fait l'objet de trois expéditions de forages », précise-t-elle. Andrew McCaig explique qu’il s’agissait dans un premier temps de s’intéresser à la présence de vie dans ces zones caractérisées par des températures très élevées. 

L’expédition a été menée à bord du JOIDES Resolution, un navire qui sillonne les mers depuis plus de vingt ans à la recherche de réponses scientifiques sur les mystères de l’océan et le fonctionnement géologique de notre planète. Au fil des missions, des scientifiques venus d'un peu partout avec différents intérêts de recherche, de la biologie à la géochimie, embarquent pour venir enrichir les différents projets de leurs multiples domaines d’expertise. 

« Le Massif Atlantis se trouve au niveau d'une dorsale médio-océanique, qui est un élément clef dans la tectonique des plaques », explique Andy Parsons, chercheur en géosciences marines à l’école des sciences géographiques, terrestres et environnementales de l’Université de Plymouth. C’est en effet au niveau de ces dorsales que l’activité magmatique produit une toute nouvelle croûte océanique. Ces nouvelles roches forment le plancher océanique, qui s’éloigne des dorsales, évolue jusqu’à plonger dans les profondeurs de la Terre au niveau des fosses océaniques, et se mêle au manteau terrestre par des mouvements de subduction.

Qu'est-ce que la tectonique des plaques ?

La zone choisie pour parvenir à atteindre le manteau terrestre, « est contrôlée par une tectonique très particulière », explique Marguerite Godard. C’est cette singularité qui a permis aux chercheurs de voir bien plus loin que quiconque ne l’avait fait auparavant. Au niveau de la dorsale Atlantique « les plaques lithosphériques, au lieu de se repousser, font remonter les roches en provenance du manteau » vers la croûte océanique, explique Andy Parsons. 

« La formation de la croûte océanique dépend de la remontée de matériaux chauds issus des parties supérieures du manteau, au niveau de l’asthénosphère [zone située entre le manteau supérieur et la lithosphère, entre 100 et 200 kilomètres sous la croûte terrestre, ndlr] par le biais des dorsales médio-océaniques », explique McCaig. Il s’agit du processus de fusion par décompression

« Dans le Pacifique, les matériaux qui remontent [vers la surface du plancher océanique] sont principalement volcaniques », indique Parsons. Il s’agit d’un contexte de propagation rapide. Or, la dorsale Atlantique est régie par un processus d'« extension tectonique » lent. « Tandis que l’Amérique du Sud et l’Afrique s’éloignent, cela va créer l’espace nécessaire pour que le manteau résiduel puisse remonter », explique McCaig. 

Au niveau d'Atlantis Massif, les roches  du manteau terrestre remontent de manière verticale dans un premier temps, puis à l’horizontale lorsqu’elles s’approchent de la surface. « Il s’agit plus [dans ce contexte] d’un étirement des roches du manteau vers la surface », précise Parsons. « Ces roches sont le résidu de la fusion  par décompression», ajoute Godard. En principe « la fusion du manteau produit les magmas qui forment une croûte volcanique comme dans le Pacifique, or, au Massif Atlantis, on ne retrouve pas cette croûte océanique »,

Cette particularité expose les roches du manteau à des profondeurs moins importantes et donc à la portée des appareils de forage des scientifiques. De plus, creuser au niveau des dorsales océaniques est plus intéressant pour les chercheurs, car la croûte océanique de ces zones est bien plus fine qu’en domaine continental. On passe ainsi d’une distance de 33 kilomètres de profondeur avant d’atteindre le manteau supérieur en domaine continental, contre 7 kilomètres dans certains domaines océaniques. Le forage réalisé à des fins exclusivement scientifiques a fait l’objet de planifications géologiques et biologiques, pour appréhender toute problématique d’ordre environnemental ou sismique.

Les dorsales médio-océaniques sont des endroits clefs pour comprendre les mécanismes profonds de la Terre. Dans ces zones, la chaleur et des composants chimiques peuvent être « transférés du manteau vers la lithosphère, puis vers la croûte océanique, et peuvent également impacter la biologie des grands fonds. Ces échanges sont d’une importance planétaire », ajoute Andy Parsons. 

 

UNE PORTE VERS LES SECRETS DE LA VIE SUR TERRE

Les échantillons prélevés sur plus de 1 kilomètre jusqu’à des températures d’environ 200° C se présentent sous forme de carottes rocheuses. Ils ont été assez difficiles à obtenir en raison de l’agencement géologique particulier de cette région de l’Atlantique. « L’exposition est assez courbée. Ce que nous voyons verticalement était horizontal à l’origine », explique Andrew McCaig. Les tout premiers résultats suite à l’étude des roches prélevées dans le manteau ont révélé en profondeur une présence de péridotites caractéristiques des couches supérieures du manteau, et plus en surface des roches magmatiques, notamment du gabbro au niveau de la croûte océanique. 

Or ces premières études révèlent une évolution complexe des roches, des plus profondes à celles qui se trouvent le plus en surface. Les chercheurs ont trouvé beaucoup de serpentine dans les échantillons prélevés. Cette roche métamorphique résulte d’une transformation de la péridotite précédemment évoquée, quand celle-ci remonte vers la surface, et entre en contact avec l’eau de mer.

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    Une équipe de scientifiques internationaux étudie des échantillons de roches collectées dans le manteau terrestre.

    PHOTOGRAPHIE DE Andrew McCaig

    Le premier constat est que cette roche n’est pas seulement présente en surface, là où il y a un contact de la croûte avec l’eau de mer. Elle est également présente plus en profondeur dans le manteau supérieur, là où l’on ne s’attend a priori pas à trouver de contact avec l’eau. En regardant plus en détails les échantillons prélevés à différentes profondeurs, les scientifiques ont découvert qu’il y avait une multitude de paliers, de la croûte au manteau, présentant des strates de serpentine. 

    « Ces zones du manteau supérieur sont donc régies par des interactions très complexes », explique Parsons. Cette découverte peut apporter des éléments de réponses quant aux mécanismes physiques, dans la géologie interne de la Terre, qui provoquent la tectonique des plaques. « La serpentine est en effet une roche bien plus facile à déformer que les péridotites et les gabbros dans les quelques kilomètres les plus proches de la surface de la Terre », ajoute Marguerite Godard, ce qui peut expliquer ruptures et glissements.

    Les scientifiques font un deuxième constat : la formation de la serpentine a un lien avec le système biologique environnant. Les microbes et les formes de vie primitives qui entourent la zone « dépendent de l’hydrogène qui est émis lors de la réaction de serpentinisation », explique Parsons, contrairement à la plupart des formes de vie, qui ont besoin de lumière et d’oxygène pour survivre. 

    « Les formes uniques d’écosystèmes de cette région océanique sont d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous cherchions à forer à cet endroit », souligne-t-il. Ce n’est pas par hasard que l’expédition a été baptisée « Massif Atlantis et éléments constitutifs de la vie ». « L’oxydation de la péridotite lors de la formation de la serpentine affecte la composition chimique de l’eau de mer », explique McCaig. L’hydrogène produit « réagit avec le CO2, ce qui permet la production de molécules plus complexes ». Trouver de la serpentine profondément dans le manteau supérieur interroge quant aux séries d’évènements qui ont pu favoriser l’apparition de la vie sur Terre. 

    Les scientifiques ont découvert « un réseau [complexe et cyclique] qui permet à l’eau de mer d’interagir [de façon indirecte] avec les roches du manteau », soulève Parsons. « Ce sont les changements dans la roche qui donnent le plus d’informations, car ils permettent de visualiser et de comprendre différents processus », ajoute Andrew McCaig. Notamment des processus qui permettent d’entrevoir les origines de la vie sur Terre, car « avant d’obtenir de l’ADN, il faut des acides aminés. Pour les obtenir, il faut des molécules organiques dérivées du carbone. Ces molécules ont avant cela besoin d’hydrogène », conclut McCaig.

    En remontant la chaîne du vivant pour en comprendre l’origine, il semble que les réactions qui régissent la vie géologique profonde de notre planète constituent une explication solide. Andrew McCaig et Andy Parsons expliquent qu’à la grande déception des chercheurs, l’aventure du JOIDES Resolution touchera à sa fin en 2024, la NSF ayant annulé son financement. Cependant, les recherches n’en sont qu’à leurs prémices, les analyses des échantillons prélevés sont en cours et d’autres projets de forages scientifiques océaniques pourront prendre la relève dans les années à venir, notamment grâce au nouveau programme IODP-Cubed porté le consortium européen ECORD et le Japon, afin d’en apprendre plus sur la tectonique des plaques, et sur l’origine de la vie sur Terre.

    Cet article a été mis à jour le 12 septembre 2023, d'après les retours de Marguerite Godard.

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