Ce qu'il faut savoir sur Telepathy, la puce cérébrale de Neuralink qui inquiète les spécialistes

Le milliardaire américain Elon Musk espère pouvoir révolutionner les capacités humaines grâce à une puce cérébrale. Plusieurs spécialistes soulèvent les dilemmes éthiques et déontologiques que pose un tel procédé.

De Morgane Joulin
Publication 26 févr. 2024, 18:20 CET
Elon Musk aimerait arriver avec cette puce cérébrale, à une « symbiose avec l'IA », selon ses mots ...

Elon Musk aimerait arriver avec cette puce cérébrale, à une « symbiose avec l'IA », selon ses mots prononcés lors de la conférence annuelle de Neuralink de 2020.

PHOTOGRAPHIE DE APFootage / Alamy Banque D'Images

Permettre aux personnes gravement paralysées de contrôler un ordinateur, un bras robotique, un fauteuil roulant ou un autre appareil par la seule activité cérébrale, voici ce que promet la start-up Neuralink, lancée en 2016 et dont Elon Musk est le co-fondateur. 

Celle-ci espère pouvoir révolutionner les Interfaces Cerveau-Ordinateur (ICO), aussi appelés Interface Cerveau-Machine (ICM), c’est-à-dire les systèmes impliquant « une liaison directe entre le cerveau et un ordinateur ». Ces derniers permettent à un individu « d’effectuer des tâches sans utiliser les nerfs périphériques et les muscles », explique Salma Mesmoudi, Ingénieure de recherche à l’Université Panthéon Sorbonne. 

Neuralink n’est pas la première entreprise à avoir mis en place un dispositif ICO. « Le concept remonte à 1973, et les premiers essais chez l’Homme datent du milieu des années 1990 », indique Salma Mesmoudi. En 2005, le tétraplégique Matt Nagle a été la première personne à contrôler une main artificielle grâce à une interface Homme-ordinateur. L'implant a été réalisé dans la région du gyrus précentral droit, responsable du contrôle du mouvement du bras. 

Pour Neuralink, le dispositif à l’œuvre prend la forme d’une puce intitulée Telepathy, de la taille d’une pièce de deux euros, que l’on implanterait grâce à la chirurgie et à l’aide d’un robot, dans la région du cerveau qui contrôle l’intention de bouger. L’objectif est de permettre aux gens de contrôler un curseur ou un clavier d'ordinateur, en utilisant uniquement leurs pensées. « Neuralink met en avant la flexibilité de ses fils, un aspect crucial pour une implantation précise et sûre, et affirme développer un robot pour insérer ces fils dans le cerveau », révèle l’ingénieure. La puce contiendrait 64 fils polymères flexibles, fournissant 1 024 sites d'enregistrement de l'activité cérébrale. C’est en tout cas ce qu’annonce la brochure du dispositif, seule source d’information publique venant directement du site internet de la start-up. 

Ce dispositif, s’il fonctionne, pourrait bouleverser la vie des personnes qui l’utilisent. « Des individus tétraplégiques pourraient contrôler un exosquelette grâce à la pensée pour se déplacer, des personnes amputées pourraient contrôler les mouvements de leur prothèse par la pensée, des personnes ayant perdu la parole pourraient parler via un ordinateur, toujours grâce à la pensée », énumère Salma Mesmoudi. 

La capacité de Telepathy « dépasse considérablement celle des ICO de Blackrock Neurotech, le seul autre système d'enregistrement neuronal unique à avoir été implanté à long terme chez l'Homme. » En effet, Blackrock Neurotech constitue actuellement l’un des seuls concurrents sérieux à Neuralink. Il est le seul autre système d'enregistrement de neurone individuel à avoir été implanté à long terme chez l'Homme. Mais celui-ci est beaucoup moins puissant que celui de Neuralink.

La miniaturisation du dispositif ICO est très couteuse, et a été rendue possible pour Telepathy, grâce aux fonds injectés par de nombreux entrepreneurs. La startup a réussi à lever environ 323 millions de dollars, selon les données de France Info. « Ils ont eu l’argent pour faire ce qu’aucun centre académique dans le monde n’a pu faire », résume François Berger, Neurologue et Chercheur au CHU de Grenoble.

Après plusieurs essais d’implantation réalisés d’abord sur des porcs, puis sur des singes, l’essai sur l’Homme a été autorisé par la Food and Drug Administration (FDA) en mai dernier, après un premier refus. Dans un tweet posté le 29 janvier 2024, Elon Musk a affirmé que « le premier être humain à avoir reçu un implant Neuralink se rétabli[ssait] bien. »

Telepathy est l’un des seuls systèmes implantés, utilisable sans fil. Il est rechargeable par induction et communique avec un ordinateur par bluetooth. 

PHOTOGRAPHIE DE Naeblys / Alamy Banque D'Images

 

LES PROBLÉMATIQUES ÉTHIQUES

Le gros point noir de ce dispositif réside dans son manque de transparence sur les études cliniques. L’essai réalisé sur le premier patient n’a pas été enregistré sur ClinicalTrials.gov, un référentiel en ligne, géré par le National Institutes of Health (NIH), une institution gouvernementale américaine chargée de la recherche médicale. Or, de nombreuses revues médicales font de cet enregistrement une condition nécessaire à la publication des résultats, afin de mieux protéger les personnes volontaires dans les essais cliniques. 

« Le manque de clarté sur les détails de l'essai, tels que les sites d'implantation et les critères d'évaluation, limite la capacité des chercheurs à évaluer pleinement l'impact et l'efficacité potentiels de cette technologie révolutionnaire », affirme en ce sens Salma Mesmoudi. « Un essai où n’y a pas de transparence ne devrait pas être supporté », renchérit François Berger.

Au-delà du manque de transparence, l’objectif final d’Elon Musk n’est pas clair. S’il assure avoir pour but initial l’amélioration des conditions de vie des personnes en situation de handicap, il assume vouloir, à terme, développer cette innovation pour pouvoir la commercialiser à grande échelle. Cette démarche s’apparente à une idéologie transhumaniste, ayant pour visée par la science et la technologie d’améliorer les capacités humaines. « Actuellement, la médecine a interdiction d’améliorer l’Homme », indique François Berger. Pour lui, « le cerveau doit rester un sanctuaire, dans le sens de la privacité de l’intimité de la pensée. »

« Elon Musk pense qu’il peut enregistrer toute la complexité de la pensée, voire la modifier. Mais c’est faux, car cela repose sur une vision cybernétique du cerveau qui date des années 1950. » Selon le scientifique, notre cerveau n’est « pas un ordinateur », mais « un réseau nourri par l’histoire du patient, par les gens qu’il a rencontrés et par les gens qu’il aime. »

De plus, les opérations qui touchent au cerveau ne sont jamais anodines. « Mettre des technologies dans le cerveau, c’est toujours dangereux. On risque l’hématome ou l’infection. Dans tous les protocoles renseignés, il y a eu 20 à 25 % d’infection », explique le neurologue. Pour lui, il est important de prendre en compte la balance bénéfice/risque.

« Il faudrait que les essais d’Interface Cerveau-Machine, partout dans le monde, soient monitorés par des instances internationales. » De plus en plus d’entrepreneurs dans les neurotechnologies, comme Elon Musk ou Ray Kurzweil, directeur de l’ingénierie chez Google, revendiquent le droit de disposer de leur cerveau librement. Cela peut poser plusieurs problématiques éthiques, notamment sur l’autonomie ou non du patient, et sur la notion de responsabilitéSelon François Berger, « il faut qu’il y ait des gens des sciences humaines et sociales, notamment philosophes et sociologues, qui puissent donner leur avis. Ce ne sont pas les scientifiques qui peuvent voir le problème éthique […] car on se rend compte qu’actuellement, il y a des changements politiques qui font qu’on pourrait tout à fait changer les règles de développement des dispositifs médicaux. »

« Cette hybridation entre l'humain et la technologie soulève des questions complexes sur la personnalité juridique et la responsabilité. En cas de prise de décision assistée par une intelligence artificielle plutôt que par la personne humaine, il est nécessaire de déterminer à qui incombe la responsabilité juridique », conclut Salma Mesmoudi.

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