La pandémie aurait-elle accentué notre propension à la procrastination ?

La procrastination résulte d’une bataille entre une partie ancienne du cerveau, le système limbique, et une partie plus jeune, le cortex préfrontal. Cette lutte a été amplifiée par la pandémie, les confinements et l’isolement.

De Nicole Johnson
Publication 5 mars 2021, 12:12 CET
Avoiding bedtime

La pandémie a provoqué une hausse de la « procrastination du sommeil de revanche », qui consiste, malgré les conséquences d’une telle décision, à repousser le moment du coucher pour reprendre le contrôle sur une longue et stressante journée de travail.

PHOTOGRAPHIE DE Kirill Kudryavtsev, AFP via Getty Images

Restez-vous debout jusqu’à tard dans la nuit pour vous adonner au maximum à vos loisirs après une longue journée, au risque d’être fatigué et à la traîne le lendemain ? Nettoyez-vous votre salle de bain au lieu de répondre à vos e-mails professionnels ? Vous n’êtes pas le seul. La COVID-19 a donné naissance à une crise mondiale de santé mentale, qui profite à l’une de nos plus mauvaises habitudes : la procrastination.

Nous ne procrastinons pas nécessairement par paresse. Ce comportement aurait pour origine notre développement évolutif et deux parties clés de notre cerveau qui s’affrontent pour le contrôler.

« La procrastination est une stratégie d’adaptation fondée sur les émotions », explique Tim Pychyl, professeur de psychologie à l’université Carleton d’Ottawa, en Ontario, et auteur du livre Solving the Procrastination Puzzle (La solution à la procrastination). « Il ne s’agit pas d’un problème de gestion du temps, mais de gestion des émotions ».

Un an après que l’Organisation mondiale de la santé a déclaré que l’épidémie de COVID-19 constituait une pandémie, celle-ci s’éternise. L’espoir est revenu avec l’arrivée des vaccins, mais nous avons encore quelques mois de confinement et d’isolement qui nous attendent avant que l’immunité collective soit atteinte. Cette situation, qui engendre peurs et frustrations, permet souvent à la procrastination de l’emporter.

« La procrastination peut provenir de plusieurs problèmes de santé mentale et physique », indique Nitin Desai, médecin à Fayetteville, en Caroline du Nord. « La pandémie a causé une hausse du stress, de l’anxiété et de la dépression. Par conséquent, un nombre plus élevé de personnes [souffrent de] ces problèmes sous-jacents, ce qui conduit à davantage de procrastination ».

Quels phénomènes sont responsables de la procrastination ? Comment la pandémie a-t-elle provoqué une augmentation des différentes formes de ce comportement ? Quelles stratégies pouvons-nous mettre en œuvre pour remettre notre cerveau sur le droit chemin ? Découvrez les réponses à ces questions ci-dessous.

 

LE SYSTÈME LIMBIQUE EN CAUSE

Les spécialistes qui étudient la procrastination définissent ce comportement comme le fait de remettre volontairement à plus tard un acte prévu, tout en sachant qu’il est pire de retarder la réalisation de cette tâche à long terme. Nous savons qu’elle ne disparaîtra pas, mais nous laissons parfois nos émotions prendre le dessus. 

Selon les neuroscientifiques, la procrastination résulte d’une bataille entre une partie ancienne du cerveau, appelée le système limbique, et une partie relativement plus jeune, le cortex préfrontal.

Parfois désigné comme le « cerveau paléomammalien » en raison de ses composants qui jouent un rôle dans nos réflexes de survie les plus fondamentaux, le système limbique contrôle les comportements de base comme la réponse de « combat-fuite », ainsi que les émotions et la recherche du plaisir. Il est le plus souvent associé aux comportements impulsifs et à une envie de satisfaction instantanée.

Le cortex préfrontal a évolué plus récemment, il y a entre 19 et 15 millions d’années selon les scientifiques. Il est responsable des comportements plus complexes, comme le fait de se projeter dans l’avenir, une capacité qui a probablement été utile nos ancêtres pour coordonner les chasses de proies de plus grande taille et l'établissement des premières civilisations.

Lorsque nous sommes submergés par des émotions fortes comme l’anxiété et la peur, le système limbique impulsif peut prendre le dessus. Nous remettons alors à plus tard des tâches rébarbatives et nous nous octroyons un répit temporaire en regardant l’intégrale d’une série sur Netflix ou en essayant la dernière recette tendance sur TikTok.

Avant la pandémie, les procrastinateurs chroniques étaient confrontés à une multitude de conséquences néfastes, comme de mauvais résultats scolaires ou le report de rendez-vous médicaux ou de séances de sport. Si certains spécialistes estiment que la procrastination peut favoriser la créativité, il ne faut cependant pas confondre le fait de remettre quelque chose à plus tard de façon délibérée et réfléchie avec la procrastination d’autocensure.

« Nous voulons toujours transformer un vice en qualité », observe Tim Pychyl.

 

LA PROCRASTINATION DU SOMMEIL

Au début de la pandémie, nous avons lutté avec ce que les spécialistes appellent la fatigue pandémique, à savoir un épuisement provoqué par l’adaptation aux restrictions liées au virus. Alors que la pandémie s’éternise, un nombre croissant de personnes sont vulnérables au stress et au doute, ce qui favorise la procrastination.

« La distanciation sociale et le fait de rester chez soi ont perturbé notre capacité à faire des choses qui nous permettent de rester plus facilement concentrés sur les tâches à accomplir », comme avoir des horaires réguliers et des espaces distincts pour des activités spécifiques, explique Julianna Miner, professeure adjointe de santé à l’échelle locale et mondiale à l’université George Mason de Virginie et autrice du livre Raising a Screen-Smart Kid: Embrace the Good and Avoid the Bad in the Digital Age (Élever un enfant responsable avec les écrans : les bonnes et les mauvaises pratiques à l’ère du numérique en français, ndlr).

Selon la professeure, la hausse de la procrastination s’explique par le télétravail et les cours en distanciel, qui compliquent la séparation des espaces de travail et de détente et entravent la décomposition de notre temps entre travail et relaxation. « Le manque de structure nuit beaucoup aux personnes qui ont tendance à procrastiner », explique Julianna Miner.

Un avis que partage Robin Hornstein, psychologue agréée et coach à Philadelphie. « Maintenant qu’elles travaillent chez elles, ces personnes ont perdu les repères de travail qui assurent le bon déroulement de la journée », explique-t-elle. « Comme nous souffrons de stress prolongé, nous adoptons de mauvaises habitudes pour nous apaiser et nous sentir mieux. Cela peut aboutir à la procrastination ».

La pandémie semble notamment provoquer une hausse de la « procrastination du sommeil ». Ce terme, employé pour la première fois en 2014 dans une étude menée par des chercheurs de l’université d’Utrecht aux Pays-Bas, décrit le fait que les personnes se couchent plus tard pour pouvoir s’adonner à leurs loisirs. Faisant référence aux personnes qui restent éveillées plus longtemps pour pouvoir s’amuser et ainsi prendre leur revanche sur leur journée de travail, des internautes chinois l’ont renommé « procrastination du sommeil de revanche » en 2020. Un nouveau terme auquel nous pouvons fortement nous identifier.

Selon une étude publiée en 2019 dans la revue Frontiers in Neuroscience, les femmes seraient particulièrement sujettes à la procrastination du sommeil. Avec la pandémie, ce problème serait désormais exacerbé par les sollicitations supplémentaires qui pèsent sur l’emploi du temps de ces dernières. Une telle procrastination chronique peut avoir de graves répercussions, puisque le manque de sommeil peut engendrer des problèmes de santé physique et mentale.

Autre terme à la mode apparu avec la pandémie, la « procrastination productive » décrit le fait qu’une personne évite d’accomplir une tâche en en effectuant une autre. Cela peut, par exemple, consister à remettre à plus tard le travail sur un gros projet pour astiquer sa salle de bain. Le problème, c’est que ce comportement s’apparente à un loup déguisé en agneau. Même si vous faites quelque chose et que vous atteignez un certain niveau de productivité dans le nettoyage, le rapport devra quand même être rédigé. En outre, le remettre à plus tard ne fait qu’augmenter le stress.

Selon Tim Pychyl, cette « procrastination productive », en plus d’être un oxymore, constitue un autre exemple de la manière dont nous essayons de transformer un vice en qualité.

 

QUELLES SOLUTIONS ?

S’il peut être difficile de lutter contre la procrastination, des solutions existent pour éviter de tomber dans son piège mental.

Des études démontrent ainsi que la pleine conscience et l’auto-compassion peuvent aider avec la procrastination, sans doute parce qu’elles visent à surmonter les émotions négatives. Dans une étude publiée par la revue Mindfulness en 2018, des scientifiques ont découvert que les personnes capables de reconnaître leurs erreurs ou autres échecs personnels et de se les pardonner étaient moins enclines à la procrastination. Une autre étude, parue en 2020 dans la revue International Journal of Applied Positive Psychology, révèle que les personnes réalisant des exercices de pleine conscience, même brefs, sont plus susceptibles de rester concentrées sur une tâche.

Tim Pychyl préconise de ne pas se surcharger avec un projet entier, mais plutôt de planifier étape par étape. Le fait de se concentrer sur la réalisation d’une étape, aussi petite soit-elle, force le cerveau à se focaliser sur une action, et non sur l’émotion associée.

Julianna Miner conseille aux personnes souffrant de procrastination d’identifier ce qui leur permettait d’être productives par le passé. Selon elle, « créer un certain niveau de responsabilité aide ». C’est pour cela que de nombreuses facultés ont mis en place des groupes de responsabilisation en matière de procrastination à destination des étudiants.

La psychologue encourage également les personnes à prendre leurs responsabilités en rédigeant des listes de choses à faire et en mettant en place un système de récompense une fois les tâches réalisées. Des études antérieures démontrent que la promesse d’une récompense, même petite, comme une promenade rapide ou une friandise, peut nous motiver à nous concentrer sur notre travail.

Plusieurs spécialistes mettent toutefois en garde contre la procrastination excessive, qui peut découler de problèmes de santé mentale plus graves. « La procrastination peut être un symptôme ou un comportement inadapté résultant d’un problème médical sous-jacent, comme l’anxiété, un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), un état de stress post-traumatique (ESPT) ou la dépression », précise Nitin Desai. « Un examen médical minutieux et des tests psychologiques sont conseillés dans un premier temps ».

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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