Le variant Delta Plus est-il plus létal que les autres ?

À l'heure où le dernier variant du coronavirus poursuit sa propagation à travers une dizaine de pays, dont l'Inde, le Portugal et le Royaume-Uni, les scientifiques s'interrogent sur la létalité et la transmissibilité de cette nouvelle souche.

De Sanjay Mishra
Publication 7 juil. 2021, 17:15 CEST
Delta

Des fossoyeurs vêtus de combinaisons de protection se reposent après avoir enterré une victime de la COVID-19 à Bandung, dans la province de Java occidental, en Indonésie, le 15 juin 2021.

PHOTOGRAPHIE DE Antara Foto, Raisan Al Farisi, via Reuters

Un nouveau variant du coronavirus a fait son apparition et les scientifiques s'efforcent de déterminer s'il est plus dangereux que son prédécesseur, le tristement célèbre variant Delta, qui a tué des centaines de milliers de personnes en Inde et devrait rapidement s'imposer comme le variant dominant à travers le monde.

Après avoir subi de plein fouet la deuxième vague épidémique, l'État indien du Maharashtra se voit dans l'obligation de réintroduire des mesures de confinement de la crainte soulevée par ce nouveau variant, baptisé Delta Plus de façon non officielle.

Le variant Delta Plus est légèrement différent du variant Delta, la souche prédominante en Inde et au Royaume-Uni, plus contagieuse et à l'origine d'un plus grand nombre d'hospitalisations que les souches précédentes. Les vaccins existants sont efficaces contre le variant Delta, mais seulement en cas de vaccination totale.

Par mesure de précaution, l'Organisation mondiale de la santé recommande aux personnes complètement vaccinées de continuer à porter le masque. « Une fois totalement vacciné, continuez à prendre vos précautions, car vous pourriez faire partie d'une chaîne de transmission. Il se peut que vous ne soyez pas totalement protégés. Parfois, les vaccins ne fonctionnent pas, » a déclaré Bruce Aylward, Conseiller principal auprès du Directeur général de l'OMS, lors d'une conférence de presse tenue la semaine dernière.

Le variant Delta Plus est apparu dans les bases de données mondiales à la mi-mars et dès le 26 avril, les premiers cas étaient identifiés en Angleterre, incitant le Royaume-Uni à interdire les voyages internationaux le 4 juin. Cependant, plusieurs patients sans antécédents de voyage ou de contact avec des voyageurs ont tout de même été infectés par le variant Delta Plus, ce qui suggère une circulation au Royaume-Uni par transmission communautaire. Bien que ce variant ne soit pas encore répandu, le 22 juin le ministère indien de la Santé a classé Delta Plus parmi les variants préoccupants (VOC, Variant of Concern) en citant notamment son apparente transmissibilité accrue, sa capacité à se fixer plus solidement sur les récepteurs des cellules pulmonaires et sa potentielle résistance à la réponse immunitaire.

Néanmoins, certains spécialistes se demandent si la nature du variant Delta Plus justifie réellement un classement parmi les variants préoccupants. « L'inde a classé ce variant VOC par précaution plutôt qu'en s'appuyant sur des données concrètes, » indique Ravindra Gupta, immunologiste et spécialiste des maladies infectieuses à l'université de Cambridge.

 

UN VARIANT PRÉOCCUPANT ?

Lorsqu'un variant se fait plus fréquent et présente des caractéristiques inquiétantes, les autorités de santé publique ouvrent une enquête officielle et le classent en variant à suivre (VUI, Variant Under Investigation). S'il se montre plus transmissible, plus résistant aux anticorps ou à l'origine de formes plus graves de la maladie, il passe alors dans la catégorie VOC, variant préoccupant.

L'Indian SARS-CoV-2 Genomic Consortium (INSACOG), un réseau indien de laboratoires et d'agences gouvernementales qui surveille les variations du code génétique du coronavirus, avait en fait qualifié la souche Delta Plus de variant à suivre, et non pas de variant préoccupant, comme en témoigne le virologue Shahid Jameel qui a récemment quitté la direction du comité scientifique consultatif de l'INSACOG. Cependant, précise-t-il, la nouvelle mutation n'a en rien entamé la transmissibilité du variant Delta, ni sa capacité à échapper au système immunitaire. « C'est pourquoi il n'y a aucun problème à classer la souche Delta Plus parmi les variants préoccupants, » déclare-t-il.

Désormais, au moins deux versions du variant Delta Plus se propagent progressivement à travers le monde. La souche a été détectée au Canada, Portugal, Népal, Japon, Royaume-Uni, en Allemagne, Russie, Suisse, Pologne et aux États-Unis. La version prédominante à l'internationale a reçu l'appellation « AY.1 » alors que le code « AY.2 » désigne plus particulièrement la version identifiée aux États-Unis, où Delta Plus totalise 150 détections.

Les vaccins existants fonctionnent toujours contre le variant Delta original mais sont moins efficaces, surtout chez les personnes qui ne développeraient pas de réaction immunitaire efficace après la vaccination, chez les sujets plus âgés ou encore chez ceux dont la protection s'estomperait plus rapidement. Après une seule dose, les vaccins Pfizer et AstraZeneca n'étaient efficaces qu'à 33 % contre les maladies symptomatiques provoquées par le variant Delta. Après les deux doses, le vaccin AstraZeneca était efficace à 60 % et l'efficacité du vaccin Pfizer atteignait 88 %. D'après de nouvelles études, le vaccin de Moderna serait moins efficace contre le variant Delta et l'efficacité du vaccin de Johnson & Johnson serait de 60 %.

Cependant, en Israël, où 57,1 % de la population est complètement vaccinée, la moitié des infections au variant Delta concerne des personnes ayant reçu les deux doses du vaccin Pfizer, ce qui a poussé le gouvernement à réintroduire le port du masque à l'intérieur.

« Pour ce qui est des variants […] nous savons que les vaccins fonctionnent ; nous savons que le port du masque et la distanciation fonctionnent. Aussi effrayant soit-il, nous disposons toujours de mesures pour le contrer, » déclare Priyamvada Acharya, immunologiste au Duke Human Vaccine Institute.

 

CE QUE L'ON SAIT

La différence entre les variants Delta Plus et Delta est une mutation supplémentaire, K417N, située sur la protéine Spike (S) qui recouvre la surface du SARS-CoV-2. Des mutations à cet emplacement apparaissent également sur d'autres variants préoccupants : Beta (identifié en Afrique du Sud) et Gamma (identifié au Brésil). La mutation K417 a été détectée dans certains échantillons du variant Alpha (identifié au Royaume-Uni.

Le site K417 se trouve dans la région de la protéine S qui interagit avec le récepteur cellulaire ACE2 et permet au virus d'infecter les cellules, notamment celles des poumons, du cœur, des reins et de l'intestin. Lorsque la protéine S rencontre le récepteur ACE2, elle passe d'un état « fermé » à un état « ouvert » pour se fixer au récepteur et infecter la cellule. D'après les études du variant Beta, porteur de la même mutation, K417N peut aider la protéine S à atteindre l'état complètement « ouvert », ce qui augmente probablement ses chances d'infecter la cellule. Une meilleure fixation au récepteur ACE2 et un état ouvert avantageux pour le virus sont également les caractéristiques d'autres variants hautement transmissibles et résistants aux anticorps.

Les études montrent que les mutations à l'emplacement K417 aident le variant Beta à échapper aux anticorps, ce qui implique que Delta Plus pourrait résister aux vaccins et anticorps encore plus efficacement que le variant Delta.

« Dans la lignée du variant Delta, la présence de la mutation K417N détectée dans certains cas est un bon indicateur du risque d'évolution du variant vers une forme plus résistante aux anticorps neutralisants, » indique Olivier Schwartz, directeur scientifique de l'Institut Pasteur. Une étude du professeur Schartz qui n'a pas encore fait l'objet d'une évaluation par les pairs montre que le variant Delta est moins vulnérable aux anticorps extraits du sang de patients convalescents et vaccinés.

Cependant, l'effet de la mutation K417N sur la protéine virale S qui distingue le variant Delta Plus de son prédécesseur est loin d'être facile à anticiper, car les effets de mutations individuelles sur les protéines ne sont pas simplement cumulables.

« Les mutations ont une façon de travailler ensemble à travers la protéine Spike qui leur permet d'avoir plus d'effet qu'elles n'en auraient individuellement, » explique Acharya. Outre K417N, Delta Plus hérite de toute une collection de mutations de son parent Delta.

« Ce qui est important ici, ce n'est pas une simple mutation, mais la façon dont ces mutations agissent ensemble pour transformer la protéine Spike, » explique Sophie Gobeil, biochimiste au Duke Human Vaccine Institute.

Par exemple, une protéine Spike plus ouverte peut avoir plus de facilité à se fixer sur le récepteur ACE2 et ensuite infecter la cellule, mais cela la rend également plus vulnérable aux anticorps neutralisants. 

Finalement, les deux effets de cette mutation pourraient s'annuler, indique Thomas Peacock, chercheur postdoctoral à l'Imperial College de Londres. « Pour le moment, cela reste une hypothèse qu'il conviendra de confirmer ou réfuter à l'aide de données empiriques. »

Pour Acharya, qui étudie les variants émergents dans son laboratoire, « les données disponibles à l'heure actuelle ne permettent pas de déceler un quelconque effet, ou une amélioration de la fixation au récepteur ACE2, suite à la mutation K417N. Nous ne percevons pas d'effet significatif sur la résistance au système immunitaire pour les anticorps testés à ce stade, par notre équipe ou d'autres. C'est pourquoi j'ai le sentiment que la mutation K417N à elle seule ne rendra pas le variant Delta plus préoccupant. »

 

PRÉCAUTIONS À PRENDRE

Certains scientifiques suggèrent que la mutation K417N pourrait affaiblir Delta Plus et rendre cette souche moins préoccupante que le variant Delta.

« Les mutations du site K417 ont été fréquentes sur le variant B.1.1.7 et il ne s'est jamais imposé ; je recommande donc de surveiller l'expansion de ce variant, » indique Ravindra Gupta.

Il existe des incertitudes quant à la prévalence réelle du variant Delta Plus en Inde et ailleurs dans le monde. « Il est donc prématuré de conclure que ce variant Delta Plus posera problème, » souligne Schartz.

Les vaccins existants sont toujours efficaces contre Delta Plus, puisque la moitié des cas au Royaume-Uni concerne des individus non vaccinés et seuls quelques cas ont été détectés chez des sujets complètement vaccinés. De plus, on ne recense à l'heure actuelle aucun décès chez les patients Delta Plus.

Seuls 400 des 97 374 variants Delta séquencés à ce jour ont été étiquetés Delta Plus. Cependant, en raison d'un séquençage limité en Inde, au Népal et dans d'autres pays où le variant Delta Plus pourrait être plus prévalent, « il n'y a pas suffisamment de séquences actuellement pour se prononcer sur la transmissibilité, la létalité ou la résistance aux vaccins dans la population, » déclare Jameel, directeur de la Trivedi School of Biosciences de l'université Ashoka, en Inde.

Généralement, les scientifiques cultivent les variants en laboratoire et testent une quantité connue du virus avec diverses quantités d'anticorps issus de personnes vaccinées. Cela permet aux scientifiques de déterminer si les anticorps peuvent neutraliser le nouveau variant aussi efficacement que d'autres variants.

Les premiers résultats révèlent que les anticorps de personnes vaccinées peuvent neutraliser certains variants Delta Plus, ce qui est rassurant, mais le travail des scientifiques dans l'analyse de ces nouvelles mutations ne fait que commencer.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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