L’OMS vient de recommander le déploiement du premier vaccin contre le paludisme

Cette décision va permettre le déploiement tant attendu d’un vaccin qui pourrait améliorer la santé de millions d’enfants à risque.

De Michael Greshko
Publication 13 oct. 2021, 11:00 CEST
Malaria Vaccine

Sur ce cliché pris le 13 septembre 2019 dans la ville lacustre de Ndhiwa, dans le comté de Homabay, au Kenya, une professionnelle de santé prépare une dose de vaccin contre le paludisme.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Ongoro, AFP via Getty Images

Les millions de personnes exposées au paludisme vivent au rythme des roulements sinistres d’un tambour de mort, de déchirement et de deuil : toutes les sept secondes, un cas de paludisme se déclare et toutes les deux minutes, la maladie fait une nouvelle victime de moins de cinq ans. Au vu de ces ravages, les experts en santé publique de l’Organisation mondiale de la santé ont pris la décision historique de soutenir publiquement le premier vaccin contre le paludisme.

Grâce à des années d’essais cliniques, on sait que ce vaccin (dénommé RTS,S / AS01 ou Mosquirix) est sans danger et protège de la maladie, surtout lorsqu’on le conjugue avec d’autres outils déjà utilisés pour combattre le paludisme. Efficace à 56 % sur douze mois, le RTS,S n’a pas l’efficacité exorbitante de ses contemporains mais il faut rappeler que la cible du vaccin (le parasite Plasmodium falciparum) est infiniment plus complexe qu’un virus.

« Notre caisse à outils pour combattre le paludisme contient un certain nombre de choses qu’on utilise toutes à la fois : des moustiquaires, des sprays, la chimioprévention », détaille Sean Murphy, concepteur de vaccin contre le paludisme à l’Université de Washington, à Seattle. « Ce vaccin ne peut pas remplacer tous ces outils. »

En outre, la préconisation de l’OMS n’ouvre pas immédiatement la porte à un usage généralisé du RTS,S. En fait, cela marque plutôt le début d’un déploiement plus large du vaccin et ouvre la voie à une autorisation de mise sur le marché du vaccin pays par pays avec le soutien de l’OMS. Pour déployer à grande envergure les dizaines de millions de doses annuelles nécessaires, il faudra que les gouvernements et les associations financent à hauteur de plusieurs milliards d’euros l’Alliance du vaccin (GAVI), organisation internationale chargée de coordonner le financement de programmes de vaccination dans les pays en voie de développement.

En partant du principe que le déploiement aura lieu incessamment, les bienfaits de ce vaccin pourraient s’avérer significatifs, et ce à vaste échelle. Dans une étude publiée en novembre dernier dans la revue PLoS Medicine, des chercheurs ont découvert que si on parvenait à administrer 30 millions de doses de RTS,S chaque année dans chaque région administrative de vingt-et-un pays d’Afrique, le vaccin permettrait de prévenir entre 2,8 et 6,8 millions de cas de paludisme par an et de sauver la vie de 11 000 à 35 000 enfants de moins de cinq ans.

« J’attendais avec impatience le jour où nous aurions enfin un vaccin contre cette maladie ancienne et dévastatrice », a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, lors d’une conférence de presse donnée mercredi 6 octobre. « Ce jour est arrivé, c’est un jour historique. »

 

LA CONCEPTION DU VACCIN

Ces vingt dernières années, le monde a fait de gigantesques avancées dans la lutte contre le paludisme, notamment grâce à l’usage répandu de moustiquaires, du dépistage instantané, et à l’usage saisonnier de prophylactiques antipaludiques. Entre 2000 et 2015, grâce à toutes ces mesures, l’incidence du paludisme chez les populations à risque a baissé de 27 %. Mais dernièrement, ces avancées sont au point mort. Entre 2015 et 2020, le nombre de cas a chuté de moins de 2 %.

En 2019, on estime à 229 millions le nombre de cas de paludisme qui se sont déclarés dans le monde, dont 94 % en Afrique. Des millions de cas se sont aussi déclarés en Asie, au Moyen-Orient et dans les Amériques. Au total, ces cas ont entraîné la mort de plus de 409 000 personnes, dont deux tiers étaient des enfants en bas âge.

Pour faire repartir la lutte contre le paludisme de manière efficace, l’OMS s’est empressée d’adjoindre un vaccin aux mesures existantes. Plus de 140 candidats contre le paludisme sont en train d’être élaborés. Mais jusqu’au RTS,S, aucun n’avait eu droit à un soutien formel de la part de l’OMS.

Il est extrêmement délicat de fabriquer un vaccin contre le paludisme, car c’est une maladie retorse. La plupart des cas sont dus au parasite Plasmodium falciparum, dont le génome contient plus de 5 000 gènes. Soit bien plus que les pauvres douze gènes qui s’ébattent dans les souches de SARS-CoV-2, le coronavirus à l’origine de la Covid-19. Pour compliquer encore plus les choses, la vie de Plasmodium se compose de plusieurs étapes qui varient à mesure que l’infection se propage du système sanguin au foie puis à nouveau au sang, moment où le parasite infecte les globules rouges eux-mêmes.

« Les virus sont sans aucun doute très complexes […] [mais] quand vous élaborez un vaccin, c’est très simple », commente Jason Kindrachuk, virologue à l’Université du Manitoba, à Winnipeg. Mais dans le cas des parasites, « nous avons affaire à des organismes qui réagissent à leur environnement et qui sont capables d’évoluer et de s’adapter ».

« Pourquoi n’avons-nous pas eu un vaccin plus tôt ? Ce n’est certainement pas faute d’avoir essayé », ajoute-t-il.

Pendant des dizaines d’années, des chercheurs se sont intéressés au stade où Plasmodium ressemble à une spore (c’est alors ce qu’on appelle un sporozoïte) qui pénètre d’abord dans le sang avant de se faufiler dans le foie. En 1983, des chercheurs ont découvert que les sporozoïtes sont recouverts de protéines CSP qui entraînent une forte réaction immunitaire. En 1987, des chercheurs de GlaxoSmithKline, géant pharmaceutique américain, et de l’Institut de recherche militaire Walter-Reed (WRAIR), ont décidé de concevoir un vaccin se servant de cette protéine.

Leur idée était de mettre au point des transporteurs membranaires (en l’occurrence une protéine membranaire issue du virus de l’hépatite B) constellés de morceaux de CSP. Ces protéines étaient ensuite censées s’auto-assembler en « particules pseudovirales », des amas microscopiques dont le rôle est de déclencher la production d’anticorps destinés à lutter contre les CSP. En procédant ainsi, tout Plasmodium à l’état sporozoïtaire badigeonné de CSP entraînait une réaction immunitaire immédiate. (Si vous êtes vacciné contre le papillomavirus humain (HPV) ou l’hépatite B, on vous a alors déjà administré un vaccin à particule pseudovirale, qui a été adapté selon le pathogène concerné).

Après une étude de « provocation » concluante réalisée en 1996, les chercheurs ont passé une vingtaine d’années à mettre en place des essais cliniques dans des pays africains, dont les résultats de la phase III ont été publiés en 2015. Si le processus a été si long, c’est pour une bonne raison : la sécurité. Les enfants âgés de 5 à 18 mois sont la population cible du RTS,S, mais pour arriver à prouver la non-dangerosité et l’efficacité du vaccin, les chercheurs ont dû commencer par des essais cliniques sur des adultes en descendant par paliers jusqu’à des classes d’âge plus basses.

« Certains ont critiqué le rythme auquel nous allions mais nous avions l’impression que, vraiment, la sécurité de ces enfants, leur vulnérabilité étaient si importantes que nous devions procéder très, très prudemment », confie Joe Cohen, qui a co-inventé le RTS,S quand il était chercheur chez GlaxoSmithKline.

Depuis 2019, plus de 800 000 enfants du Ghana, du Kenya et du Malawi ont reçu au moins une dose du vaccin grâce au Programme de mise en œuvre de la vaccination antipaludique de l’OMS. Jusqu’à présent, il y aurait eu selon les données du programme une diminution de 30 % des cas sévères de paludisme chez les enfants vaccinés. Celle-ci vient s’ajouter aux baisses effectives dues à d’autres mesures comme l’installation de moustiquaires.

Joe Cohen se réjouit aujourd’hui de la décision de l’OMS de soutenir le vaccin sur lequel il a œuvré pendant des décennies. « Je ne sais pas trouver les bons mots, concède-t-il. Quel soulagement, et quelle sensation de savoir que le vaccin va pouvoir être déployé à grande échelle et avoir un impact phénoménal sur la santé publique en Afrique. »

 

PLUSIEURS COUCHES DE PROTECTION

En comparaison des vaccins contre la Covid-19 et d’autres vaccins de routine, les performances du RTS,S peuvent sembler modestes. Les essais de phase III ont montré un taux d’efficacité de 56 % chez les enfants âgés de 5 à 17 mois au cours de l’année qui suit la vaccination. Sur quatre ans, l’efficacité du vaccin diminue à 36 % environ.

Mary Hamel, épidémiologiste en charge du Programme de vaccination antipaludique à l’OMS, a rappelé dans une interview donnée en mai que le RTS,S en fait assez pour changer la donne dans la lutte contre le paludisme. « Pour mettre cela en perspective, [le RTS,S a] à peu près la même efficacité qu’une moustiquaire, et nous avons observé une baisse drastique de la morbidité et de la mortalité liées au paludisme grâce aux moustiquaires, a-t-elle affirmé. C’est une chose qu’on pourrait ajouter en plus. »

Ce bienfait supplémentaire pourrait être important. Dans une étude publiée le mois dernier dans le New England Journal of Medicine, une équipe de chercheurs dirigée par Daniel Chandramohan de la London School of Hygiene and Tropical Medicine a découvert que la combinaison du RTS,S et de prophylactiques antipaludiques pouvait réduire le risque de forme sévère chez l’enfant de 70 %.

Grâce au programme d’essai de l’OMS, on a aussi découvert que les effets du vaccin étaient bénéfiques à plus de deux tiers des enfants ghanéens, kenyans et malawites qui ne dorment pas sous une moustiquaire. Si on l’administrait en même temps que d’autres vaccins infantiles, de nombreux enfants privés des autres mesures de prévention du paludisme bénéficieraient au moins de la protection du RTS,S.

D’après Alejandro Cravioto, président du groupe d’experts SAGE de l’OMS, le vaccin est d’autant plus bénéfique si on prend en considération les effets à long terme du paludisme sur la croissance physique et cognitive des enfants. « Un enfant malade de manière chronique est mutilé à vie », a-t-il rappelé lors de la conférence du 6 octobre. « En ce sens, avoir quoi que ce soit qui les protège ou qui leur permette d’être moins malades pendant leur croissance est essentiel. »

 

DÉPLOYER LE VACCIN

Kate O’Brien, directrice du service de l’immunisation, de la vaccination et des produits biologiques de l’OMS, a affirmé lors de la conférence que l’Alliance du vaccin allait délibérer début décembre sur le montant à investir dans le RTS,S. Pour l’heure, l’Alliance et les organisations partenaires ont mobilisé environ 60,6 millions d’euros pour le programme d’essai du RTS,S, qui a permis d’administrer 2,3 millions de doses à ce jour.

Dans une déclaration, GlaxoSmithKline s’est engagé à fournir jusqu’à 15 millions de doses de RTS,S chaque année si un accord sur les financements et la préconisation à grande échelle voit le jour. L’entreprise œuvre également à une délégation de la production du vaccin à l’entreprise indienne Bharat Biotech qui, à en croire le Wall Street Journal, devrait avoir lieu en 2028. GlaxoSmithKline s’est aussi engagé à vendre le vaccin avec une marge de 5 % du coût de production au maximum.

Le nombre de doses fait également l’objet de négociations. Le projet d’essai de l’OMS s’est déroulé relativement sans encombre jusqu’ici, surtout si on prend en compte les défis supplémentaires imposés par la Covid-19, et le schéma vaccinal s’effectue actuellement en quatre doses : trois administrées en trois mois à parti de l’âge de 20 semaines, et une quatrième de rappel à l’âge de 18 mois. Lors du briefing de l’OMS, Kate O’Brien a ajouté que la nécessité de cette quatrième dose de rappel faisait encore l’objet d’évaluations.

On peut affirmer avec quasi-certitude qu’à long terme le RTS,S ne sera pas le seul vaccin contre le paludisme à être recommandé de manière formelle par l’OMS. L’organisation a d’ailleurs admis que des vaccins à l’efficacité supérieure allaient voir le jour et sauver encore plus de vies, d’où l’objectif audacieux qu’elle s’est fixé en 2013 : d’ici à 2030, elle veut voir émerger un vaccin contre le paludisme efficace à 75 %.

Le R21, prévu pour être le successeur du RTS,S, pourrait prétendre à ce titre. Cette version du vaccin a commencé à être étudiée dans un laboratoire d’Oxford de 2010 à 2012. En 2019, les chercheurs sont parvenus à une phase II regroupant 450 participants originaires du département de Nanoro, au Burkina Faso. À ce stade, les résultats indiquaient un taux record de 77 % d’efficacité pour le vaccin. D’autres vaccins sont en cours d’élaboration, dont certains se servent de Plasmodium « atténués » et inoffensifs et seront administrés en intraveineuse.

Bien que le déploiement du RTS,S et des autres vaccins contre le paludisme soit loin d’être chose faite, les spécialistes mondiaux de la santé restent tournés vers une chose par-dessus tout : une vive lueur d’espoir.

« Il nous reste encore un bon bout de chemin à parcourir mais nous le parcourons à grandes enjambées, déclare Tedros Adhanom Ghebreyesus. Ce vaccin est un cadeau pour le monde. »

Note de la rédaction : Cet article a été en partie adapté d’un précédent article sur les vaccins contre le paludisme publié le 12 mai 2021.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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