Orteils COVID : le mystérieux symptôme sur lequel butent les scientifiques

Rougeurs, gonflements et parfois douleurs, ces symptômes affectant les orteils figuraient parmi les plus étranges des premiers mois de la pandémie, mais quelle était leur véritable cause ?

De Priyanka Runwal
Publication 2 avr. 2022, 09:30 CEST
D'ordinaire, les engelures sont le fruit de l'inflammation douloureuse des petits vaisseaux sanguins de votre peau ...

D'ordinaire, les engelures sont le fruit de l'inflammation douloureuse des petits vaisseaux sanguins de votre peau en réaction à une exposition prolongée au froid. Au début de la pandémie, les médecins ont vu les cas d'engelure se multiplier, allant même jusqu'à se demander si le responsable pouvait être le SARS-CoV-2, le virus à l'origine de la COVID-19.

PHOTOGRAPHIE DE Science Source

Jamais au cours de sa carrière Lisa Arkin n'avait vu autant d'orteils violacés et gonflés que durant les premiers mois de la pandémie.

Pédiatre-dermatologue au sein de l'université du Wisconsin à Madison, Arkin n'avait soigné jusque-là qu'une poignée de patients par an pour ce type de lésions cutanées. Mais voilà qu'en avril 2020, lors du premier pic de contaminations liées à la COVID-19, pas moins de 30 patients souffrant d'engelures se présentent à son cabinet. « Mes consultations d'urgence (en télémédecine ou en personne) étaient soudainement remplies de patients aux orteils écarlates se plaignant de gonflements, de boursouflures, de gêne ou de douleurs, » se souvient Arkin. « J'étais abasourdie. »

Partout où les cas de COVID-19 étaient à la hausse, les dermatologues constataient également ces lésions rougeâtres sur les orteils de leurs patients. Ces prétendues engelures apparaissaient sous la forme de démangeaisons, suivies d'une coloration des orteils qui se résorbait sans traitement après quelques semaines. Cependant, dans certains cas exceptionnels, il est arrivé que le problème persiste pendant plusieurs mois, voire un an ou plus.

« Dans sa forme la plus bénigne, les patients se plaignaient de légères démangeaisons, » indique Esther Freeman, dermatologue et épidémiologiste au sein de la Harvard Medical School. « Dans sa forme la plus grave, la lésion était si douloureuse que les patients étaient incapables d'enfiler leurs chaussures pendant plusieurs semaines. »

Les médecins ont commencé à se demander si les engelures étaient encore un tour du SARS-CoV-2, le virus à l'origine de la COVID-19. Au cours des deux dernières années, les scientifiques ont étudié plusieurs milliers de ces engelures associées à la pandémie à travers le monde, en analysant l'une après l'autre les prises de sang et les biopsies de la peau pour répondre à cette question. Voici un résumé de l'état actuel des connaissances sur les célèbres « orteils COVID ».

 

QUE SONT-ILS ?

Que ce soit la rougeole, la varicelle ou la mononucléose, il n'est pas rare de voir une infection virale provoquer une éruption cutanée, de petites cloques ou des plaques surgissant à divers endroits de notre corps. Ces symptômes apparaissent suite à la réaction de notre système immunitaire face au virus ou aux cellules affectées par celui-ci.

De la même façon, les dermatologues ont à ce jour identifié toute une palette de lésions cutanées associées à la COVID-19, dont les engelures. « Si vous aviez demandé à 100 dermatologues avant la pandémie à quels types d'irritation ils s'attendaient avec un virus, les engelures n'auraient même pas fait partie du top 50, » illustre Freeman. « Elles ne sont que très rarement associées aux virus, » ajoute-t-elle.

Bon nombre de patients affectés, pour la plupart des enfants ou de jeunes adultes, n'ont jamais développé les symptômes classiques de la COVID-19 comme la toux, la fièvre ou les douleurs musculaires. D'ordinaire, ce type de lésion apparaît suite à une exposition prolongée au froid et à l'humidité ; elles peuvent également toucher les doigts, les talons, les oreilles et le nez. Cette fois, elles apparaissaient généralement une à quatre semaines après un test positif à la COVID-19. Pourtant, la plupart des patients « orteils COVID », dont plusieurs enfants suivis par Arkin, avaient un test PCR négatif et ne possédaient pas d'anticorps contre le SARS-CoV-2, à croire qu'ils n'avaient jamais contracté la maladie.

Une étude menée en Californie a fait un constat similaire : sur 456 cas d'engelures diagnostiqués entre les mois d'avril et décembre 2020, seuls 17 patients avaient présenté un test PCR positif à la COVID-19. Sur ces 456 cas, le sang de 97 patients a été prélevé pour une analyse des anticorps spécifiques au SARS-CoV-2 et un seul échantillon a été testé positif. Et ce, malgré une recrudescence des engelures en 2020 par rapport au nombre de cas déclarés dans la région entre 2016 et 2019.

« Il était donc d'autant plus difficile d'affirmer que ces engelures étaient associées ou non à la COVID, » explique Arkin.

 

D’OÙ VIENNENT-ILS ?

Dans certaines études, les chercheurs ont détecté la présence de particules virales dans les biopsies cutanées des « orteils COVID ». Le SARS-CoV-2 aurait donc joué un rôle, mais les experts restent sceptiques face à ces résultats.

Une étude publiée en octobre dernier dans le British Journal of Dermatology était de celles qui imputaient les orteils COVID à une certaine agressivité de la réponse immunitaire face à l'exposition au SARS-CoV-2. Les chercheurs ont analysé les échantillons de sang et de peau de 50 patients qui souffraient pour la première fois d'engelures en avril°2020 avec un test PCR négatif à la COVID-19 tout en présentant des symptômes comme la toux, la fatigue et la fièvre.

Par rapport à des sujets en bonne santé, l'étude montre que les patients souffrant d'orteils COVID présentaient des taux supérieurs de protéines immunitaires appelées autoanticorps qui ont malencontreusement endommagé leurs propres tissus sains. Ils possédaient également un taux élevé de protéines appelées interférons de type I qui constituent la première ligne de défense contre les infections virales.

« Les orteils COVID, c'est notre corps qui abuse des bonnes choses, » expliquait Freeman à ses patients. « Votre organisme a fait du bon travail en repoussant le virus et sa réponse immunitaire était plutôt appropriée dans le sens où il y a eu beaucoup d'interférons. L'effet secondaire lié à la présence de tous ces interférons, c'est la couleur violette de vos orteils. »

Cette généreuse production d'interférons a pu aider les patients « orteils COVID » à éradiquer l'infection du SARS-CoV-2 avant même la formation des anticorps spécifiques à la COVID-19, ce qui expliquerait pourquoi autant de patients étaient négatifs. Par ailleurs, la production de certains interférons de type I est plus importante chez les enfants et les jeunes adultes et diminue avec l'âge, ce qui pourrait là encore expliquer pourquoi les orteils COVID sont plus fréquents dans cette tranche de la population.

De même, « nous savons que les personnes atteintes d'interféronopathies, une maladie génétique induisant une production excessive d'interférons, ont tendance à subir des lésions semblables aux engelures, » indique Lindy Fox, dermatologue pour l'université de Californie à San Francisco.

L'année dernière, certains patients ont également développé des lésions de ce type peu de temps après avoir reçu le vaccin contre la COVID-19 à ARN messager. « Heureusement, c'est plutôt rare, » déclare Freeman. « Mais il n'est pas à exclure que certains patients développent une réaction similaire des interférons après la vaccination, comme d'autres le font pour le virus. »

Cependant, l'augmentation des taux d'interférons de type I ne peut pas expliquer à elle seule les engelures de la pandémie. Les patients souffrant d'hépatite virale et de cancer suivent un traitement aux interférons pour éliminer le virus ou empêcher la croissance des cellules cancéreuses, sans pour autant présenter des lésions cutanées rappelant les engelures.

D'après certains experts, les orteils COVID ne seraient pas tous liés au virus, mais plutôt à notre mode de vie pendant la pandémie. À la maison, les chaussures et les chaussettes se faisaient plus rares, ce qui a pu provoquer des engelures chez une partie de la population, déclare Akiko Iwasaki, immunologiste à l'université Yale. Bien que cela « nécessiterait une analyse plus poussée, » reconnaît-elle. Tant que les experts n'auront pas identifié l'empreinte définitive du SARS-CoV-2 dans les patients aux orteils COVID, cette association continuera d'être sujette à spéculation. « De nombreuses questions restent en suspens, admet Arkin, et qui sait combien de mystères les réponses nous réservent. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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