Paroles de transplantés : comment vivre avec un nouveau visage ?

Trois personnes ont accepté de nous parler de l'acceptation de leur nouveau visage, qui ne fonctionnera jamais aussi bien que le premier.

De Interviews de Martin Schoeller, Joanna Connors
Cet article fait partie du dossier spécial consacré à la greffe totale de la face de Katie Stubblefield, à paraître dans le magazine National Geographic du mois de septembre 2018.

Katie Stubblefield a rejoint ce que Shaun Fiddler, deuxième receveur de greffe de la face à la clinique de Cleveland appelle le « groupe d'élite ». Ils ont accepté de nous livrer leurs histoires, faites de traumatismes, de hauts et de bas, du difficile regard des autres et de l'acceptation d'un visage qui ne sera jamais aussi beau que le premier. Trois personnes dotées de nouveaux visages nous parlent de ces défis à nuls autres pareils.

 

CONNIE CULP

En décembre 2008, Connie Culp est devenue la première personne à recevoir une greffe de visage aux États-Unis et la quatrième personne au monde. Elle avait 41 ans lorsque son mari lui a tiré dessus en 2004. Elle a perdu son nez, ses joues, sa lèvre supérieure et ses yeux. Seules ses paupières supérieures, son front, sa lèvre inférieure et son menton restaient. Elle a reçu un nouveau visage à la clinique de Cleveland après avoir subi 30 chirurgies de reconstruction.
PHOTOGRAPHIE DE Martin Schoeller
PHOTOGRAPHIE DE Clinique de CLEVELAND

À quoi ressemblait votre vie avant la chirurgie ? Je n'avais pas de nez, alors ils ont fabriqué un nez prothétique que je devais coller moi-même. C'est une histoire amusante parce que, une fois dans un restaurant, la chaleur de mon café a fait disparaître toute la colle. J'étais avec ma soeur jumelle. Je l'ai retiré de mon visage et j'ai oublié que la serveuse m'avait vu avec un nez et quand elle est revenue, je ne l'avais plus. Vous auriez vu comme elle devenue pâle ! C'était drôle.

 

Qu'est-ce qui vous a poussé à prendre le risque de subir une telle greffe ? Je ne pensais vraiment pas avoir le choix, car je ne pouvais plus manger. Je devais tout manger avec une paille. Ma soeur aînée essayait de me faire relativiser en me disant : « Tu pourrais mourir. Tu pourrais avoir un cancer. » Je lui répondais : « Au point où j'en suis, je m'en fiche. »

 

Comment vous sentez-vous aujourd'hui ? J'ai toujours mal, mais je me sens bien. Je n'ai jamais pensé que ça irait à nouveau bien, parce que j'étais vraiment mal en point. Je n'avais plus de nez ! Je passais mon temps à cacher mon visage.

 

Qu'est-ce qu'un visage signifie pour vous ? Depuis qu'on m'a tiré dessus, je ne peux pas vraiment voir. Donc, le principal pour moi est de pouvoir parler, de pouvoir mâcher mes aliments sans aide et juste de sourire quand je suis heureuse. On dit souvent qu'on peut faire sourire n'importe qui si on leur sourit en premier.

 

SHAUN FIDDLER

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    En 2011, à l'âge de 43 ans, Fiddler était au volant de son camion quand il est rentré dans un arbre, lui brisant de nombreux os. À la suite d'une intervention chirurgicale, il a développé une infection qui a dévasté ses tissus, détruisant une grande partie de son visage et de son œil droit. Après être allé à la clinique de Cleveland en 2014, les médecins ont remplacé environ 70 % de son visage. Il attend toujours une chirurgie qui pourrait améliorer la vision de son œil gauche.

    PHOTOGRAPHIE DE Martin Schoeller

    Vous n'aviez pas d'autre choix que de subir une greffe du visage, n'est-ce pas ? Au pire de ma condition, à moitié aveugle et sans visage, la perspective d'un nouveau visage était une évidence. Si je voulais avoir à nouveau une vie, avoir une chance de sauver mon œil gauche, de voir les visages de mes petits-enfants et de les regarder ouvrir leurs cadeaux, je devais le faire.

     

    Comment vivez-vous avec le résultat de cette greffe ? Ça va. Au moins je suis en vie. J'ai sauvé mon œil en me faisant greffer, mon ancien visage était en train de pourrir. Les chirurgiens plasticiens m'ont essentiellement empêché de mourir. Je ne peux leur être que reconnaissant pour cela.

     

    Y a-t-il des choses qui vous manquent vraiment ? Ouais. Je ne peux plus rouler en Harley. Ça me tue !

     

    Que diriez-vous aux personnes qui envisagent une greffe du visage ? Ça ne va pas être facile. C'est effrayant. Mais seuls les meilleurs s'occupent de vous.

     

    Comment avez-vous géré la peur ? Vous la traversez, [vous savez que] vous allez pouvoir embrasser vos proches, vous allez pouvoir tenir vos petits-enfants, et ce que vous abandonnez n'est rien comparé à ce que vous en retirez. [...] Vous continuez à respirer. Il faut savourer chaque minute.

     

    C'était une bonne conclusion. C'est la philosophie biker, j'imagine.

     

    RICHARD NORRIS

    Norris dit avoir mal manipulé un fusil de chasse en 1997. Il avait 22 ans. Au cours d’une opération de 36 heures en 2012, une équipe dirigée par Eduardo Rodriguez au Centre médical de l’Université du Maryland lui a donné un nez, des lèvres et une langue, des dents et des mâchoires. Norris continue d'être suivi par Rodriguez, qui dirige maintenant le programme de transplantation de visage de NYU Langone Health. Norris a depuis déménagé dans la région de la Nouvelle-Orléans pour être proche de sa petite amie. Ils se sont rencontrés quand elle lui a écrit sur Facebook après l'avoir vu à la télévision.
    PHOTOGRAPHIE DE Martin Schoeller
    PHOTOGRAPHIE DE Eduardo Rodriguez

    Comment était-ce de vivre avec un visage défiguré ? Ce fut une période difficile, vraiment difficile. Vous sortez en public et les gens vous toisent. Ils disent des choses vraiment cruelles, des choses qui vous font vraiment mal. J'arrivais au point où je ne sortais que la nuit et ne me rendais que dans les endroits où je connaissais le gérant, pour ne pas me faire harceler.

     

    Pourquoi avez-vous décidé de subir une greffe ? La greffe du visage n'était pas ma première option. Ni même la seconde. C’était la toute dernière option. Après des années de chirurgie, mon médecin m'a parlé de la possibilité d'une greffe du visage. Je suis rentré chez moi et j'en ai parlé à ma famille. Ce n'était vraiment pas une discussion pour savoir ce qu'ils en pensaient mais plutôt pour leur dire « Je vais le faire ».

     

    Que savez-vous de votre donneur ? C'est un homme formidable. Vraiment. Il voulait devenir policier. Il a eu un accident. Maintenant je suis ami avec ses soeurs. Je suis ami avec ses parents et je reste en contact avec eux. Des gens absolument adorables. Les meilleures personnes au monde. Les gens me disent : « Vous savez que vous êtes un héros, en prenant le risque de faire ce que vous avez fait ». Je ne suis pas un héros. Eux le sont.

     

    Quand vous vous regardez dans le miroir, que pensez-vous et que voyez-vous ? Je me vois, mais je me rappelle aussi que je ne suis plus là. Donc, chaque jour, je me regarde le miroir, je me vois. Je n'ai pas de crise identitaire comme le pensent certains psychologues. Je n'ai pas ce problème. Mais c'est aussi un rappel quotidien des sacrifices consentis par la famille d'un jeune homme pour que je puisse retrouver la vie.

     

    Ces entretiens ont été écourtés pour des questions de clarté et de longueur.

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