Pourquoi les femmes à risque se voient-elles moins proposer ce traitement préventif contre le VIH ?

En Europe, les femmes représentent 30 % des nouveaux cas de VIH. À cause d’un manque d’information, peu savent qu’elles ont droit à la PrEP, un traitement préventif très efficace qu’on propose surtout aux hommes.

De Sarah Elizabeth Richards
Publication 6 déc. 2021, 11:05 CET
La PrEP (prophylaxie pré-exposition) est un outil de prévention du VIH efficace à 99 %.

La PrEP (prophylaxie pré-exposition) est un outil de prévention du VIH efficace à 99 %.

PHOTOGRAPHIE DE Yakubov Alim, Getty

Quand Masonia Traylor, militante pour la santé sexuelle, intervient auprès de jeunes femmes américaines pour les prévenir des dangers du VIH, son objectif est de leur parler d’un comprimé préventif efficace à 99 % : la PrEP (ou prophylaxie pré-exposition). Tant qu’elles le prennent quotidiennement, elles ne risquent pas d’attraper le VIH si elles ont un rapport non protégé avec une personne séropositive.

C’est une arme que les personnes touchées de près ou de loin par le virus n’auraient même pas osé imaginer quand l’épidémie de SIDA a surgi dans les années 1980. Mais malgré son efficacité, la PrEP reste un médicament hors de portée pour de nombreuses personnes. En 2012, quand l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) a autorisé le Truvada (une trithérapie préventive), un mois de PrEP coûtait entre 1 400 et 1 700 euros aux États-Unis. Les garanties des assurances différaient grandement, et les patients devaient payer de leur poche ou bien se tourner vers les programmes d’aide proposés par le gouvernement fédéral ou par Gilead, le laboratoire à l’origine du médicament.

Mais cette année, un jalon important a été franchi en matière de santé publique : la PrEP est désormais plus abordable, voire gratuite. Des versions génériques moins chères sont dorénavant disponibles pour moins de 50 euros par mois. Et grâce à l’Affordable Care Act, les mutuelles de santé sont obligées de proposer la PrEP gratuitement en tant que dispositif de médecine préventive. Cette semaine, pour célébrer la journée mondiale de lutte contre le SIDA, la Maison-Blanche a présenté une nouvelle stratégie nationale de lutte contre le VIH / SIDA visant à réduire le taux de propagation de 75 % d’ici à 2025 (et de 90 % avant 2030).

Les responsables de la santé publique ont bon espoir que l’accessibilité croissante de la PrEP finira par faire flancher un taux de découverte de séropositivité qui diminue peu pour l’instant. Celui-ci a chuté de huit pourcents dans la population générale : de 37 800 nouveaux cas en 2015 on est passé à 34 800 en 2019. Mais ce déclin a surtout concerné de jeunes hommes gays et bisexuels.

Chez les femmes, en revanche, les statistiques sont plus déprimantes que jamais. Surtout pour les femmes de couleur habitant dans un des 57 comtés, territoires ou États où ont été dénombrées plus de la moitié des nouveaux cas. Selon les statistiques des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), aux États-Unis, les femmes représentent un cinquième des nouveaux cas de VIH (7 000 en 2019) et près d’un quart des 1,2 millions de personnes séropositives. Dans le monde, les femmes représentent la moitié des 1,5 millions de cas survenant chaque année. Aux États-Unis, si vous êtes une femme noire, vous avez treize fois plus de risques de devenir séropositive que si vous êtes blanche, et quatre fois plus si vous êtes latino-américaine.

Et pourtant, d’après les données les plus récentes, très peu de femmes voient un quelconque salut dans la PrEP. Selon le CDC, les femmes qui pourraient le plus bénéficier de la prophylaxie sont celles qui ont eu des rapports anaux et vaginaux non protégés de manière répétée au cours des six derniers mois, celles dont un partenaire était séropositif, et celles qui ont partagé leur aiguille en s’injectant de la drogue. En 2020, sur les 227 000 Américaines faisant partie de ce groupe très exposé, seules 10 % s’étaient fait prescrire le traitement.

« Le [faible] recours à la PrEP est démoralisant quand on sait que c’est un traitement vraiment efficace du point de vue de la santé publique », se lamente Jennifer Kates, vice-présidente en charge de la santé globale et des politiques liées au VIH à la Fondation Kaiser Family, association à but non lucratif qui œuvre pour la santé. « C’est un des outils les plus efficaces que nous avons mais on a omis d’inclure les femmes dans le public cible. »

 

BARRIÈRES INFORMATIONNELLES

Masonia Traylor, qui a 34 ans, n’était pas vraiment au courant des risques encourus par les femmes quand on lui a annoncé un diagnostic séropositif à l’âge de 23 ans. « J’étais dévastée. Je l’ai attrapé par des pratiques hétérosexuelles. Je n’avais connu que deux personnes différentes », se remémore-t-elle. Bien qu’une nouvelle génération d’antirétroviraux lui permette de vivre une vie qu’elle qualifie de « trop bien », elle fait tout son possible pour que d’autres femmes n’aient pas à vivre le cauchemar qu’elle a subi. « J’ai été en colère pendant six ans », déclare-t-elle.

Elle a d’abord connu un effondrement émotionnel : elle était terrifiée à l’idée que sa fille, née peu près le diagnostic, l’ait aussi. (Ce n’était pas le cas). Ou de ne pas vivre assez longtemps pour pouvoir la voir grandir. Ou de voir ses enfants brimés ou discriminés à cause de son statut. Ou bien que les hommes refusent de sortir avec elle en apprenant sa séropositivité.

Et puis il y a les dégâts physiques. Les médicaments qui la maintiennent en vie ont parfois des effets indésirables : diabète, troubles cardiovasculaires, troubles rénaux, ostéoporose. Des recherches indiquent également que les personnes séropositives vieillissent plus vite au niveau cellulaire et sont davantage exposées aux cancers.

De ce qu’elle a pu observer lors de ses interventions, Masonia Traylor croit savoir pourquoi les femmes sont moins portées sur la PrEP. Tout d’abord, les publicités pour la PrEP dans leur ville ou sur les réseaux sociaux ne ciblent pas les femmes hétérosexuelles. « Les gens pensent que c’est uniquement pour les hommes gays », explique-t-elle.

Ensuite vient le fait que la catégorie des 25-34 ans a été la plus touchée chez les femmes en 2019 aux États-Unis. Les concernant, la maladie ne suscite pas la même paranoïa que dans les années 1980 et 1990. On entendait alors beaucoup parler d’enfants séropositifs exclus de leur école ou de salariés séropositifs licenciés de leur travail et les Américains pensaient que le SIDA était le problème sanitaire le plus urgent aux États-Unis.

« Mon message c’est que la PrEP est là si vous voulez la prendre, signale-t-elle. Vous ne méritez pas d’attraper le VIH alors qu’on peut le prévenir facilement. »

Mais selon Dázon Dixon Diallo, fondatrice de l’organisation SisterLove, il est impossible de parler de sensibilisation des femmes au VIH et de leur accès aux solutions préventives sans aborder le sujet de la couleur de peau. En effet, les femmes noires représentent systématiquement plus de 60 % des nouvelles diagnostics féminins.

« Si vous pensez que la race et le genre n’ont pas joué un rôle dans notre exclusion, alors vous ne vivez pas sur cette planète, lance-t-elle. Il n’est pas surprenant que nous luttions encore pour l’inclusion. » Comme beaucoup d’autres voix discordantes, elle fait volontiers remarquer qu’en ce qui concerne le financement des traitements contre le VIH, la part du lion est allée aux hommes.

Selon elle, l’histoire de la PrEP n’est pas différente. Elle explique qu’on ne sensibilise pas du tout les femmes et les filles quant à l’existence de traitements préventifs. Et les prestataires de soins des plannings familiaux non plus. Actuellement, bon nombre de médecins adressent leurs patient.es à des infectiologues. C’est une habitude intimidante qui pourrait potentiellement rebuter certaines personnes.

 

ÉTENDRE LES OPTIONS EXISTANTES

Le coup dur le plus récent pour les femmes a peut-être été l’annonce en octobre 2019 que la FDA avait approuvé une PrEP de deuxième génération (le Descovy) mais uniquement pour les hommes et pour les femmes trans. Cela a poussé Rochelle Walensky, désormais directrice de la CDC, et Robert Goldstein, du Massachussetts General Hospital, à publier une tribune intitulée « Où sont les femmes ? De l’égalité des sexes dans les essais cliniques » dans le New England Journal of Medicine.

Depuis, le laboratoire Gilead a lancé un essai clinique séparé incluant plus de 5 000 femmes d’Afrique du Sud et d’Ouganda pour comparer le Truvada et le Descovy ainsi qu’un troisième traitement, une injection sous-cutanée qui protège pendant six mois. « D’après les retours qu’on nous fait, les gens n’ont pas forcément envie de prendre un comprimé tous les jours », rapporte Moupali Das, qui supervise le développement de traitements préventifs contre le VIH chez Gilead Sciences, à San Francisco. Les résultats devraient mettre deux ans à arriver.

Des militantes comme Krista Martel, présidente de l’association Well Project, applaudissent la décision du fabricant de médicaments mais pour elle les femmes continuent d’être flouées en attendant. « Le Descovy est vendu comme étant une meilleure PrEP ne comportant pas les mêmes risques d’ostéoporose et de maladies rénales mais les femmes n’ont accès qu’à un générique du Truvada », se désole-t-elle.

D’ici-là, il est probable que d’autres solutions voient le jour. En janvier, la FDA devrait approuver une injection intramusculaire de cabotégravir à action prolongée prescriptible tous les deux mois et fabriquée par ViiV Healthcare, dont l’actionnaire majoritaire est GlaxoSmithKline. Dans la même veine, un anneau vaginal en silicone administrant un antirétroviral a été mis au point par le Partenariat international pour les microbicides (IPM). Il a été autorisé en Europe l’an dernier et est en cours d’évaluation par la FDA.

 

LES NOUVEAUX TRAITEMENTS NE SUFFISENT PAS

Les experts en santé publique mettent en garde, ces autorisations de mise sur le marché ne suffiront pas à elles seules à rétablir l’égalité entre les minorités qui souffrent le plus du VIH. Une des raisons principales est le démantèlement des services de santé qui leur sont dédiés.

En 2019, près de 900 cliniques faisant partie du programme « Title X » du planning familial américain ont perdu leur financement en vertu de la « règle domestique du bâillon ». Celle-ci permettait de suspendre les subventions des centres de santé qui renvoyaient les patientes vers un spécialiste de l’avortement. De fait, les services que proposaient ces cliniques ont été réduits de moitié. « De nombreux planning familiaux et centres de santé pour femmes fournissent des services préventifs, notamment une assistance psychologique pour les personnes atteintes du VIH et des tests de dépistage, que beaucoup de femmes démunies ne pourraient pas obtenir ailleurs », explique Jewel Mullen, doyenne adjointe à l’égalité en matière de santé à l’école de médecine Dell de l’Université du Texas à Austin.

Il y a tout de même des bonnes nouvelles qui se profilent à l’horizon. Et des financements potentiels. Dans le cadre du budget 2022, le président Joe Biden a demandé la levée de 242,6 millions d’euros pour la prévention et le dépistage du VIH, soit une augmentation de 88,2 millions d’euros par rapport à l’année précédente. L’initiative de la Maison-Blanche comprendra des efforts pour améliorer l’accès au dépistage et à la PrEP dans les services de santé sexuelle et les cliniques du programme « Title X ». « La nouvelle stratégie de lutte contre le VIH prend en compte les occasions manquées de fournir des services liés au VIH dans ces cadres-là », nous a répondu par écrit Harold J. Phillips, directeur du bureau dédié aux mesures de lutte contre le SIDA à la Maison-Blanche. « Nous devons adapter ces services à plus grande échelle pour mieux combler les disparités, surtout auprès des femmes appartenant à des minorités. »

Et depuis cet été, l’Affordable Care Act, qui oblige les prestataires de soins à proposer la PrEP gratuitement, couvre la prévention contre le VIH et le suivi médical des personnes séropositives mais aussi le dépistage d’IST (notamment pendant la grossesse), l’aide psychologique, et la surveillance des reins.

Mais ce qui frustre le plus les militantes, c’est la barrière silencieuse dont on parle rarement : la stigmatisation. En 2017, des chercheurs ont sondé près de 600 patientes de plannings familiaux dans des villes du Connecticut où le taux de nouveaux diagnostics est élevé. Ils ont découvert qu’elles avaient une mauvaise image de la PrEP : 37 % croyaient qu’on allait penser qu’elles avaient des mœurs légères, et 32 % craignaient qu’on pense qu’elles étaient séropositives ; 30 % d’entre elles affirmaient qu’elles éprouveraient de la honte à dire aux autres qu’elles étaient sous PrEP et appréhendaient la désapprobation de leur famille, de leurs partenaires sexuels, ou de leurs amis.

Selon Judith D. Auerbach, consultante scientifique et professeure de médecine, il y a un autre défi : certaines femmes hésitent à parler ouvertement de leur vie sexuelle aux prestataires de soins, notamment du nombre de partenaires qu’elles ont et de leur recours ou non à une protection, de peur d’être jugées. Le problème réside en partie dans la façon dont la communauté médicale parle de la PrEP ; le guide du CDC « étiquette des personnes comme étant "à risque" comme si vous étiez une personne dangereuse », affirme-t-elle.

 

PENSER LA PrEP COMME UNE ÉMANCIPATION

Il serait plus efficace d’avoir des discussions importantes concernant la santé sexuelle générale des femmes. « La question devrait être : "Si vous êtes sexuellement active, qu’est-ce qui vous inquiète le plus ?" Je devrais pouvoir raconter mon histoire et ensuite discuter de prévention, déclare Dázon Dixon Diallo. [Pour l’instant], ça se focalise sur leur bien-être, leur plaisir et leur désir, et pas sur notre désir de stopper la propagation de la maladie. »

Cette façon de présenter la prévention contre le VIH comme une façon de prendre soin de soi est à la base d’un programme « centré sur l’humain » financé par la Fondation Bill-et-Melinda-Gates qui cible les adolescentes et les jeunes femmes très exposées en Afrique du Sud. La PrEP y est présentée comme un outil qui permet de faire coexister satisfaction sexuelle et protection de la santé ; un poster pédagogique à remplir (« Becoming a Queen ») permet aux participantes de prendre du recul et de gérer leurs rapports de manière plus souveraine.

C’est également le message envoyé par le CDC dans sa campagne « She’s Well » qui cherche à faire connaître la PrEP auprès des femmes et des prestataires de soins. Une vidéo montre des dessins représentant des femmes de toutes les origines qui tiennent un comprimé bleu et inclut des légendes comme « Je prends la PrEP parce que c’est moi qui décide » ; « Je prends la PrEP parce que j’aime ma vie sexuelle » ; et « Je prends la PrEP parce que je le vaux bien ».

« Nous tirons de nouveaux enseignements ; même des personnes qui s’exposent sont susceptibles de pas avoir [la PrEP] à l’esprit. Beaucoup d’études montrent qu’elles veulent discuter de leurs relations et de leur sexualité dans un contexte ouvert et confortable. Voilà les mesures auxquelles nous devons nous tenir », affirme Mitchell Warren, directeur général d’AVAC, association à but non lucratif qui œuvre à la prévention contre le VIH. « Nous devons dire : "La PrEP existe. Peut-être que ça pourra vous aider. Ça n’est pas [uniquement] pour les groupes qui s’exposent. C’est pour toute personne souhaitant se prémunir et s’émanciper face au VIH" ».

Brit Williams, professeure de 31 ans vivant entre le Minnesota et la Géorgie, a recours à la PrEP. Elle a commencé à prendre le traitement en 2018 après que des amis gays d’Atlanta, où la prévalence du VIH est élevée, lui en ont parlé. « J’avais des fréquentations régulières et je voulais m’assurer que je ne me mettais pas en danger, explique-t-elle. Je prends la pilule pour éviter une grossesse non voulue. Je me suis dit : "Qu’est-ce que je peux ajouter à ma boîte à outils ?" »

Brit Williams aimerait devenir ambassadrice locale pour sensibiliser davantage de femmes au sujet de la PrEP. « Mettez-moi sur un panneau d’affichage à Atlanta, lance-t-elle. Il faut qu’on rende visible le visage des femmes de nos communautés. »

Cet article a été financé par une bourse octroyée par l’association Economic Hardship Reporting Project. Il a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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