Pourquoi les placebos peuvent fonctionner

Les placebos peuvent soulager les douleurs et procurer bien d'autres bienfaits, et ce même dans le cas des "placebos ouverts", lorsque les patients sont prévenus à l'avance que leur traitement ne contient aucun principe actif.

De Meryl Davids Landau
Publication 28 juin 2022, 11:19 CEST
Un psychiatre tient deux gélules : l'une contenant un médicament, l'autre un placebo.

Un psychiatre tient deux gélules : l'une contenant un médicament, l'autre un placebo.

PHOTOGRAPHIE DE Spencer Weiner, Los Angeles Times via Getty Images

Lorsque Betty Durkin a mis le pied sur sa terrasse en juin dernier, elle a glissé sur une planche mal fixée et est tombée. Elle s’est brisé le cou, a eu de graves contusions aux poignets et aux genoux, s’est blessée au sommet de la colonne cervicale et a reçu des éclats de bois dans le visage. En l'espace d'un instant, la douleur a été insupportable.

Après plusieurs jours d’hospitalisation, Betty, âgée de 73 ans, administratrice chargée des habilitations de sécurité à Marion dans le Massachusetts, a été transférée au Spaulding Rehabilitation Hospital de Boston. Sa douleur étant toujours aussi intense, on lui a prescrit un traitement d’opioïdes en continu, ce qui l’a inquiétée car une amie proche était devenue dépendante à ces analgésiques après deux séjours à l’hôpital. « J’ai vu ce que les opioïdes pouvaient faire. Je n’ai jamais voulu prendre le risque de vivre ça », confie Betty.

C’est pourquoi elle a été ravie d’apprendre qu’un essai clinique inhabituel se déroulait durant son séjour. Les médecins lui ont dit qu’ils allaient vérifier si sa douleur s’améliorait après avoir reçu une gélule placebo remplie d’huile de soja, plutôt que d’un ingrédient médicinal.

Dans les dix dernières années, les scientifiques ont publié de nombreuses études testant le concept de placebo dit « honnête » ou « ouvert » : les sujets sont informés à l’avance que le comprimé ou la gélule qu’ils prennent ne contient pas d’ingrédients actifs sur le plan thérapeutique. Dans le cas de Betty, on le lui a non seulement annoncé à l’avance, mais le flacon portait aussi une mention « placebo ouvert ». Si l’on se base sur tout ce que les scientifiques croyaient autrefois sur l’importance de la dissimulation pour que les placebos soient efficaces, ces comprimés placebo honnêtes ne devraient pas pouvoir réduire la douleur, la fatigue, les migraines ou d’autres symptômes.

Mais dans un nombre non négligeable de cas, ils y parviennent.

Pendant trois jours, dans le cadre de l’essai, on a demandé à Betty de sentir un parfum de cardamome, puis d’avaler la gélule avant de prendre ses opioïdes. L’objectif était d’entraîner le cerveau à associer l’expérience de la prise du placebo au soulagement de la douleur procuré par les opioïdes. Après le troisième jour, elle a reçu l’odeur et la gélule, mais pas d’opioïdes. On lui a dit qu’elle pouvait demander des analgésiques quand elle en avait besoin, mais elle ne l’a jamais fait.

« Je ne m’attendais pas à ce que ça marche. Je savais que c’était une fausse gélule, pas quelque chose d’actif », dit-elle. « Mais, je ne sais pas comment, mon cerveau n’a pas fait la différence. »

La plupart des essais réalisés jusqu’à présent sur des placebos ouverts n’étaient pas de grande envergure, mais les résultats commencent désormais à s’accumuler. Une revue systématique publiée l’année dernière dans Scientific Reports a évalué 13 études avec près de 800 participants, et a conclu que les placebos ouverts avaient des effets positifs significatifs. Les auteurs de l’analyse ont toutefois souligné que, dans n’importe quel domaine, dans les premières phases d’une recherche, les études positives sont plus susceptibles d’être publiées que celles qui n’étayent pas la technique. Néanmoins, cet effet inattendu ne manque pas d’intriguer de nombreux experts en médecine.

« Il s’agit d’une intervention paradoxale », déclare Ted Kaptchuk, directeur du programme d’études sur les placebos et la rencontre thérapeutique au Beth Israel Deaconess Medical Center de Boston, un pionnier de cette recherche. Selon lui, à première vue, ce phénomène n’a aucun sens. Mais c’est peut-être parce que les scientifiques ne comprennent pas complètement le fonctionnement des placebos.

 

UN PLACEBO N’EST PAS QU’UN SIMPLE COMPRIMÉ

Les médecins et autres guérisseurs utilisent les traitements inactifs depuis des centaines d’années. Dès le 18e siècle, le médecin britannique William Cullen a écrit qu’il avait donné à un patient un traitement, même s’il était sceptique : « J’avoue que je n’y croyais pas beaucoup, mais je l’ai donné parce qu’il est nécessaire de donner un médicament, et ce que j’appelle un placebo ».

L’utilisation de placebos dans les essais cliniques a réellement décollé dans les années 1960, lorsque le Congrès américain a approuvé un amendement autorisant sa Food and Drug Administration à exiger que les entreprises pharmaceutiques prouvent que les nouveaux médicaments créés étaient non seulement sûrs, mais aussi efficaces. Les essais cliniques visant à tester l’effet d’un médicament en le comparant à celui d’un placebo inoffensif sont devenus la méthode la plus utilisée pour y parvenir, ont noté des scientifiques dans le New England Journal of Medicine à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’amendement.

Dans les essais cliniques traditionnels, les chercheurs ne disent jamais aux participants s’ils reçoivent le médicament ou le placebo. Les scientifiques qui évaluent les données de l’essai ne sont pas non plus mis au courant : les résultats sont ainsi censés être plus directement comparables, et moins susceptibles d’être biaisés.

Au fil du temps, les sujets de l’étude qui ont reçu un placebo sans le savoir ont néanmoins connu une amélioration dans de nombreux cas, ce qui a conduit les médecins à décrire un phénomène appelé « effet placebo ». Selon une étude publiée dans la revue Neuroimmunomodulation, si un patient croit avoir potentiellement reçu le traitement actif, son cerveau peut libérer des substances chimiques dont des endorphines, connues pour réduire la douleur et améliorer l’humeur d’une façon qui amorce la guérison. Certains critiques doutent toutefois de la réalité de cet effet, attribuant toute amélioration dans les patients du groupe placebo à des symptômes fluctuants, à la nature imprévisible des maladies, et même au désir des sujets de l’étude de faire plaisir aux chercheurs.

Quoi qu’il en soit, les placebos ont longtemps été considérés comme un élément nécessaire des essais cliniques. Mais, lorsqu’il menait des essais cliniques standard au début de sa carrière de chercheur, Kaptchuk n’aimait pas le fait de cacher la réalité du traitement à ses patients.

« Il y a une forme de mensonge dans le placebo », affirme-t-il. En 2010, il a décidé de tester pour la première fois le concept d’un placebo ouvert : « Tous mes collègues ont dit que c’était absurde. Mais c’était un effort délibéré pour faire en sorte que les placebos ne relèvent plus de la tromperie. »

Kaptchuk et ses collègues ont inclus quatre-vingts personnes atteintes du syndrome de l’intestin irritable (SII), ou colopathie fonctionnelle, dans un essai clinique randomisé. La moitié d’entre elles ont pris deux gélules placebo deux fois par jour, et les autres n’ont reçu aucun traitement. Les chercheurs ont pris soin d’expliquer au groupe qui prenaient le placebo que les gélules ne contenaient aucun médicament. Ils leur ont également expliqué que des essais cliniques avaient montré que les placebos pouvaient induire des processus d’auto-guérison.

Après trois semaines, les chercheurs ont évalué la gravité de leurs symptômes. L’équipe de Kaptchuk a publié un rapport montrant que le groupe placebo allait nettement mieux, ce qui a ouvert la voie aux recherches qui ont suivi.

Il est essentiel d’informer les patients des avantages possibles d’un placebo dans le cadre d’une recherche clinique ouverte, explique Leon Morales-Quezada, un médecin de Spaulding qui était le chercheur principal de l’étude à laquelle Betty a participé. « Nous avons dit à nos patients dès le début : ce que nous allons vous donner est un placebo, mais il est possible qu’il vous aide à contrôler la douleur et à diminuer votre consommation d’opioïdes », ajoute-t-il.

Au début, les participants étaient surpris, et souvent sceptiques, dit Morales-Quezada. « Ils n’arrivaient pas à croire ce que nous proposions. Mais en même temps, ils étaient curieux. »

 

LE POUVOIR DU CERVEAU

Des études d’imagerie publiées en 2018 ont montré que les placebos traditionnels activaient souvent les neurotransmetteurs impliqués dans la douleur et la guérison. C’est sans aucun doute ce qu’il se passe dans le cas des placebos ouverts, selon John Krystal, président de la psychiatrie à la Yale School of Medicine, qui n’est pas impliqué dans cette recherche.

Pour les experts, le fait qu’il soit prescrit par un médecin est également un élément clé. « Le principe d’un placebo, ce n’est pas le comprimé en lui-même. C’est tout le rituel du comprimé », explique Kaptchuk.

Cependant, les placebos qui sont signalés clairement comme tels pourraient fonctionner assez différemment de leurs équivalents plus traditionnels. Les experts comprennent de mieux en mieux que, surtout chez les patients souffrant de douleurs, le cerveau peut exacerber cette douleur et amplifier des sensations corporelles qu’il devrait ignorer. Chez certaines personnes, le fait de demander d’avaler un comprimé qui n’a aucun effet physiologique pourrait interrompre le signal de douleur du cerveau plus efficacement que lorsqu’on leur dit que le placebo est peut-être un vrai médicament, écrivait Kaptchuk dans le British Medical Journal en 2018.

« Nous ne disons jamais que ça fonctionnera à coup sûr », souligne Kaptchuk, notant que l’incertitude semble jouer un rôle important dans la réduction des amplifications de la douleur par le cerveau.

De plus, Kaptchuk et Anthony Lembo, directeur du programme de motilité gastro-intestinale et de troubles fonctionnels intestinaux au Beth Israël, indiquent de nouvelles perspectives basées sur leur dernière étude sur le SII. Comme ils l’ont publié dans la revue Psychosomatic Medicine au mois d’avril, ils ont recruté 262 patients atteints du SII, contre 80 dans l’étude de 2010. Cette fois, ils ont ajouté un troisième groupe : les personnes qui ont reçu un placebo traditionnel. Ce groupe a été informé qu’il recevait soit un placebo, soit de l’huile de menthe poivrée, dont certaines études ont montré qu’elle pouvait soulager le SII. Après six semaines, le groupe placebo ouvert et le groupe placebo traditionnel présentaient des améliorations similaires, tandis que ceux qui n’avaient pris aucun traitement étaient restés au même stade.

Lorsque les chercheurs ont analysé de plus près les participants, ils ont constaté des différences dans certaines réponses entre les deux groupes placebo. Par exemple, les personnes qui reçoivent des placebos ouverts mais qui ont tendance à croire que leur douleur pourrait ne jamais s’améliorer (phénomène que les chercheurs appellent « catastrophisation de la douleur »), mais aussi celles qui s’attendaient le plus à de bons résultats, étaient moins susceptibles de voir leurs symptômes disparaître que celles qui n’avaient reçu aucun traitement. Le groupe placebo traditionnel n’était concerné par aucun de ces deux facteurs.

« Il ne s’agit pas de croire que l’on va aller mieux », suppose Kaptchuk. « À mon avis, il s’agit du fait que le corps sait quelque chose qui n’est pas conscient. »

 

DE NOMBREUSES SITUATIONS

Une autre façon d’étudier les placebos ouverts, c’est de les associer à un traitement actif, comme l’a fait Morales-Quezada dans le cadre de sa recherche sur les opioïdes. L’idée est de conditionner le cerveau à associer le placebo à une réaction thérapeutique, un peu de la même façon que la célèbre expérience du chien de Pavlov : en sonnant une cloche à chaque fois qu’on donne de la nourriture au chien, ce dernier associe la cloche à la nourriture et salive à chaque fois qu’il l’entend sonner.

Dans le cadre des recherches préliminaires de Morales-Quezada, vingt patients hospitalisés souffrant de blessures graves ont été choisis au hasard pour recevoir soit des placebos ouverts, soit leurs traitements opioïdes habituels. Au bout de six jours, la consommation d’opioïdes est restée relativement constante pour ceux qui suivaient le traitement habituel, mais elle a chuté de 66 % pour les personnes qui prenaient des placebos, ont écrit les chercheurs dans Pain Reports. Une étude de suivi avec des résultats similaires, à laquelle Betty a participé, devrait être publiée prochainement.

De même, dans une étude publiée l’année dernière dans la revue Pain, cinquante-et-un patients ayant subi une opération de la colonne vertébrale ont été choisis au hasard pour recevoir soit des placebos honnêtes associés à leurs analgésiques, soit le traitement habituel composé uniquement d’analgésiques, les deux groupes ayant accès à des opioïdes si nécessaire. Au cours des deux semaines de l’étude, le groupe de placebo ouvert a utilisé 30 % d’opioïdes en moins, mais n’a pas signalé de niveaux de douleur plus élevés.

Les études qui n’impliquent pas de conditionnement se sont principalement concentrées sur les maladies pour lesquelles il n’existe pas de traitements efficaces. Par exemple, des chercheurs allemands ont constaté que des patients souffrant de maux de dos chroniques ont vu leur douleur, leur invalidité fonctionnelle et leur dépression diminuer après avoir pris un placebo ouvert pendant trois semaines. Les survivants de cancer souffrant de fatigue continue allaient également mieux grâce aux placebos ouverts, selon une étude publiée dans Supportive Care in Cancer. Et les migraines se sont davantage améliorées chez les personnes prenant des placebos ouverts que chez celles ne recevant aucun traitement.

 

PRESCRIRE DES PLACEBOS ?

Les médecins impliqués dans cette recherche n’ont pas encore intégré le traitement dans leur pratique clinique. Après tout, comme le fait remarquer le médecin gastro-entérologue Lembo, ce traitement est encore expérimental, et il est encore difficile pour un médecin de prescrire un flacon étiqueté « placebo » que les patients pourraient se procurer en pharmacie. Mais Morales-Quezada attend avec impatience le jour où de nombreux médecins les adopteront, notamment pour les cas de douleurs physiques.

En réalité, de nombreux médecins intègrent déjà discrètement les placebos dans leur pratique. Une enquête des National Institutes of Health auprès de près de 700 rhumatologues et spécialistes de médecine interne, publiée dans le British Medical Journal en 2008, a révélé que plus de la moitié d’entre eux déclaraient prescrire régulièrement des vitamines, des analgésiques en vente libre ou d’autres traitements uniquement pour leur effet placebo, chose qu’ils avouent rarement aux patients.

Ronald Williams, un entrepreneur de 37 ans dans le domaine de la technologie à Los Angeles, a récemment reçu une telle ordonnance en tant que patient. Après avoir ressenti des douleurs dorsales en novembre dernier, il est allé consulter un médecin orthopédiste qui l’a examiné et lui a recommandé une chaise de bureau ergonomique et certains exercices pour le cou. Mais M. Williams a continué à insister auprès du médecin pour qu’il lui prescrive des médicaments, si bien qu’il a fini par céder et par lui rédiger une ordonnance. Lorsque M. Williams est revenu une semaine plus tard après avoir appliqué les trois recommandations de son médecin, il a informé celui-ci que sa douleur avait disparu grâce au « médicament magique ». C’est alors que le médecin lui a avoué que le traitement était un placebo.

M. Williams a été amusé d’apprendre la ruse, mais d’autres pourraient ne pas l’être, avertit Anne Barnhill, bioéthicienne à l’université Johns Hopkins dans le Maryland. Les médecins ont l’obligation éthique de ne pas tromper leurs patients, même s’ils pensent que la dissimulation d’un placebo leur sera utile, soutient-elle. De plus, les placebos cachés peuvent soulager un symptôme sur le moment, mais si le patient fait ensuite des recherches sur son état et apprend que ce qu’il a reçu n’est pas médicalement efficace, cela pourrait nuire à la relation médecin-patient. Krystal, de Yale, craint tout particulièrement que cela ne se produise dans les communautés minoritaires, qui ont déjà une confiance bancale dans le système de santé.

Le fait d’être honnête au sujet d’un placebo élimine ces problèmes, mais les médecins devraient informer leurs patients sans ambiguïté, avertit Barnhill, car tout le monde ne comprend pas ces termes, et certains peuvent croire qu’il s’agit d’un traitement actif même si on leur dit le contraire.

Les patients eux-mêmes semblent ouverts à cette idée. Dans une enquête menée en 2016 auprès de 850 personnes par les National Institutes of Health et l’association Kaiser Permanente, lorsqu’on leur a demandé s’ils accepteraient des placebos ouverts dans certains scénarios spécifiques, par exemple lorsque le problème de santé n’est pas dangereux et qu’il n’existe pas d’autres bons traitements, près 85 % ont répondu oui.

« L’esprit joue un rôle tellement important dans le rétablissement du patient », explique Krystal. Comme tous les placebos, les placebos ouverts tirent profit du lien entre les médecins et les patients, qui est « l’un des liens les plus spéciaux et uniques dans notre société ».

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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