Pourquoi l'homme n'a-t-il plus d'os dans le pénis ?

Contrairement à ceux des humains, les pénis de certains mammifères sont dotés d'un os, appelé baculum. L'utilité de cet os demeure énigmatique pour de nombreux scientifiques, mais il serait lié à la compétition des mâles pour la reproduction.

De Carl Zimmer
Publication 1 juil. 2022, 15:57 CEST
L'os pénien, ou baculum, d'une espèce d'écureuil.

L'os pénien, ou baculum, d'une espèce d'écureuil.

PHOTOGRAPHIE DE Johanna Ronn

En 2013, j’ai écrit sur l’évolution de la monogamie pour le New York Times, suite à deux nouvelles études dans lesquelles des scientifiques analysaient des centaines ou des milliers d’espèces de mammifères, retraçant l’évolution de la monogamie et d’autres arrangements sociaux. Cette approche globale de l’évolution permet d’apporter des informations importantes, mais les détails les plus précis sont plus difficiles à déterminer.

Si l’on compare les humains (monogamie, polygamie et tant d’autres options) aux chimpanzés (chez qui la monogamie est réservée aux mâles non-dominants), on ne voit que les extrémités de deux branches. Les chimpanzés sont peut-être nos plus proches parents vivants, mais notre ancêtre commun a vécu il y a environ sept millions d’années. Lorsque les deux lignées de cet ancêtre se sont séparées, elles ont évolué dans des directions différentes, et continuent de le faire aujourd’hui. En nous basant sur nous-mêmes, sur les chimpanzés et sur d’autres espèces de mammifères vivants, nous pouvons faire quelques déductions sur cette évolution ; mais ce type de recherche ne nous donne pas une idée claire de la façon dont les habitudes sexuelles des mammifères évoluent de génération en génération.

C’est pourquoi il était si intéressant de découvrir l’étude de 2013 de Leigh W. Simmons et Renée Firman, de l’université de Western Australia. Dans leur laboratoire, ils ont pu observer l’évolution sexuelle des mammifères. Leurs études sur la monogamie étaient comme une vue satellite. Ici, nous sommes directement sur le terrain.

La nature de la cohabitation des mâles et des femelles dépend des conditions dans lesquelles vit leur espèce. Par exemple, si un seul mâle peut s’accoupler avec de nombreuses femelles, il aura beaucoup de descendants. Mais si les femelles sont trop dispersées, il ne sera peut-être pas en mesure de toutes les protéger contre les autres mâles qui voudront aussi s’accoupler avec elles. Dans ce cas, la sélection naturelle peut favoriser les mâles qui préfèrent rester fidèles à une seule femelle.

Phallus de coléoptère (Bruchinae).

PHOTOGRAPHIE DE Johanna Ronn

Chez les espèces où les mâles se disputent souvent les femelles, l’évolution peut créer de nouveaux éléments anatomiques. Certains mâles peuvent développer des cornes extravagantes pour combattre leurs rivaux. Et, lorsque les femelles s’accouplent avec de nombreux mâles, même leur anatomie génitale est susceptible de changer. Les mâles se battent les uns contre les autres même pendant le rapport sexuel : certains insectes, par exemple, utilisent des organes génitaux épineux pour retirer le sperme de leurs concurrents.

Des biologistes évolutionnistes ont émis l’hypothèse que ces organes sexuels pour le moins originaux étaient le résultat d’une course évolutive entre les mâles, et ont pu appuyer cette idée en comparant certains mâles entre eux. Il s’est avéré que ceux qui avaient le plus de descendants avaient tendance à avoir les pénis les plus épineux.

Des chercheurs ont ensuite commencé à observer l’évolution de ces organes. En 2011, par exemple, des scientifiques suisses ont dévoilé une étude qu’ils avaient menée sur des coléoptères, dont les organes génitaux sont munis d’épines destinées à éliminer les spermes de leurs rivaux.

Les chercheurs ont isolé chacun des mâles avec une unique femelle. Ils n’avaient donc pas de concurrence pour l’accouplement. L’équipe a ensuite laissé les insectes s’accoupler pendant vingt-et-une générations, et les épines sur les organes génitaux des mâles sont progressivement devenues sensiblement plus petites. C’est exactement ce que les scientifiques avaient prédit en se basant sur la théorie de l’évolution. Sans aucune concurrence de la part des autres mâles, les pénis épineux n’avaient plus aucune utilité.

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    PHOTOGRAPHIE DE Johanna Ronn

    Simmons a recueilli de nombreuses preuves de cette évolution des organes génitaux masculins chez les insectes ; puis, avec Firman, ils ont tourné leur attention vers les mammifères. Pour être plus précis, ils se sont intéressés au baculum, un os qu’ils appelaient « l’une des énigmes les plus déroutantes de la morphologie des mammifères ».

     

    LE BACULUM, UN OS ÉNIGMATIQUE

    Le baculum, ou os pénien, est long chez certaines espèces et court chez d’autres ; il peut être droit ou crochu, barbelé ou encore en forme de trident. Chez quelques espèces, comme la nôtre, il est tout simplement absent.

    La communauté scientifique a développé plusieurs explications possibles de son existence. Certains ont suggéré qu’en rendant le pénis rigide, le baculum permet au mâle de délivrer plus de sperme à la femelle. Ces spermatozoïdes supplémentaires peuvent donc être plus nombreux que ceux des mâles rivaux. D’autres ont suggéré que le baculum aide les spermatozoïdes à voyager plus loin vers un ovule, et d’autres encore qu’il stimule la femelle, déclenchant l’ovulation.

    Ces trois hypothèses ont un point commun : le baculum évolue pour assurer une meilleure efficacité de l’accouplement. En 2013, des chercheurs britanniques ont publié une étude confirmant cette idée : ils ont étudié des souris grises, une espèce chez laquelle les femelles s’accouplent avec plusieurs mâles à chaque fois qu’elles ovulent. Les scientifiques ont constaté que les souris mâles qui avaient un baculum plus large avaient plus de petits que les autres.

    Simmons et Firman ont poussé cette recherche un peu plus loin. Ils ont émis l'hypothèse que cette différence de procréation entre les souris mâles pouvait entraîner une évolution du baculum. Pour le savoir, ils ont réalisé une expérience similaire à celle des scientifiques suisses. Ils ont créé deux groupes de souris : des mâles polygames d'un côté, des mâles monogames de l'autre.

    Les femelles polygames ont pu s’accoupler avec trois mâles à chaque cycle. Les monogames n’ont pu s’accoupler qu’avec un seul. Ils ont élevé les souris pendant vingt-sept générations et ont ensuite examiné leur baculum. Comme pour les scarabées, celui-ci avait évolué : il était devenu plus épais dans le groupe des polygames, et plus fin dans celui des monogames. Pour la première fois, des scientifiques avaient ainsi observé l’évolution du baculum.

    L’expérience ne résout toujours pas le mystère de l’utilité du baculum, mais Simmons et Firman ont une idée, du moins en ce qui concerne les souris. Ils pensent que cet os aide les souris mâles à stimuler l’appareil reproducteur féminin. Cette stimulation peut augmenter la probabilité que le mâle féconde les ovules de la femelle, ou augmenter les chances qu’un ovule fécondé s’implante avec succès dans son utérus.

    Si le baculum est effectivement le résultat de la sélection sexuelle chez les mammifères, une question se pose tout naturellement : où est passé le nôtre ? « La raison pour laquelle les humains mâles n’ont pas de baculum reste mystérieuse », écrivait Paula Stackley, biologiste à l’université de Liverpool, dans la revue Current Biology, en 2012.

    Une étude parue fin 2016 dans un article des Proceedings of the Royal Society B, a permis de déterminer que nos ancêtres avaient aussi un os pénien, et ce même si aucun baculum d’ancien hominidé n’a été retrouvé à ce jour. La cause de cette différenciation avec nos lointains ancêtres ? Selon les chercheurs, une compétition sexuelle minimale et une durée moyenne entre la pénétration et l'éjaculation chez l’Homme inférieure à deux minutes (hors préliminaires). 

    Chez les primates, les espèces monogames ont tendance à avoir des baculums beaucoup plus petits que les espèces où les mâles sont en compétition pour l’accouplement. Il ne serait donc pas fou de penser que le passage à la monogamie chez nos ancêtres a fait disparaître complètement le baculum humain (à l’exception de très, très rares cas effrayants).

    Mais les choses ne sont pas si simples. Les chimpanzés, nos plus proches parents, sont loin d’être monogames. On pourrait donc penser qu’ils ont un baculum énorme. Mais, en réalité, il n’est que de la taille d’un grain de riz : environ cinq fois plus petit que le baculum d’un babouin. Tous les grands singes ont un baculum minuscule. Pour une raison encore inconnue, cet os énigmatique a disparu chez nos ancêtres depuis une dizaine de millions d’années, voire plus. Si le baculum peut évoluer en quelques semaines dans le cadre d’une expérience scientifique, son évolution peut également s’étendre sur de très longues périodes de temps.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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