La position d'un enfant dans une fratrie influence-t-elle vraiment sa personnalité ?

Il est possible que vos expériences personnelles démontrent d'une manière ou d'une autre que l'ordre de naissance a façonné les personnalités qui vous entourent. Mais cette théorie formulée il y a près d'un siècle... est fausse.

De Erin Blakemore
Publication 30 mai 2024, 19:42 CEST
Trois garçons âgés de cinq à huit ans sont positionnés les uns derrière les autres. Vos ...

Trois garçons âgés de cinq à huit ans sont positionnés les uns derrière les autres. Vos frères et sœurs façonnent vos expériences, mais l'ordre de naissance a-t-il quelque chose à voir avec votre personnalité ? Des chercheurs estiment qu'il est probable que ce soit un mélange de génétique et de conditions environnementales.

PHOTOGRAPHIE DE Hans Neleman, Getty Images

Êtes-vous un·e aîné·e responsable, un·e cadet·te oublié·e, ou bien un·e benjamin·e libre ? Pour ceux qui adhèrent à la théorie selon laquelle l'ordre de naissance influence la personnalité, la réponse à cette question pourrait bien être la clé qui définit la personne que vous êtes. Lors des fêtes, de dîners de familles ou pendant une thérapie, on peut utiliser l'ordre de naissance comme un raccourci pour définir les traits de personnalité d'une personne : un·e enfant unique qui est égoïste, peut-être, ou un·e cadet·te qui peine à se faire voir.

Mais bien que vos expériences personnelles puissent très bien indiquer que l'ordre de naissance a façonné les personnalités qui vous entourent, les psychologues ne sont pas du même avis. Voilà pourquoi il est probablement temps de laisser tomber les stéréotypes.

 

LES ORIGINES DE LA THÉORIE PSYCHOLOGIQUE SUR L'ORDRE DE NAISSANCE

L'idée selon laquelle l'ordre de naissance influence la personnalité est certainement aussi vieille que le monde. Après tout, les diverses sociétés ont longtemps privilégié ou négligé les individus selon la position qu'ils occupaient au sein de leur famille.

Dans de nombreuses sociétés antiques, par exemple, l'arrivée d'un premier né, et donc le passage d'un parent à la tête d'une famille, se traduisait souvent par un statut social plus élevé. Cela a également donné lieu à des cérémonies telles que des bains spéciaux pour les mères qui viennent d'accoucher en Micronésie et la cérémonie traditionnelle du Pidyon HaBen dans le judaïsme, au cours de laquelle un premier-né masculin doit être « racheté » à Dieu en payant cinq sicles d'argent.

L'ordre de naissance a par ailleurs longtemps déterminé les droits de succession et les lignées de succession royales, comme dans la monarchie britannique qui a longtemps exigé un « héritier » mâle et un ou plusieurs « remplaçants » au cas où quelque chose arriverait à l'héritier.

Mais la théorie sur les personnalités selon l'ordre de naissance n'a été développée qu'au début du 20ᵉ siècle, quand le psychothérapeute Alfred Adler a formulé l'hypothèse que l'ordre de naissance n'influencerait pas seulement le statut social, mais aussi le développement et la personnalité de l'enfant. Père de la psychologie individuelle, Adler supposait que les traits de personnalité prévisible d'un individu découlaient de sa « constellation familiale ». « La position dans la famille laisse une trace indélébile dans le style de vie de l'individu », écrivit Adler en 1931.

Selon Adler, la naissance d'un frère ou d'une sœur prive l'aîné·e de l'attention complète de ses parents, ce qui les rend plus enclin·es au conservatisme et à imiter les personnes plus âgées. Les cadet·tes quémandent l'attention de manière compétitive, alors que les benjamin·es sont choyé·es et paresseux·ses. Pour finir, il suppose que les personnes ayant grandi sans frères ni sœurs ont un « complexe d'Œdipe » et sont en rivalité avec leur père.

Célèbre pour ses conférences internationales, ses écrits de psychologie populaires et ses techniques psychothérapeutiques, l'influence d'Adler résonne encore dans tout le domaine de la psychologie. En conséquence, des générations de psychologues ont entrepris des recherches pour tenter de prouver sa théorie de l'ordre de naissance.

 

CE QUE DISENT VRAIMENT LES RECHERCHES SUR L'ORDRE DE NAISSANCE

Les études conduites depuis l'ère d'Adler ont trouvé des associations entre l'ordre de naissance et tout le reste, de la durée des études à la sexualité en passant par la réussite des cadets dans les sports d'équipe.

Franc Sulloway, l'un des plus éminents défenseurs modernes de la théorie, a étudié les adultes et leurs carrières dans les années 1990 et 2000 pour évaluer l'influence de l'ordre de naissance. Il a constaté une tendance à la recherche conservatrice chez les scientifiques célèbres qui étaient les aînés de leur fratrie, tandis que les recherches plus radicales, telles que la théorie de l'évolution et de la relativité, sont plus fréquentes chez les scientifiques arrivés plus tard dans l'ordre familial. Il a également constaté des différences entre les stratégies militaires et politiques des premiers-nés militants comme Maximilien Robespierre et les méthodes modérées et non violentes des célèbres cadets.

Mais les études les plus pertinentes concernant le développement de la personnalité pointent vers les « cinq grands » traits de personnalités que sont l'ouverture d'esprit, la conscience, l'extraversion, l'amabilité et le neuroticisme. Et des études plus récentes sur l'ordre de naissance ont mis à mal la théorie selon laquelle celui-ci façonne notre personnalité.

Rodica Damian, professeure agrégée de psychologie à l'université de Houston, a mené l'une des plus importantes études de ce type en 2015, en utilisant les données d'une étude longitudinale portant sur plus de 440 000 lycéens et lycéennes américain·es. Après avoir pris en compte le statut socio-économique, le sexe et l'âge, l'étude a montré que « l'association entre l'ordre de naissance et les traits de personnalité est aussi proche de zéro qu'il est possible de l'être », explique-t-elle.

Une autre étude réalisée en 2015 a confirmé les conclusions de Damian. Après avoir analysé trois échantillons nationaux représentatifs des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne, les chercheurs ont écrit : « Nous n'avons trouvé aucun effet de l'ordre de naissance sur l'extraversion, la stabilité émotionnelle, l'amabilité, la conscience ou l'imagination. »

Mais les deux équipes de chercheurs ont trouvé des signes d'une caractéristique qui plairait aux enfants nés en premiers et consternerait leurs frères et sœurs plus jeunes. Chacune de ces études a démontré que les premiers-nés étaient légèrement plus susceptibles d'avoir une intelligence verbale élevée.

Cela ne signifie pas nécessairement que les premiers-nés sont plus intelligents ou qu'ils apprennent plus facilement, précise Damian. Il est plus probable que cela soit dû au fait que les premiers-nés passent plus de temps seuls avec des adultes dans leur petite enfance. Elle souligne que dans son étude, la différence n'était que d'un seul point de QI.

Dans l'ensemble, l'autre équipe a indiqué : « nous devons conclure que l'ordre de naissance n'a pas d'effet durable sur les traits de personnalité généraux en dehors du domaine intellectuel. »

 

QU'EST-CE QUI FAÇONNE RÉELLEMENT UNE PERSONNALITÉ ?

En tant que scientifique, Rodica Damian est prudente lorsqu'il s'agit d'affirmer qu'une théorie a été « réfutée ». Toutefois, elle affirme que la recherche moderne a essentiellement démoli la théorie selon laquelle l'ordre de naissance influe sur la personnalité, qu'elle qualifie de « théorie zombie » parce qu'elle ne veut tout simplement pas mourir. Alors pourquoi cette idée séduit-elle encore le public et pourquoi les chercheurs continuent-ils de creuser la question ?

« Tout le monde a une opinion là-dessus parce que tout le monde a un ordre de naissance, même les enfants uniques », estime Rodica Damian. Et une partie de la raison qui fait que nous ne pouvons laisser tomber la psychologie de l'ordre de naissance a certainement quelque chose à voir avec nos propres expériences qui sembleront toujours la soutenir. Les aînés sembleront toujours plus responsables et sophistiqués que leurs frères et sœurs plus jeunes, car ils sont plus mûrs en termes de développement.

« Même si vous le constatez, vous n'avez pas de machine à remonter le temps qui vous permettrait d'observer chaque enfant au même âge », explique Damian. Il s'agit d'une « confusion », écrit-elle avec ses collègues, et d'une « circonstance où l'expérience personnelle est erronée et où la vérité ne peut être découverte que par le biais d'un raisonnement et d'une enquête scientifique de qualité ».

En réalité, la science du développement de la personnalité est loin d'être établie. Les recherches récentes portant sur des jumeaux suggèrent que la formation de la personnalité est due à 40 % à la génétique. Le reste peut être dû à une combinaison complexe liée à l'environnement d'une part, et aux pratiques culturelles qui contribuent à façonner la disposition dans laquelle nous sommes nés d'autre part.

Si les chercheurs peuvent mesurer les « cinq grands » traits de la personnalité, il est plus difficile de quantifier les expériences subjectives qui façonnent notre vie quotidienne et, peut-être, notre personnalité. Rodica Damian étudie actuellement les effets possibles des récits de vie des individus, les histoires qu'ils se racontent sur leurs propres expériences, sur les personnes qu'ils deviennent. Mais pour une grande partie du public, démêler l'écheveau complexe de la nature et de l'éducation est bien moins amusant que de taquiner nos frères et sœurs.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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