Pourquoi certaines personnes sont-elles toujours en retard ?
Multitâche, esprit libre ou planificateur trop optimiste ? Selon les spécialistes, ce sont quelques-uns des traits qui expliquent pourquoi certaines personnes sont toujours à la traîne.

Certaines personnes semblent prédisposées à être en retard. Eh bien, selon certains experts, cela pourrait bel et bien être le cas.
Si vous faites partie de ces personnes pour qui un « J’arrive dans cinq minutes » se transforme immanquablement en un retard d’un quart d’heure, vous n’êtes pas seul et vous n’êtes pas pour autant négligent ou indélicat. S’il est prudent d’affirmer que nous avons tous ou presque été en retard à un moment ou à un autre, certaines personnes courent constamment après le temps.
Cet écart ne manque pas de soulever la question suivante : pourquoi certaines personnes semblent-elles prédisposées au retard tandis que d’autres font de la ponctualité un point d’honneur ?
Voilà une question qui déroute les scientifiques du comportement depuis plusieurs décennies et qui suscite des réponses parfois contradictoires.
En 2003, une étude publiée dans la revue Human Performance ne mettait par exemple en évidence aucun lien statistique digne de ce nom entre retards chroniques et un quelconque trait de personnalité, ce qui suggérait que le manque de ponctualité ne relevait pas nécessairement d’un travers individuel.
Mais de nouvelles recherches brossent un tableau plus nuancé mêlant tendances psychologiques, horloge interne et même différences biologiques, autant de facteurs qui semblent pousser certains vers la ponctualité et d’autres vers le retard, souvent sans qu’aucun de nous n’en ait conscience.
Jeff Conte, vice-président du département de psychologie de l’Université d’État de San Diego et l’un des principaux chercheurs sur la ponctualité, étudie ces tendances depuis des années, et dans le cadre de l’étude de 2003 déjà. Il souligne le fait que bien que le retard ne se rattache pas systématiquement à un seul trait, un faisceau de preuves montre désormais qu’il « existe des différences individuelles en matière de personnalité qui se rapportent au retard chronique », un point de vue que partagent d’autres scientifiques du comportement.
De plus, comprendre ces mécanismes est plus important qu’on ne pourrait le penser, car la ponctualité joue un rôle de glue sociale ; elle témoigne du respect vis-à-vis du temps d’autrui, façonne les relations et est à la base du fonctionnement de systèmes coordonnés divers et variés allant du lieu de travail aux transports en passant par la santé.

La science du comportement a identifié cinq facteurs jouant un rôle majeur dans le retard chronique, qui vont du biais de planification au chronotype du sommeil.
« Quand vous acceptez d’être quelque part à une heure donnée, vous entrez en substance dans un contrat », explique Pauline Wallin, psychologue de Pennsylvanie qui anime des ateliers sur la procrastination et sur le retard chronique. « Mais si une personne est constamment en retard, cela crée une rupture de confiance non seulement sur le moment, mais souvent pour la durée de la relation. »
Voici ce que les recherches les plus récentes révèlent concernant les principales causes du retard chronique et comment s’adapter si l’une d’elles vous dit quelque chose.
LES OPTIMISTES : LE BIAIS DE PLANIFICATION
Les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky ont inventé l’expression « biais de planification » à la fin des années 1970 pour décrire notre tendance à sous-estimer combien de temps une tâche va prendre, même lorsque nous l’avons effectuée plusieurs fois.
« En substance, le biais de planification est la croyance selon laquelle notre plan va se dérouler parfaitement », explique Allen Bluedorn, professeur émérite distingué de management à l’Université du Missouri et auteur de plusieurs études sur la gestion du temps. « La plupart des individus manifestent ce biais et bien plus encore lorsqu’il s’agit de leurs propres plans que lorsqu’ils estiment le temps d’exécution [des tâches] des autres. »
Mais bien que la plupart des individus manifestent ce biais, certains y sont beaucoup plus disposés que d’autres et d’autres encore n’ont pas appris à le compenser.
Bien qu’aucune preuve empirique ne relie directement les personnes ayant un biais de planification au retard chronique, la recherche est claire quant à ses mécanismes sous-jacents. Le premier est intuitif : mal estimer la durée d’une tâche fait que l’on part – et arrive – plus tard que prévu. « Cela conduit à la prédiction – c’est presque un truisme – que plus les individus manifestent un biais de planification, plus ils ont de chances de sous-estimer leur heure de départ et ainsi d’être en retard », explique Allen Bluedorn.
En outre, la recherche a invariablement montré que les personnes qui sous-estiment la durée des tâches, en particulier celles que l’on juge contrôlables, ont tendance à partir du principe qu’elles peuvent personnellement accélérer chaque étape. En conséquence, elles laissent trop peu de marge pour les imprévus, ce qui augmente les erreurs d’estimation du temps, erreurs qui se traduisent souvent en retards.
Ce qu’il est possible de faire : pour contrer le biais de planification, Rashelle Isip, consultante new-yorkaise en productivité et autrice de The Order Expert’s Guide to Time Management, suggère de simplement doubler son estimation initiale du temps qu’il faudra pour se rendre quelque part. « Si vous pensez que quelque chose va prendre dix minutes, conseille-t-elle, partez sur vingt, histoire de vous laisser de la marge. »
LES ESPRITS LIBRES : FAIBLE CONSCIENCIOSITÉ
Parmi les traits de personnalité appartenant au Big Five (ouverture, conscienciosité, extraversion, amabilité, névrotisme), la conscienciosité entretient le lien le plus fort et le plus constant avec la ponctualité ; les individus ayant un score élevé sur ce trait sont plus susceptibles d’arriver à l’heure.
Cela est dû au fait que les personnes consciencieuses ont tendance à être « responsables, à avoir l’esprit orienté vers des objectifs, à être disciplinées, fiables et attentives aux détails », explique Geraldine Joaquim, psychothérapeute clinicienne basée dans le Sussex de l’Ouest, en Angleterre.
Ce trait est si important qu’une méta-analyse réalisée en 2019 l’a identifié comme le tout meilleur prédicteur non cognitif de la performance globale dans la vie.
Dawna Ballard, maîtresse de conférences en études de communication à l’Université du Texas à Austin et autrice de Time by Design, explique que les individus consciencieux développent naturellement les habitudes (préparation, structure, planification) qui font qu’elles arrivent en avance ou à l’heure. « À l’inverse, dit-elle, si votre niveau de conscienciosité est faible, vous avez du mal à gérer le temps et vos tâches. »
Cela est en partie dû au fait qu’un faible niveau de conscienciosité est associé à la désorganisation, à un moindre accomplissement effectif des actions prévues et à une moindre rigueur dans la surveillance de son temps, autant de facteurs qui interfèrent directement avec le fait de pouvoir arriver systématiquement au moment où on le souhaite.
Ce qu’il est possible de faire : pour renforcer les habitudes conscientes, Rashelle Isip suggère l’ajout de repères visibles de sorte à être plus conscient du temps, par exemple « en prenant l’habitude de porter une montre ou en plaçant des horloges analogiques dans votre environnement ». Geraldine Joaquim ajoute qu’une meilleure compréhension de la façon dont vos retards affectent autrui peut également susciter un changement dans votre motivation. « Reconnaissez que le retard peut être perçu comme un manque de respect », dit-elle.

La science du comportement a identifié cinq facteurs jouant un rôle majeur dans le retard chronique, qui vont du biais de planification au chronotype du sommeil.
LES JONGLEURS : POLYCHRONICITÉ ET MULTITÂCHE
Si vous aimez effectuer plusieurs tâches à la fois (par exemple passer de vos e-mails à la préparation d’un repas tout en envoyant des textos), il se pourrait que vous soyez naturellement polychronique, c’est-à-dire que vous préférez gérer plusieurs tâches en même temps plutôt que de les hiérarchiser.
Bien que cela puisse être bénéfique dans des contextes créatifs ou relationnels, il a été prouvé que cette tendance nuit à la ponctualité. Des recherches montrent par exemple que les personnes au trait polychronique prononcé arrivent jusqu’à quinze minutes plus tard que prévu, en moyenne, que celles ayant un style monochronique (une chose à la fois).
Jeff Conte explique le mécanisme : « Les polychroniques ont tendance à faire passer en premier les relations, la socialisation et tout ce qui survient spontanément, et à accorder une moindre priorité aux emplois du temps rigides. » Dawna Ballard ajoute que c’est cela qui détermine les comportements dans les cultures polychroniques (par exemple dans de nombreuses régions d’Amérique latine ou du Moyen-Orient) et non l’horloge. Dans ces régions, « on ne mettrait jamais abruptement fin à une conversation pour être à l’heure quelque part, explique-t-elle. Ce serait jugé discourtois et inefficace. »
Ironie du sort, dans les cultures monochroniques (États-Unis, Allemagne, Japon, voire dans les familles ou les organisations où la ponctualité est hautement valorisée), cette approche peut être interprétée à l’inverse de ce que la personne souhaite et donner d’elle l’image de quelqu’un d’indélicat ou d’irresponsable.
Ce qu’il est possible de faire : si vous vivez ou travaillez dans une culture valorisant un rapport au temps principalement centré sur la relation, davantage de flexibilité n’est pas en soi un défaut et vous n’avez pas nécessairement à « corriger » quoi que ce soit.
Mais si votre propension au retard cause des problèmes au sein de votre environnement, Jeff Conte recommande de programmer des réveils aux heures où vous devez partir étant donné que les polychroniques se laissent souvent retenir par des interactions de dernière minute et qu’une alarme est susceptible d’offrir une « porte de sortie » utile dans une conversation.
LES OISEAUX DE NUIT : CHRONOTYPE ET DÉSYNCHRONISATION CIRCADIENNE
L’horloge interne de chacun tourne à sa manière et les personnes au chronotype tardif, les oiseaux de nuit, s’endorment naturellement et se réveillent plus tard. Cela affecte souvent leur capacité à être ponctuels, car la société fonctionne en grande partie selon des horaires matinaux. Ce décalage crée ce que les chercheurs appellent une désynchronisation circadienne. « Si vous êtes un couche-tard, le monde, dans sa majorité, n’est pas conçu pour votre rythme », explique Dawna Ballard.
Non seulement il y a décalage, mais la recherche en chronobiologie montre que chez les couche-tard, la sécrétion de mélatonine se produit de manière retardée, ce qui place les premiers instants d’éveil sous le signe de l’apathie cognitive et du malaise physique.
En conséquence, « il faut plus longtemps pour se mettre en route, car les hormones qui nous propulsent vers l’éveil ne sont pas totalement présentes lorsque l’on doit se lever trop tôt par rapport à son rythme naturel », explique Geraldine Joaquim. « D’ailleurs, appuyer sur le bouton de rappel [du réveil] ne fait qu’entraîner de la précipitation, et la précipitation entraîne du retard. »
De plus, les couche-tard n’arrivent pas en retard qu’à leurs réunions matinales. La désynchronisation circadienne a également été associée à l’impulsivité et à des difficultés d’organisation qui s’étendent au reste de la journée.
Ce sont autant de raisons pour lesquelles les études montrent que les couche-tard sont plus susceptibles de manquer des échéances, de sous-estimer les temps de préparation et de connaître une plus grande variabilité de leur vigilance tout au long de la journée ; tous ces facteurs accroissent le risque de retard au-delà des seules heures du matin.
Ce qu’il est possible de faire : pour que les oiseaux de nuit puissent s’adapter, Rashelle Isip recommande de tout préparer la veille au soir (vêtements, sacs, déjeuner, clés, etc.) de sorte qu’il y ait moins de décisions à prendre le matin. Geraldine Joaquim suggère de programmer plusieurs réveils particulièrement sonores et de se réveiller soixante à quatre-vingt-dix minutes avant un départ important afin de permettre au cerveau de « démarrer » tranquillement.

La science du comportement a identifié cinq facteurs jouant un rôle majeur dans le retard chronique, qui vont du biais de planification au chronotype du sommeil.
Une mise en garde toutefois, ces stratégies sont utiles dans les périodes et les domaines où la flexibilité est impossible, comme l’année scolaire, les prises de service matinales ou les déplacements. Mais Dawna Ballard fait observer la chose suivante : « Si votre emploi du temps quotidien est le problème, la meilleure solution est de trouver un travail adapté à votre rythme circadien. »
LES DISTRAITS : FACTEURS BIOLOGIQUES ET LIÉS AU TDAH
Pour de nombreuses personnes, la racine du retard est neurobiologique plutôt que liée à la personnalité. Par exemple, les individus atteints de TDAH, d’autisme, de dyslexie et de maladies apparentées souffrent souvent de ce que les chercheurs appellent un « aveuglement temporel », l’impression que le temps passe différemment ou de manière moins prévisible que pour le reste d’entre nous.
« L’aveuglement temporel complique l’évaluation du passage du temps, explique Dawna Ballard. Et cela peut donc entraîner une perte de repères lors des transitions ou une absorption si totale dans une tâche que le temps disparaît complètement. »
La science corrobore cela ; les individus présentant un TDAH sous-estiment fréquemment les intervalles temporels et ont des difficultés à planifier et à exécuter des tâches dont l’échéance est imminente. D’autres études montrent des irrégularités similaires dans la perception du temps à travers une multitude de troubles du développement neurologique (troubles du spectre autistique, dyslexie, dyspraxie et certains troubles des fonctions exécutives), autant de facteurs pouvant perturber la perception du temps et la hiérarchisation des tâches.
Ce qu’il est possible de faire : pour compenser les retards d’origine biologique, Dawna Ballard recommande de faire appel à un partenaire, à un collègue ou à un ami pour assurer un suivi lors des transitions ou pour accomplir une tâche à vos côtés. Rashelle Isip suggère de se servir des check-lists numériques pour suivre ses engagements et intégrer le temps de déplacement directement dans votre agenda afin qu’il devienne non négociable.
REPROGRAMMER L’HORLOGE : IL N’EST JAMAIS TROP TARD POUR S’AMÉLIORER
En fin de compte, même les retardataires chroniques peuvent améliorer leur ponctualité, surtout lorsqu’ils se concentrent sur l’amélioration de la zone spécifique qui les freine, plutôt que sur la seule volonté.
Pour y parvenir – et pour s’attaquer plus généralement aux retards, il est important, selon Jeff Conte, d’effectuer des ajustements structurels, par exemple de mettre le réveil un peu plus tôt ou de s’accorder des marges plus importantes entre nos obligations.
Rashelle Isip invite à travailler sur ses forces (plutôt que de chercher à tout réformer) et à s’appuyer sur des systèmes qui nous conviennent réellement (minuteurs visuels, faire le point verbalement, préparer des objets bien à l’avance) plutôt que de s’imposer des stratégies qui ne correspondent pas à nos tendances naturelles. « Et pas besoin d’opérer des changements radicaux d’un seul coup, explique-t-elle. Le simple fait d’améliorer un aspect du processus peut produire une différence notable. »
Elle préconise également une stratégie pratique : lister chaque étape nécessaire pour se rendre quelque part (temps de trajet, trouver un endroit où se garer et le temps qu’il faut pour aller de sa voiture à l’endroit du rendez-vous) et leur attribuer des durées réalistes. Faire cela « vous donne une meilleure idée de ce qui doit se passer et quand », souligne-t-elle.
Mais toute la responsabilité des retards ne repose pas sur les retardataires. Les personnes naturellement ponctuelles peuvent également contribuer à la réduction des conflits en admettant que d’autres vivent le temps différemment et en intégrant un peu de flexibilité et de bienveillance dans ces plannings communs.
« Les traits de personnalité ne sont pas personnels, affirme Dawna Ballard. Si quelqu’un ne partage pas le trait qui fait que la ponctualité est une chose facile pour vous, le fait de comprendre ses priorités et son point de vue peut aider à réduire les frictions. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.