Cette technique ancestrale vous permettra de mémoriser (presque) tout

Plébiscitée par les champions de la mémoire, la “méthode des loci” pourrait aussi nous permettre de guérir de certains traumatismes et de préserver nos capacités cognitives.

De Erika Engelhaupt
Publication 18 juin 2025, 11:41 CEST
Illustration de la méthode des loci.

Illustration de la méthode des loci.

ILLUSTRATION DE Alanah Sarginson

À Orlando, en Floride, une douzaine de personnes âgées se rassemblent deux fois par semaine. Certaines avancent avec des déambulateurs, d'autres arrivent en fauteuil roulant. Après quelques exercices légers et des blagues un peu surannées, ils passent à l'entraînement principal : faire travailler leur mémoire. La plupart luttent contre une démence à un stade précoce, espérant conserver leurs souvenirs un peu plus longtemps.

Ils apprennent une technique ancienne appelée méthode des loci, aussi appelée palais de la mémoire ou pièce romaine, qui transforme n’importe quel espace familier en un système de stockage pour de nouvelles informations. Vous voulez vous souvenir de votre liste de courses ? Associez le lait à la photo encadrée dans votre salon. Peut-être en imaginant du lait sortir du nez des personnes photographiées ?

L’orateur romain Cicéron utilisait cette même méthode pour mémoriser ses discours, il y a deux mille ans. Aujourd’hui, les « athlètes de la mémoire » l’utilisent pour entasser des milliers de données dans leur cerveau. Et désormais, cette technique ancienne aide les patients : elle ralentit le déclin cognitif, apaise les troubles de stress post-traumatique, et favorise même la récupération après un traumatisme crânien.

Les chercheurs commencent tout juste à découvrir à quel point cette technique fonctionne de manière étonnamment complémentaire avec le mode naturel de fonctionnement du cerveau.

 

LE PALAIS DE LA MÉMOIRE

Au championnat américain de la mémoire (USA Memory Championship), des personnes apparemment ordinaires font preuve d’une mémoire extraordinaire. Les concurrents mémorisent des centaines de mots aléatoires, des dizaines de biographies d’inconnus, et l’ordre de jeux de cartes mélangées... le tout à une vitesse fulgurante. Le genre de personnes capables de réciter mille décimales de π sans hésiter.

Tous utilisent des variantes de la méthode des loci. Les bases sont simples : créer une carte mentale d’un lieu familier, puis établir des associations entre des éléments et des emplacements spécifiques le long d’un parcours. Mais est-ce facile ? Pas forcément. Le secret réside dans l’imagination : pour que ces connexions mentales soient inoubliables, plus elles sont étranges ou absurdes, mieux c’est.

La légende attribue l’invention de la méthode au poète grec Simonide de Céos, qui aurait survécu à l’effondrement d’un bâtiment au Ve siècle avant notre ère. Alors que les victimes étaient extraites des décombres, Simonide les aurait identifiées en se souvenant de l’endroit où chacune était assise autour de la table de banquet.

Mais les cultures autochtones du monde entier avaient déjà recours à des techniques similaires depuis bien plus longtemps. Les sentiers de pèlerinage des Amérindiens, les songlines des Aborigènes australiens et les routes cérémonielles des peuples du Pacifique suivent tous un schéma comparable : les anciens chantaient, dansaient ou racontaient des histoires à des endroits spécifiques, faisant en sorte que l’information se fixe en l’associant à un lieu et à un contexte.

« C’est choquant pour moi que ce soit si peu étudié, alors que c’était la forme dominante de stockage d’informations pour toute la civilisation, jusqu’à l’invention de l’imprimerie », déclare Robert Ajemian, neuroscientifique au MIT, qui a étudié comment le cerveau utilise la méthode des loci.

 

POURQUOI ÇA MARCHE

Les neurosciences commencent à enfin appréhender ce que les cultures anciennes semblaient maîtriser. La méthode des loci exploite nos forces naturelles en matière de navigation spatiale et de mémoire visuelle, des capacités que l’évolution a perfectionnées sur des milliers de générations.

Alors que presque personne n’est naturellement doué pour mémoriser des informations abstraites, comme des chiffres ou des mots, le cerveau humain est conçu pour se souvenir de ce que nous avons vu et des endroits où nous sommes allés.

COMPRENDRE : Le cerveau

Des études récentes d’imagerie cérébrale montrent que l’utilisation de la méthode des loci crée des réseaux neuronaux plus solides en reliant plusieurs parties du cerveau impliquées dans la mémoire : le cortex préfrontal, l’hippocampe et le cortex visuel.

Les adeptes du palais de la mémoire reconfigurent littéralement leur cerveau pour le rendre plus performant en matière de mémorisation. Une fois la technique maîtrisée, ils peuvent développer des systèmes complexes d’imagerie personnalisée pour représenter, par exemple, des chiffres, des cartes à jouer ou toute autre information difficile à retenir.

Malgré leur efficacité, les variantes de la méthode des loci sont peu enseignées et peu étudiées, déplore Robert Ajemian. Nous avons été trop prompts à la réduire à un simple moyen mnémotechnique, avance-t-il, au lieu de la considérer comme un véritable outil d’apprentissage, qui a permis à l’humanité de transmettre son savoir pendant des millénaires.

Mais c'est surtout pour lutter contre la démence que cette technique s'avère porteuse d'espoirs.

 

DE NOUVEAUX ESPOIRS POUR VIEILLIR EN BONNE SANTÉ

Pour Michael Dottino, la mémoire est une affaire de famille. Son père a fondé le USA Memory Championship, et Michael a formé des professionnels et des étudiants aux techniques de mémorisation. Puis le centre communautaire juif local lui a proposé un nouveau défi : créer un cours pour des personnes âgées atteintes de démence à un stade précoce.

Le programme qu’il a conçu, appelé Memory Institute, se réunit deux fois par semaine, à Orlando. Les sessions de quatre heures combinent entraînement à la mémoire, activité physique, interactions sociales et exercices cognitifs, comme l’utilisation de la méthode des loci. L’objectif, explique Michael Dottino, est de ralentir le rythme du déclin cognitif des participants.

Trois ans plus tard, il trouve les résultats du programme encourageants. Certains des premiers participants viennent toujours deux fois par semaine, fidèles à leur routine. Michael Dottino cite notamment Karen Vourvopoulos, qui a conservé l’intégralité de ses fonctions cognitives.

« Ce cours a donné une seconde jeunesse à ma mère », affirme Matina Vourvopoulos, la fille de Karen. « Elle est plus dynamique, inspirée, créative et enthousiaste à propos de la vie. J’aimerais qu’il existe un Memory Institute pour chaque senior, dans chaque communauté. »

La neuropsychologue clinicienne Erica Weber soumet des approches similaires à des essais cliniques rigoureux. Les programmes de stimulation cognitive sont rares, dit-elle, et les patients doivent souvent les financer eux-mêmes. 

Mais jusqu’à présent, les recherches sont prometteuses. Une vaste étude financée par les National Institutes of Health, aux États-Unis, a montré que la stimulation cognitive peut aider les personnes âgées en bonne santé à maintenir et améliorer leurs capacités mentales.

Et il n’est pas nécessaire d’attendre la retraite pour commencer à utiliser des stratégies comme la méthode des loci. « Essayez de pratiquer ces stratégies avant d’en ressentir le besoin », conseille Weber. Voyez cela comme un abonnement à une salle de sport cognitive : mieux vaut commencer à soulever des poids mentaux avant que les muscles ne s’affaiblissent.

 

AU-DELÀ DU VIEILLISSEMENT

Autrement dit, les personnes âgées ne sont pas les seules à pouvoir en bénéficier. Weber adapte la méthode des loci pour aider des personnes ayant subi des traumatismes crâniens dus, par exemple, à des accidents de voiture ou à des chutes, à retrouver leurs fonctions cognitives. Ce qu’elle appelle la Story Memory Technique modifiée décompose les palais de la mémoire en éléments plus simples, comme la transformation d’informations verbales en images mentales.

La diversité des patients avec lesquels elle travaille ne cesse de croître, incluant désormais des personnes atteintes de sclérose en plaques, de troubles cognitifs liés au VIH, ou de lésions de la moelle épinière affectant le fonctionnement du cerveau.

Mais voici peut-être le plus fascinant : des spécialistes en santé mentale explorent l’usage du palais de la mémoire comme outil thérapeutique. Les personnes souffrant de dépression ou de stress post-traumatique peuvent créer des palais remplis de souvenirs positifs, des refuges mentaux à revisiter dans les moments difficiles.

Le concept semble intuitif : si l’on peut entraîner son cerveau à stocker et retrouver efficacement n’importe quelle information grâce à la mémoire spatiale, pourquoi ne pas aussi l’entraîner à accéder à des états positifs et apaisants quand on en a le plus besoin ?

À l’ère des smartphones, où nous avons délégué une grande partie de notre mémoire à Google, au GPS voire à l'intelligence artificielle, ces mnémoniques ancestraux nous rappellent de quoi notre cerveau est encore capable. Comme le souligne Robert Ajemian, pratiquer ces techniques, c’est « un exercice cognitif fondamental, au même titre que l’aérobic est un exercice physique fondamental. »

Nos ancêtres avaient en mémoire des bibliothèques entières. Avec un peu d’entraînement, nous pouvons au moins nous souvenir d’acheter le lait.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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