Le COVID a testé nos limites. Serons-nous prêts pour la prochaine pandémie ?

Un expert en maladies infectieuses dresse le bilan de la pandémie de COVID-19. Qu’avons-nous bien fait ? Que devons-nous corriger ? Comment nous préparer à de futures épidémies ?

De Paul A. Offit
Publication 8 janv. 2024, 14:58 CET
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Un homme avance prudemment en funambule sur cette illustration d'Andrea Ucini.

ILLUSTRATION DE ANDREA UCINI

Dans Le Conte de deux cités, un roman de Charles Dickens publié en 1859 et qui se déroule lors de la Révolution française, on peut lire : « C’était la meilleure des époques, c’était la pire des époques, c’était l’âge de la sagesse, c’était l’âge de la folie ». Ainsi pourrait-on parler de la pandémie de COVID-19.

D’un côté, la science a sauvé des vies. Moins d’un an après l’identification du virus, des vaccins avaient déjà été créés et testés. Ils avaient ensuite trouvé comment les produire, les distribuer et les administrer en masse et sans frais à la population, et ce sans la moindre infrastructure préexistante pour les aider dans cette opération. Les vaccins contre le COVID auraient sauvé au moins 3,2 millions de vies rien qu’aux États-Unis. Pareil constat laisse à penser que nous serons capables de réagir rapidement lors de la prochaine pandémie. 

D’un autre, les autorités sanitaires ont involontairement viré vers une politique libertaire. Aux États-Unis, une trentaine d’États ont adopté des lois qui interdisent aux autorités sanitaires d’imposer des mesures de protection sans l’autorisation des législateurs de l’État concerné. « Un jour, nous connaîtrons une très grave crise mondiale et une pandémie bien pire que le COVID, et alors que nous nous tournerons vers le gouvernement pour nous protéger, il aura les mains liées et les yeux bandés », a déclaré Lawrence Gostin, directeur du O’Neill Institute for National and Global Health Law de l’université de Georgetown, au Washington Post. « Nous mourrons selon nos droits — nous voulons la liberté, mais pas la protection. »

Comment en sommes-nous arrivés là ? En 2020, j’étais médecin traitant à la division des maladies infectieuses de l’hôpital pour enfants de Philadelphie. Puis Francis Collins, médecin et directeur des Instituts nationaux de la santé des États-Unis, m’a demandé de faire partie d’un groupe qui conseillait les entreprises pharmaceutiques sur la meilleure façon de concevoir et de tester les vaccins contre le COVID. Depuis 2017, je suis également membre votant du comité consultatif sur les vaccins de l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux.

En raison de mon rôle dans ces organes, on m’a souvent demandé d’intervenir dans des journaux télévisés et dans des émissions matinales pour expliquer l’évolution de la situation en temps réel. J’ai souvent été cité dans les médias et, comme beaucoup de personnes dans ma position, je me suis senti investi d’une énorme responsabilité : celle de bien faire. Cependant, à mesure que progressait la pandémie, nous avons constaté que nous n’avions pas toujours raison, car nos décisions étaient souvent fondées sur des données incomplètes. Nous donnions par moment des recommandations contradictoires et, de ce fait, de nombreux Américains ont perdu confiance dans les institutions et dans les personnes chargées de protéger la population.

Peut-être néanmoins que notre expérience du SARS-CoV-2, ce virus responsable de la mort de près de sept millions de personnes dans le monde, peut nous préparer à mieux faire face à la prochaine pandémie. Nous devrions tenir compte de ces leçons.

 

IL EST DANS L’INTÉRÊT DE CHACUN DE VACCINER LA POPULATION MONDIALE

Les États-Unis ont la capacité technologique et les ressources nécessaires pour vacciner l’intégralité de la population mondiale. Et s’ils le faisaient, ce ne serait pas nécessairement par pur altruisme. Le SARS-CoV-2 continuera à circuler et à se propager sous forme de divers variants pendant des dizaines d’années. Fin 2023, près d’un tiers de la population mondiale n’avait pas reçu une seule dose de vaccin contre le COVID. Or si un pays est exposé à un risque d’épidémie, nous courons tous exactement le même risque. Personne n’est en sécurité tant que tout le monde ne l’est pas.

 

LE PROCESSUS SCIENTIFIQUE ÉVOLUE PAR DÉFINITION

Les recommandations relatives au traitement et à la prévention du COVID ont évolué au fur et à mesure que nous avons appris à mieux connaître le mode de transmission du virus et quelles personnes y étaient le plus exposées. Au début de la pandémie, on disait aux gens de se laver les mains très régulièrement, de nettoyer les surfaces ainsi que les articles achetés dans le commerce. Par la suite, il est clairement apparu que le port du masque était indispensable et que le lavage des mains et le ménage étaient de moindre importance. Les scientifiques, les cliniciens et les autorités sanitaires devraient davantage insister sur le fait que toutes les recommandations sont basées sur les connaissances du moment et qu’elles sont donc susceptibles de changer. Autrement, la fluidité du discours scientifique restera déconcertante.

 

LES CAMPAGNES DE TERRAIN INSTAURENT LA CONFIANCE

S’il est pratiquement impossible de contrer la désinformation à l’échelle d’un pays ou d’un État, on peut toujours le faire localement. Ala Stanford nous a montré comment faire lors de la pandémie. Elle et son consortium Black Doctors COVID-19 se sont rendus au domicile d’habitants du nord de Philadelphie pour leur communiquer des informations fiables et cohérentes. Dans une communauté réfractaire à la vaccination, elle et ses collègues ont rassuré et sensibilisé plus de 50 000 personnes afin qu’elles se fassent vacciner et qu’elles fassent vacciner leurs enfants.

 

EMPÊCHONS LA PROPAGATION DE LA DÉSINFORMATION

Bon courage sur ce point. C’est comme essayer de gérer les inondations provoquées par l’ouragan Katrina avec un gobelet en plastique. Au début de la crise sanitaire, les principaux responsables de la santé publique et du gouvernement ont affirmé que le COVID était d’origine humaine ; une première dans l’histoire du monde. Si l’on en croit Carl Sagan, qui soutient que « des affirmations extraordinaires requièrent des preuves extraordinaires », il s’agissait alors d’une affirmation extraordinaire qui n’était étayée par aucune preuve directe. Seulement par des conspirations et des insinuations.

 

DONNONS LA PRIORITÉ AUX PLUS VULNÉRABLES

Tout le monde, à tout âge, est susceptible de contracter le COVID, mais tout le monde ne court pas le même risque de développer une forme grave de la maladie. Le taux de mortalité chez les personnes âgées était mille fois supérieur à celui des enfants ; à certains moments, jusqu’à 40 % des décès dus au COVID aux États-Unis sont survenus dans des maisons de retraite. De même, des études effectuées sur les doses de rappel ont démontré que les personnes les plus susceptibles d’en tirer profit étaient les personnes âgées de plus de 75 ans, les personnes souffrant de multiples problèmes de santé, les personnes immunodéprimées et les femmes enceintes. Tant que ce virus circulera, la protection de ces quatre groupes devrait rester une priorité. 

 

LE REMÈDE NE DOIT PAS ÊTRE PIRE QUE LE MAL

Aux prémices de la pandémie, l’unique stratégie pour lutter contre le COVID était de limiter les contacts interhumains. Nous avons fermé les entreprises et les écoles. Personne n’a payé un plus lourd tribut à cette approche que les enfants, qui ont gravement souffert du manque d’éducation et de socialisation. Les effets de ces déficits se feront sans doute sentir pendant des années. Nous aurions dû porter le même intérêt au retour à l’école de nos enfants qu’à notre retour au travail. En effet, au début de la crise, l’Académie américaine de pédiatrie a vivement préconisé un retour aux cours en présentiel, en détaillant les étapes et les considérations à prendre en compte. Comme nous avons pu le constater, c’était probablement le meilleur conseil à donner.

 

TRAVAILLER ENSEMBLE NOUS REND PLUS FORTS

Le point le plus lumineux de la pandémie a sans doute été l’Opération Warp Speed. Onze mois seulement après l’isolement du SARS-CoV-2, deux vaccins avaient été testés dans le cadre d’essais cliniques de grande envergure et s’étaient révélés à la fois efficaces et sûrs. 

Cet essai est adapté du livre de Paul A. Offit intitulé Tell Me When It’s Over : An Insider's Guide to Deciphering COVID Myths and Navigating Our Post-Pandemic World, publié par National Geographic. Ce manuel de référence sur la nouvelle normalité est en vente sur internet.

Par la suite, la Maison Blanche s’était associée avec succès aux pharmacies et aux hôpitaux pour distribuer et administrer les vaccins, ainsi que pour fournir des kits de test et des antiviraux. Cet effort remarquable augure bien de notre capacité à créer et à distribuer des vaccins contre les futures épidémies d’origine virale. 

Le 20 janvier 2020, le premier cas de SRAS-CoV-2 était confirmé aux États-Unis. Depuis, plus d’un million d’Américains ont perdu la vie à cause de ce virus. Grâce à une nouvelle technologie, nous avons créé des vaccins sûrs et efficaces en un temps record. Les infirmiers et les médecins ont fait des heures supplémentaires, même sans équipement de protection individuelle approprié. Tout le monde était sur le pont. Une fois de plus, nous avons réagi à une tragédie nationale. Nous nous considérions comme faisant partie d’un tout.

C’est en nous. Nous pouvons le faire. Lorsque nous nous considérons comme faisant partie de quelque chose de plus grand, nous puisons dans les meilleurs aspects de notre nature.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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