Vaccin contre le VIH : nouvel espoir après quarante ans de recherche

Même si la réalité est bien plus nuancée que ne l’ont récemment laissé entendre les médias, une stratégie révolutionnaire propose enfin de nouveaux outils pour combattre ce virus dévastateur.

De Emily Sohn
Publication 6 mai 2021, 10:16 CEST

Modélisation numérique de la protéine immuno-stimulante eOD-GT8.

Avec l'aimable autorisation de Joseph Jardine, Sergey Menis, WILLIAM SCHIEF DES INSTITUTS SCRIPPS REASEARCH ET IAVI

Quand le virologue José Esparza a commencé à collaborer avec l’Organisation mondiale de la santé pour lutter contre l’épidémie de SIDA dans les années 1980, lui comme ses collègues étaient convaincus que la solution devait passer par un vaccin ; et que celui-ci arriverait rapidement.

Leur optimisme était fondé sur une connaissance solide : les chercheurs savaient que les humains produisent des anticorps contre le virus d’immunodéficience humaine à l’origine du SIDA. Et stimuler le corps pour qu’il produise des anticorps était déjà une méthode répandue et efficace ayant permis de réduire drastiquement les cas de rougeole, de variole ainsi que d’autres maladies. S’en prendre au SIDA semblait tout aussi faisable.

« Nous pensions que ce serait du gâteau », concède José Esparza, anciennement conseiller pour la fondation Bill-et-Melinda-Gates et désormais affilié à l’école de médecine de l’Université du Maryland. « Nous ne savions rien de la complexité du VIH. » Plus de trois décennies plus tard, il n’existe toujours aucun candidat sérieux dans la recherche d’un vaccin contre le VIH, alors même que la communauté scientifique a réussi à produire de nombreux vaccins efficaces contre le SARS-CoV-2, virus à l’origine de la COVID-19, moins d’un an après son apparition.

Mais des résultats récents suscitent de nouveaux espoirs. Lors d’une conférence internationale sur le SIDA qui s’est tenue en février, des chercheurs travaillant pour Scripps Research et pour IAVI, initiative à but non lucratif pour la recherche d’un vaccin, ont annoncé des résultats d’analyses de sang prometteurs lors de la première phase de l’essai clinique d’une nouvelle méthode de vaccination. Les résultats, qui n’ont pas encore été publiés, ont retenu l’attention du public comme seul cela est possible à l’ère des réseaux sociaux. « C’EST ÉNORME », a tweeté @AugustusRotter. Son tweet a été liké et retweeté plusieurs milliers de fois début avril.

Dans les faits, cela est bien plus nuancé que ne le laisse penser toute cette agitation, d’après William Schief, immunologiste chez Scripps et superviseur de la conception des vaccins au Neutralizaing Antibody Center d’IAVI. Selon lui, même si la réaction immunitaire détectée par son équipe est une démonstration de faisabilité importante, il faudra encore des années au secteur pour produire des doses pouvant réduire les risques d’être infecté par le VIH. Et quand bien même, un éventuel vaccin impliquerait de recevoir plusieurs doses, ce qui n’aiderait pas à convaincre.

« Du point de vue de la science, c’est un joli concept » confie José Esparza. « Dans la pratique, ce ne sera pas facile à mettre en œuvre. »

Pourtant, après des décennies d’échec, ces résultats sont une bonne nouvelle, car il existe des liens fascinants avec l’effort de vaccination mené contre la COVID-19 qui pourraient permettre d’accélérer la recherche d’un vaccin contre le VIH.

« C’est en quelque sorte un petit pas vers un vaccin contre le VIH, mais c’est aussi un bond de géant », qui indique une voie viable à suivre, explique William Schief. « Et d’ailleurs, dans ce cas précis, cela a extrêmement bien fonctionné ».

 

TROIS VAGUES D'ESPOIR

La recherche d’un vaccin contre le VIH a démarré en 1984, juste après que des scientifiques ont isolé le virus et confirmé qu’il était bien à l’origine du SIDA. Depuis lors, cette quête scientifique a connu trois vagues de recherches, raconte José Esparza, qui a publié un compte-rendu historique de la recherche d’un vaccin contre le VIH en 2013.

La première vague s’est concentrée sur l’idée la plus évidente : essayer de stimuler le système immunitaire pour qu’il produise ce qu’on appelle des anticorps neutralisants, qui désactivent des virus spécifiques. C’est comme cela que fonctionnent de nombreux autres vaccins, notamment certains utilisés contre la COVID-19. Pendant des années, les chercheurs ont travaillé à identifier les anticorps produits en réaction à une infection par le VIH, puis à développer des vaccins qui déclencheraient la production d’anticorps similaires.

Mais le VIH s’est avéré être un ennemi hors d’atteinte. Si les anticorps ciblent bien des protéines précises à la surface d’un virus, le VIH mute rapidement et donne des variants que les anticorps ne sont pas capables de reconnaître, ce qui signifie qu’il conserve toujours une longueur d’avance sur le système immunitaire. William Schief fait remarquer que dans une expérience devenue classique, les chercheurs ont testé de manière répétée le sang de personnes séropositives et découvert que les anticorps que produisaient leur système immunitaire avaient toujours trois à six mois de retard sur le virus.

« Le VIH est une cible scientifique bien plus coriace [que le SARS-CoV-2] », dit Larry Corey, expert en virologie, en immunologie et en mise au point de vaccins au centre de recherche contre le cancer Fred-Hutchinson de Seattle et chercheur principal du réseau d’essais vaccinaux contre le VIH (HVTN). « 98 % des êtres humains se remettent du SARS-CoV-2, mais nous sommes 0 sur 78 millions à avoir guéri tout seuls du VIH. »

À l’aube des années 2000, les chercheurs étaient en train de mener une seconde vague de recherche de vaccins contre le VIH, conçus eux dans l’idée de cibler les lymphocytes T du corps humain, ces vaillantes cellules « tueuses », au lieu d’essayer de stimuler les anticorps. L’immunité à long terme dépend de deux groupes de cellules principaux : les lymphocytes B et les lymphocytes T. Tous deux permettent la production d’anticorps, mais les lymphocytes T éliminent en plus les cellules infectées. L’idée derrière les vaccins à lymphocytes T était de stimuler des cellules qui reconnaissent des protéines présentes à l’intérieur du virus.

En 2007, cette idée a non seulement été réfutée dans une étude randomisée en double aveugle de phase 2 (STEP), mais il semble qu’elle augmentait en fait le risque d’être infecté par le VIH. « L’essai clinique a échoué lamentablement », concède José Esparza.

C’est loin d’être la seule tentative de créer un vaccin qui soit tombée à l’eau. Après des décennies d’essais cliniques, seul un a montré un degré relatif d’efficacité dans le monde réel.

En 2009, une combinaison de deux vaccins a vu le jour en Thaïlande grâce à la méthode de production d’anticorps de la première vague, et celle-ci a permis de réduire le taux d’infection par le VIH de 31 % ; pas assez pour obtenir une autorisation de mise sur le marché.

 

CIBLER LES LYMPHOCYTES B NAÏFS

La troisième vague de recherche, qui a lieu en ce moment, a débuté à la fin des années 2000 quand des chercheurs se sont aperçus qu’une petite minorité de personnes séropositives produisait des anticorps particulièrement puissants capables de neutraliser plusieurs souches de VIH à la fois. À ce jour, les scientifiques ont identifié des dizaines de ces anticorps neutralisants à large spectre, qui ciblent des parties de la surface virale (un peu comme avec les protéines à pics du SARS-CoV-2) qui restent les mêmes de souche en souche.

Les personnes qui produisent ces protéines ne peuvent toutefois pas combattre le VIH, car leur corps ne fabrique ces anticorps qu’après avoir été infecté et le virus continue à muter pendant ce temps-là, affirme William Schief. Mais cette découverte a engendré une nouvelle idée : un vaccin efficace pourrait parvenir à avoir une longueur d’avance sur le virus en ciblant les lymphocytes B dits naïfs (ou cellules précurseurs), qui circulent dans notre sang, toujours selon William Schief. Si un vaccin parvenait à forcer les lymphocytes B naïfs à acquérir des mutations capables d’en faire des cellules productrices d’anticorps neutralisants à large spectre avant d’être infectées par le VIH, le corps pourrait éventuellement être en mesure de se défendre dès son premier contact avec le virus.

En 2010, William Schief et son équipe ont commencé à travailler avec une classe d’anticorps neutralisants à large spectre, les VRC01, première à être découverte par le NIH Vaccine Research Center. Ils ont commencé par mettre au point une nanoparticule protéinique capable selon eux de se lier aux lymphocytes B naïfs dans des échantillons de sang humain. Dans des expériences réalisées sur des souris, les nanoparticules ont été en mesure d’activer ces cellules et de les faire se multiplier et muter vers la production d’anticorps similaires au VRC01. La nouvelle étude visait à savoir si la même chose pouvait se répéter chez l’humain.

Et c’est un grand « si ». Selon William Schief, seul un lymphocyte B naïf sur 300 000 environ a le potentiel de devenir une cellule productrice d’anticorps de type VRC01. Mais lors d’une analyse de sang poussée, l’équipe a découvert que 35 des 36 participants ayant reçu un vaccin (une « nanoparticule protéinique obtenue par génie génétique ») produisaient en réaction les lymphocytes B voulus.

Ces découvertes, qui sont encore en cours d’examen et n’ont pas été soumises à des revues, sont encore loin de montrer un quelconque effet protecteur contre le VIH, prévient William Schief, même si une flopée d’internautes a pu donner le sentiment qu’un vaccin contre le VIH était apparu tout à coup comme par enchantement.

« Quelqu’un a tweeté la semaine dernièr, disant que nos essais produisaient des réactions pouvant protéger à 97 % les récipiendaires d’un vaccin contre le VIH » dit-il. « C’est complètement faux. »

Selon Schief, les gens pourraient finir par devoir se faire vacciner plusieurs fois de suite sur une période allant de quelques semaines à quelques années, et commencer par une injection qui accomplirait ce que ces essais ont fait : c’est-à-dire interagir avec les bons lymphocytes B naïfs afin de lancer le processus. Des injections subséquentes serviraient à guider ces derniers pour qu’ils produisent des anticorps neutralisants à large spectre complètement matures.

« On essaie de se mettre à la place du conducteur avec le système immunitaire et à l’éduquer pas à pas avec un vaccin », dit William Schief. Cette idée pourrait un jour mener à des vaccins contre Zika, contre l’hépatite C, contre de nouveaux coronavirus et d’autres maladies, et à un vaccin universel contre la grippe.

Ce travail est aussi une indication importante que les scientifiques se trouvent sur la bonne voie, explique Larry Corey, qui corrobore une étude récente ayant mis au jour que l’inoculation d’anticorps neutralisants à large spectre permet de prévenir le VIH.

« L’avancée révolutionnaire– et je pèse mes mots en disant « révolutionnaire » – avec l’étude de Scripps, c’est que nous sommes capables d’inoculer un antigène qui fait grimper la prévalence de ces cellules précurseurs chez les gens, et elles ne disparaissent pas, annonce Larry Corey. Nous avons fait là une découverte capitale en vue de la première étape [des essais vaccinaux.]»

 

LE VACCIN CONTRE LA COVID-19

En plus des défis scientifiques qui la caractérise, la recherche du vaccin contre le VIH est depuis longtemps entravée par la perte d’un certain sentiment d’urgence. Tandis que la volonté publique et politique, appuyée par des investissements majeurs du secteur privé, a fait avancer la cause du vaccin contre la COVID-19 à une vitesse record, le VIH est une maladie qui affecte de manière disproportionnée des groupes marginalisés, souligne José Esparza, et les entreprises pharmaceutiques n’ont pas voulu investir dans des essais cliniques coûteux tant que la communauté scientifique n’avait pas fourni plus de preuves tangibles.

« Si la société avait vraiment eu à cœur la production d’un vaccin contre le VIH, nous aurions pu faire plusieurs études d’efficacité en parallèle, comme nous l’avons fait pour la COVID » explique José Esparza. « Cher, oui. Mais le coût de l’épidémie de VIH est gigantesque. »

Selon une étude, les dépenses de santé liées au VIH/SIDA ont atteint plus de 467 milliards d’euros dans 188 pays entre 2000 et 2015.

Alors que le monde voit affluer les vaccins contre la COVID-19 avec une rapidité jamais vue, on peut espérer que cet enthousiasme générera une dynamique pour soutenir les efforts à long terme qui seront nécessaires pour vaincre le VIH.

Les deux sont déjà liés. D’après Larry Corey, l’effort de développement d’un vaccin contre le coronavirus a profité des infrastructures cliniques, laborantines et bio-statistiques créées par le HIV Vaccine Trials Network. Et William Schief ajoute que pendant des années, son groupe a collaboré avec Moderna pour tester la capacité de distribution d’ARNm de leurs protéines sur des modèles animaux. Ils ont prévu de collaborer de nouveau afin de proposer rapidement des vaccins candidats qui puissent être testés lors d’essais cliniques, sur des humains cette fois.

Étant donné l’enthousiasme généré par les vaccins contre la COVID-19 et par la nouvelle technologie de l’ARN messager, capable de s’adapter rapidement, ce pourrait bien être le moment de renouveler l’intérêt porté à la recherche d’un vaccin contre le VIH, qui nécessitera aussi la participation du public.

« Si nous trouvons un vaccin contre le VIH, dit William Schief, je pense que le fait que le monde ait déjà connu une campagne de vaccination contre la COVID nous permettra de déployer nos efforts plus facilement. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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