Mon père, un documentaire bouleversant sur la vie et la disparition d’Alex Lowe

En 2016, le fils de l’alpiniste Alex Lowe est retourné là où son père avait disparu. En résulte un documentaire sur le deuil, la famille et l’espoir.

De Simon Ingram
Publication 17 févr. 2022, 16:15 CET
Alex Lowe (à gauche) et Conrad Anker (à droite) - au sommet du Mont Evans, dans ...

Alex Lowe (à gauche) et Conrad Anker (à droite) - au sommet du Mont Evans, dans le Colorado. Ces deux meilleurs amis ont chacun trouvé la rare capacité de suivre l'autre en montagne. 

PHOTOGRAPHIE DE Gordon Wiltsie

Les récits des exploits périlleux d’alpinistes sur les plus hauts sommets du monde se comptent par milliers. Mais souvent, il manque une partie de l’histoire, car chaque seconde que passent ces alpinistes dans les environnements les plus extrêmes de la planète est une seconde passée loin de leurs proches, conjoints, parents ou enfants. Pour eux, les secondes se transforment en mois, tandis que les êtres qui leur sont chers évoluent dans un environnement qui veut leur mort. 

Mon père est un film qui s’intéresse aux familles confrontées à un des silence les plus cruels. Des bribes de cette histoire sont bien connues dans le monde de l’alpinisme, notamment celle du charismatique et talentueux Alex Lowe, dont les expéditions au début des années 1990 ont inspiré une nouvelle génération d’alpinistes rapides et légers. En 1999, alors que Lowe et l’un des membres de l’expédition, Dave Bridges, effectuent une mission de reconnaissance au-dessus du camp de base pour descendre en ski le Shishapangma, sommet culminant à 8 027 mètres, le manteau neigeux s’est écroulé et a déclenché une avalanche massive. Les deux hommes ont été ensevelis et portés disparus.

Ce drame a touché de plein fouet le meilleur ami et partenaire d’escalade d’Alex Lowe, Conrad Anker, qui a survécu à l’avalanche, et la famille de l’alpiniste disparu : son épouse Jennifer et leurs trois jeunes garçons, Max, Sam et Isaac.

Si Mon père dresse le portrait révélateur d’un aventurier, le documentaire s’intéresse aussi à ce qui arrive à une famille brisée. 

Max, le réalisateur de Mon père et fils aîné du célèbre alpiniste, n’avait que 10 ans lorsqu’Alex a disparu sous l’avalanche. Il est aussi le seul de la fratrie à se souvenir distinctement de leur père ou à partager un lien avec lui : ils ont même grimpé ensemble.

« Pour les personnes qui les ont vécues, ce sont des choses qui ne vous quittent pas. Elles ont un impact sur la personne que vous êtes pour le reste de votre vie, et même sur vos enfants et leurs enfants », a confié Max Lowe lors d’un entretien sur Zoom avec l’édition britannique de National Geographic. « Un traumatisme se transmet au fil des générations s’il est ignoré… Et j’ai ressenti le besoin d’en parler. »

 

UNE LUMIÈRE S’ÉTEINT, UNE AUTRE S’ALLUME

À l’occasion de Noël 1999, soit deux mois après l’avalanche qui a tué son meilleur ami, Conrad Anker s’est rendu au domicile des Lowe dans le Montana et a fait part de son intention d’accompagner la famille à Disneyland, parce que c’était « ce qu’Alex aurait voulu ».

Traumatisé et rongé par la culpabilité du survivant, il était déterminé à aider la famille de son ami. Et il n’a pas tardé à en devenir un membre à part entière : Conrad et Jennifer, la veuve d’Alex, sont tombés amoureux et se sont mariés.

Comme le souligne Max, les souvenirs ont été enfouis pendant longtemps et la vie a suivi son cours, à tel point que la plupart des échanges filmés sont parmi les premiers où la famille évoque aussi ouvertement le sujet. 

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    Alex Lowe a dirigé l'ascension de la paroi nord du Great Sail Peak, sur l'île de Baffin, lors d'une expédition National Geographic en 1998.

    PHOTOGRAPHIE DE Gordon Wiltsie, National Geographic Image Collection

    « J’ai essayé de comprendre ça par moi-même et j’ai pris conscience de la puissance que cette histoire pourrait avoir, au-delà de notre famille », poursuit-il. « J’ai donc commencé à interroger ma famille à ce sujet. C’était effrayant, car lorsque vous vous confiez à un proche, vous ne savez pas vraiment ce qui va en sortir. »

    Des détails, subtils, révèlent comment les Lowe ont tourné la page, chacun à leur façon. Ainsi, si Max et ses frères appellent leur père « Alex », ces derniers ont choisi de porter le nom de famille composé Lowe-Anker, tandis que l’aîné a refusé. « Une lumière s’éteint, une autre s’allume » ; et Anker a rapidement été accepté au sein de la famille, ce qui a suscité de nombreuses interrogations pour Max à l’âge adulte sur le fardeau que la disparition de son père avait eu sur ses épaules d’enfant de 10 ans.

    « Quand Alex est décédé, ma mère a remarqué que j’avais ressenti le besoin d’être le petit homme de la famille et c’est resté », avoue-t-il. « Enfant, vous croyez que tout ira bien, que vos parents seront toujours là. Sa mort a fait voler en éclats la confiance que j’avais étant jeune. De nombreux enfants sont confrontés à cette perte d’une manière ou d’une autre, que ce soit en perdant un de leurs parents ou parce qu’ils ne sont pas là pour eux ».

    Et puis, en 2016, le traumatisme a ressurgi. Un appel du Tibet, porteur d’une impossible nouvelle : après 17 ans emprisonné dans la glace, le corps d’Alex Lowe avait été retrouvé.

     

    RETOUR SUR LE SHISHAPANGMA

    « Ça a réveillé en moi toutes ces émotions que j’avais en quelque sorte enfouies lorsque j’étais enfant », se rappelle Max. « J’étais comme emprisonné dans la glace avec lui. J’ai refoulé beaucoup de souvenirs et de sentiments, probablement parce j’avais du mal à y faire face ».

    Ce qu’il avait refoulé en 1999 a ressurgi avec cet appel de mai 2016. « C’était comme si je sortais d’un tunnel et que je retrouvais ce chemin que j’avais perdu enfant. Je l’ai à nouveau emprunté et j’ai essayé de comprendre ce traumatisme et ce deuil d’un autre œil ».

    La découverte des corps d’Alex Lowe et de Dave Bridges affleurant le glacier de Shishapangma par les alpinistes David Gottler et Ueli Steck (qui a trouvé la mort un an plus tard après une chute de 1 000 mètres sur la montagne Nuptse) a été pour Max l’élément déclencheur du début de la réalisation du film. 

    « Je n’aurais jamais imaginé retourner au Tibet », se souvient-il. « Avec mon frère Sam, nous avons demandé à la famille si elle était d’accord pour que nous filmions [ça]. À l’époque, on ne savait pas ce que ces images deviendraient. [Mais] j’ai commencé à réfléchir de plus en plus à l’histoire qui pourrait en ressortir si nous nous mettions à parler de notre expérience, de la vie et de la mort d’Alex, et de notre famille. »

    Max Lowe en 1999, après une ascension avec son père. A droite : Max Lowe aujourd'hui, réalisateur du nouveau film Mon Père.  

    PHOTOGRAPHIE DE ALEX LOWE (GAUCHE) MAX LOWE (DROITE)

    La vie d’Alex Lowe était partagée entre sa passion pour l’aventure et l’amour évident qu’il avait pour sa famille. Des images d’archive montrent Lowe émettant l’hypothèse que « quelque chose au plus profond de [lui-même] [était] attiré par le risque ». Il était considéré par ses pairs comme le plus grand alpiniste de son époque, doté d’une résistance incroyable aux épreuves. Surnommé « le poumon avec des jambes », il a secouru à haute altitude, tout seul, plusieurs grimpeurs espagnols souffrant d’engelures sur le Denali en Alaska, allant jusqu’à en porter un sur son dos.

    Assez paradoxalement au vu de ce qui allait suivre, Lowe avait avoué envier Anker pour sa vie d’aventurier spontané sans famille. Le partenariat de Lowe avec Anker était basé sur le besoin des deux hommes à faire de l’escalade, leurs capacités physiques équivalentes et un don pour se pousser l’un l’autre. Il était toujours question de savoir « quelle voie nous pouvions grimper et à quelle vitesse, mais aussi jusqu’où nous pouvions repousser les limites », explique Conrad Anker dans Mon père.

    Aujourd’hui, Anker jouit d’une aussi grande notoriété : il a réalisé l’ascension de l’Everest à trois reprises et a découvert en 1999 le corps emprisonné dans la glace du grimpeur britannique George Mallory en haute altitude sur la face nord de la montagne, quelques mois seulement avant l’avalanche sur le Shishapangma qui a tué Lowe. Le danger de mort a toujours fait, et fait encore partie de sa vie. Il est alors naturel de se demander si Max et sa famille craignaient que l’histoire ne se répète lorsque Conrad a épousé la femme d’Alex Lowe et a adopté leurs trois garçons.

    « Oui et non », confie Max. « J’ai compris pourquoi Alex et Conrad recherchaient ce sentiment. Et [après l’avalanche qui a tué Alex], j’ai compris qu’il pouvait mourir. Ça m’a effrayé. Mais comme je l’avais dit à Alex avant son départ pour le Shishapangma en 1999, je comprenais pourquoi il devait partir. Et que c’était une décision que lui seul pouvait prendre ».

     

    TROUVER LE JUSTE ÉQUILIBRE

    La question du compromis entre ce que recherchait Alex Lowe et ce qu’il a laissé derrière lui, et ce que son fils a trouvé sur son père décédé est implicitement abordée dans Mon père.

    « Je n’ai pas fait ce film pour accuser ou pour donner l’impression à quelqu’un qu’il avait pris la mauvaise décision. Si mes parents sont mes héros, c’est en raison de la vie qu’ils ont menée », explique Max. « Alex se rendait dans ces lieux incroyables et m’envoyait des cartes postales de Katmandou et d’autres régions du monde sorties tout droit d’un conte de fées. Avoir un père qui faisait ces choses dingues, ça a eu un impact sur moi et sur la personne que je suis aujourd’hui. Ça m’a permis de croire au plus profond de moi-même que je pourrais trouver quelque chose pour moi-même et que ce sera ma vie ».

    Il ajoute : « Si vous avez la chance de l’avoir trouvé, vous devrez sacrifier quelque chose pour aller jusqu’au bout. Nous devons tous trouver cet équilibre entre l’amour égoïste et l’amour désintéressé que l’on a pour les gens qui nous soutiennent ».

    Cet entretien a été édité dans un souci de concision et de clarté. Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.co.uk en langue anglaise.

    Mon père est disponible sur Disney+. Abonnement requis. Voir conditions sur DisneyPlus.com 

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