Voyage : découvrir le monde quand on est Noir

"En Chine et en Inde, mes cheveux et ma peau ont déjà poussé de nombreux curieux à s'arrêter."

De Heather Greenwood Davis
Publication 6 sept. 2019, 11:07 CEST
Un jeune touriste américain issu de la 11e génération de descendance des esclaves scrute l'horizon depuis ...
Un jeune touriste américain issu de la 11e génération de descendance des esclaves scrute l'horizon depuis Fort William au Ghana, l'un des points de départ de la traite négrière transatlantique.
PHOTOGRAPHIE DE Jane Hahn

Chaque année, des centaines d'Afro-Américains prennent un vol à destination du Ghana. Pour bon nombre d'entre eux, ce voyage est le premier sur le continent africain. Ils répondront à un appel lancé par ce pays d'Afrique de l'Ouest les incitant à revenir fouler la terre de leurs ancêtres. Le premier navire à transporter des esclaves africains vers ce qui allait plus tard devenir les États-Unis d'Amérique aurait vraisemblablement démarré du Ghana.

Quatre cents ans plus tard, les Afro-Américains ne demandent qu'une chose : comprendre ce qu'ils ont laissé derrière. Le Ghana a déclaré l'année 2019 comme étant « The Year of Return » (en français, l'année du retour, ndlr). (À lire : L'épave du dernier négrier américain vient d'être découverte.)

Je ne suis pas Afro-Américaine mais en tant que femme noire vivant en Amérique du Nord, je comprends que l'invitation puisse séduire. Ce n'est pas rien de trouver un lieu dans ce monde qui souhaite raconter votre histoire.

Mon histoire a toujours été influencée par mes origines et le voyage. Mes parents ont émigré de Jamaïque au Canada dans les années 1970. Mon enfance était ponctuée de voyages annuels dans divers endroits du Canada, des États-Unis et des Caraïbes. À chaque excursion au-delà de notre quartier, mes parents ramenaient à la maison, intentionnellement ou non, l'idée qu'il m'appartenait d'explorer le monde. Mes souvenirs de voyage se concentraient sur ce que je voyais et non pas sur la façon dont j'étais regardée. Les accueils chaleureux étaient un luxe que je prenais pour acquis.

À mesure que je grandissais, je réalisais que ça n'avait pas toujours été le cas pour de nombreuses personnes avant moi et notamment pour mes parents. Enfants, ils n'ont pas eu les opportunités de voyage qui m'ont été accordées. Et lorsque finalement, arrivés à l'âge adulte ils ont pu découvrir le monde, leurs enfants dans les bras et bien loin de leur terre natale à majorité noire, ils étaient souvent confrontés à des préjugés que j'étais trop jeune pour reconnaître.

Des années plus tard, mes propres voyages à travers le monde en tant que journaliste m'ont aidé à comprendre que la couleur était intrinsèquement liée à mon expérience. Les articles que j'écris n'ont pas besoin d'être ouvertement centrés sur des questions ethniques pour me permettre de partager mon point de vue de personne racisée.

Être Noire et voyager, ça voulait dire qu'un chef local pouvait m'aborder pour me dire à quel point je ressemblais à un membre d'une tribu voisine lors d'un séjour professionnel au Ghana quand j'avais la vingtaine. Ça veut dire qu'en Éthiopie, au Rwanda, en Angleterre et dans le Nord canadien les personnes qui voient en ma couleur de peau une connexion m'appellent « ma sœur » (et me traitent comme telle).

Cela peut également mener à des expériences troublantes et à des occasions propices à la conversation. En Chine et en Inde, mes cheveux et ma peau ont déjà poussé de nombreux curieux à s'arrêter. (À lire : Visiter la Chine lorsqu'on est Noir.)

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    Des voyageurs marchent vers le Fort William, lors d'une excursion à Anomabo, au Ghana, pour visiter ce monument emblématique de la traite des esclaves.
    PHOTOGRAPHIE DE Jane Hahn, T​he New York Times, Redux

    La mise en valeur de nos points communs permet de remettre en question les stéréotypes qui dépassent le simple cadre du voyage (nous nageons, skions et faisons des randonnées).

    J'accueille à bras ouverts toutes ces opportunités et les plateformes qui m'ont permis de partager mes histoires car je suis consciente que peu de gens qui me ressemblent ont l'occasion d'en faire autant.

    Et c'est bien ça le problème.

    Lorsqu'il manque certaines voix à la narration principale, leur absence se normalise. Après avoir travaillé plus de 16 ans en tant que journaliste de voyage, j'ai toujours autant de mal à trouver d'autres auteurs noirs travaillant pour les médias traditionnels.

    Et ce, malgré un rapport publié en 2018 selon lequel les Afro-Américains, qui représentent 14 % de la population américaine, consacraient au voyage un budget annuel de 64 milliards de dollars.

    Bon nombre de ceux qui en grandissant se sont habitués à être relégués au second plan du discours dominant ont fini par se tailler leur propre espace. C'est ainsi que naissent des ouvrages comme Green Book, un manuel publié chaque année aux États-Unis jusqu'en 1966 qui dressait la liste des endroits où les voyageurs noirs pouvaient s'arrêter en toute sécurité pour manger, dormir ou sortir la nuit tombée.

    C'est également ce qui a poussé Evita Robinson à créer Nomadness Travel Tribe, une marque de vêtements et une communauté qui dénombre près de 20 000 voyageurs de couleur. Ou encore Outdoor Afro, une initiative lancée par Rue Mapp et tributaire d'une bourse National Geographic, dont l'objectif est de reconnecter les Afro-Américains à la nature. C'est également pour cette raison que le groupe Facebook de Karen Akpan Black Kids Do Travel existe et offre aux parents de couleur une plateforme pour partager en toute sécurité leurs joies et leurs préocupations liées au voyage. Et même si Kellee Edwards et Oneika Raymond dirigent certains programmes de Travel Channel, la liste des personnes de couleur à la tête de n'importe quel type de programme télévisé est plutôt courte.

    Voir des programmes et lire des articles à propos de personnes qui nous ressemblent sont autant d'éléments qui influent sur notre façon de voyager car leurs histoires sont la preuve même que nos vies comptent et avec elles nos succès, nos difficultés, notre histoire et notre culture.

    Il est également important pour les voyageurs afro-américains de raconter leur histoire pour d'autres raisons. Lorsque des articles de voyage grand public parlent de sécurité, les personnes de couleur savent qu'elles devront poser les questions relatives à leurs craintes personnelles directement à leurs amis ou collègues noirs : « Oui, je sais que cet endroit est sûr, mais est-il sûr pour moi ? » C'est un système qui n'est pas sans ressembler à celui mis au point par les communautés LGBTQ.

    C'est pourquoi lorsque j'emmène mes enfants en voyage, deux jeunes garçons noirs, je le fais en gardant bien en tête toutes ces questions, ces opportunités et ces responsabilités. Nous avons voyagé dans des dizaines de pays ensemble et avons pris la pose en famille devant la tour Eiffel, les pyramides de Gizeh, la Grande muraille de Chine et les chutes Niagara. Je les emmène visiter des lieux où leur couleur de peau provoque la fascination et d'autres où tout le monde leur ressemble. Je les inclus dans mes récits de voyage car ils ont tous les droits d'y être mais aussi parce que je sais que d'autres familles de couleur lisent nos histoires et voient dans nos photos les possibilités qui pourraient un jour s'offrir à elles.

    La diversification des voix est indispensable mais il n'est pas nécessaire d'être un voyageur issu d'une minorité pour faire la différence. Développer une vision du voyage plus inclusive ne demande aucun sacrifice. Ce n'est pas un acte de charité ; chaque voyageur trouve son compte lorsqu'une histoire est racontée de la plus exhaustive des façons. Et lorsque cette histoire ne nous est pas racontée dans son intégralité, c'est un peu comme si nous étions tous délestés de faits et d'expériences qui auraient pu bouleverser notre façon de voir le monde.

    Les touristes, fournisseurs, magazines et agences de voyage doivent simplement reconnaître l'existence de cette vision étriquée et se demander si certains points de vue manquent à l'appel dans les contenus qu'ils nous donnent à lire et à voir. Et ensuite, fournir les efforts nécessaires pour combler ces lacunes.

    Lors de votre prochaine rencontre avec le voyage, demandez-vous : sur qui se concentre la caméra dans ce documentaire ? Quelle histoire manque à cette visite historique ? Et pour ceux d'entre vous qui possèdent une plateforme d'expression comme un blog, un réseau social, une émission télévisée ou un magazine, assurez-vous de donner la parole, la caméra ou le stylo à une personne de couleur.

    L'inclusion, c'est admettre qu'il est bien plus beau de raconter une histoire dans son ensemble, avec ses défauts et ses complexités, que plusieurs de ses fragments individuellement.

    Le voyage nous rend meilleurs et la diversité de ses points de vue encore plus.

     

    Heather Greenwood Davis est une spécialiste des voyages en famille et contribue à la rédaction du magazine National Geographic Traveler. Retrouvez-la sur Twitter.

    Cet article a initialement paru dans l'édition août / septembre 2019 du magazine National Geographic Traveler.

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