L'épave du dernier négrier américain a bien été découverte

La goélette Clotilda avait transporté illégalement des esclaves d'Afrique vers les États-Unis en 1860, plus de 50 ans après l'interdiction de l'importation des esclaves.

De Joel K. Bourne, Jr.
109 esclaves africains ont survécu au cruel voyage long de six semaines entre l'Afrique de l'Ouest ...
109 esclaves africains ont survécu au cruel voyage long de six semaines entre l'Afrique de l'Ouest et l'Alabama. Ils étaient enfermés dans l'étroite cale de la goélette Clotilda, initialement construite pour transporter des marchandises et non des être-humains. C'est grâce aux caractéristiques uniques de conception du navire, comme ses dimensions, que les archéologues ont pu identifier l'épave.
PHOTOGRAPHIE DE Jason Treat et Kelsey Nowakowski, NG Staff. Art : Thom Tenery

La goélette Clotilda, dernier navire à avoir transporté des esclaves entre l'Afrique et l'Amérique, vient d'être découverte au fond d'un bras isolé du fleuve Mobile en Alabama après d'intenses recherches qui auront occupé les archéologues pendant un an.

« Les descendants des survivants du Clotilda attendent cette découverte depuis des générations, » rapporte Lisa Demetropoulos Jones, directrice de l'Alabama Historical Commission (AHC) et State Historic Preservation Officer (agent responsable de la conservation historique pour l'Alabama). « Nous sommes ravis de pouvoir enfin répondre à leurs attentes. »

Les prisonniers embarqués sur le Clotilda étaient les derniers des 389 000 Africains à avoir été ramenés de force pour être asservis sur le continent américain entre le début du 17e siècle et les années 1860. Des milliers de navires ont participé à la traite transatlantique mais peu d'épaves de négriers ont été retrouvées.

 « La découverte du Clotilda apporte un regard nouveau sur un chapitre délaissé de l'histoire des États-Unis, » déclare Fredrik Hiebert, archéologue en résidence à la National Geographic Society, qui a en partie financé les recherches. « Elle représente par ailleurs un pan important de l'histoire d'Africatown, une ville construite par les descendants du dernier navire de traite américain. »

Les rares témoignages directs des propriétaires d'esclaves et de leurs victimes offrent un regard singulier sur la traite négrière transatlantique, indique Sylviane Diouf, historienne réputée et spécialiste de la diaspora africaine.

« C'est l'histoire la mieux documentée d'un voyage d'esclaves dans l'hémisphère ouest, » ajoute Diouf, dont le livre paru en 2007, Dreams of Africa in Alabama, retrace le périple du Clotilda. « Les détenus ont été dessinés, interviewés et même filmés, » dit-elle en faisant référence à certains survivants ayant vécu au 20e siècle. « La personne qui a organisé l'expédition en a parlé. Le capitaine du navire a écrit sur le sujet. Nous connaissons donc l'histoire sous différents angles. Je n'ai rien vu de tel ailleurs. »

 

TOUT COMMENCE PAR UN PARI

L'histoire du Clotilda démarre avec un riche propriétaire terrien et armateur vivant à Mobile, en Alabama, du nom de Timothy Meaher. Un jour, il décida de parier mille dollars avec différents hommes d'affaires qu'il réussirait à faire passer en contrebande un navire d'esclaves africains dans la baie de Mobile au nez et à la barbe des autorités fédérales.

L'importation d'esclaves était interdite aux États-Unis depuis 1808 et les sudistes propriétaires de plantations avaient vu les prix du commerce d'esclaves grimper en flèche. Nombreux étaient ceux qui, comme Meaher, plaidaient en faveur d'une reprise de la traite négrière.

Les archéologues marins ont récupéré des clous, des pointes et des verrous utilisés pour sécuriser les poutres et les planches du navire. Fabriquées à la main en fer forgé, ces attaches étaient courantes dans les goélettes construites à Mobile au milieu du XIXe siècle.
PHOTOGRAPHIE DE Mark Thiessen, National Geographic

Meaher s'empressa d'affréter une goélette élégante et rapide appelée Clotilda et enrôla son concepteur, le capitaine William Foster, pour en prendre la barre et mettre le cap sur le port négrier historique de Ouidah, sur les côtes de l'actuel Bénin, dans le but d'y acheter des esclaves. Foster quitta l'Afrique avec 110 jeunes hommes, femmes et enfants entassés dans la cale de la goélette. Une jeune fille trouva la mort au cours des six semaines que dura cet horrible voyage. Meaher acheta le navire pour la somme de 9 000 $ alors qu'il en coûtait 20 fois plus dans l'Alabama de 1860.

Après avoir transféré les esclaves sur un bateau fluvial détenu par le frère de Meaher, Foster brûla le Clotilda jusqu'à la ligne de flottaison pour dissimuler leur crime. La goélette emporta avec elle tous ses secrets pendant plusieurs décennies et des négationnistes sans scrupule en profitèrent pour affirmer que ce sombre épisode de l'histoire américaine n'avait jamais eu lieu.

Après l'abolition de l'esclavage et la fin de la Guerre civile, les hommes et femmes faits prisonniers souhaitaient regagner leurs foyers en Afrique de l'Ouest. N'ayant pas les moyens d'y parvenir, ils finirent par acquérir des petites parcelles de terrain au nord de Mobile pour y établir leur propre communauté soudée qui fut plus tard baptisée Africatown. À cet endroit, ils ont pu se construire une nouvelle vie sans jamais perdre leur identité africaine. Leurs descendants y vivent encore nombreux, ils ont grandi avec les récits du tristement célèbre navire qui avait transporté leurs ancêtres jusqu'en Alabama.

« S'ils trouvent les restes de ce bateau, ce sera un grand événement, » présageait cette année Lorna Woods, descendante d'une survivante du Clotilda. « Cela prouvera tout ce que notre mère nous avait raconté. Nous serons vraiment soulagés. »

Mary Elliott, conservatrice du Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines, rejoint Lorna Woods sur ce point.

« De nos jours, il existe de nombreux exemples de personnes qui affirment que des événements comme les émeutes raciales de Tulsa de 1921 ou l'Holocauste ne se sont jamais produits. Désormais, grâce à l'archéologie, aux recherches menées dans les archives, à la combinaison des sciences et de la mémoire collective, on ne peut plus le nier. Ils sont enfin connectés à leurs ancêtres de façon tangible et le doute quant à la véracité de leur histoire est enfin levé. »

 

À LA RECHERCHE DE L'HISTOIRE OUBLIÉE

Au fil des années, l'épave du Clotilda a fait l'objet de plusieurs tentatives de localisation. Cependant, le delta commun aux fleuves Mobile et Tensaw est truffé de marécages, de bras morts et de bayous ainsi que d'épaves accumulées sur plus de trois siècles d'activité maritime. Puis, en janvier 2018, un journaliste local, Ben Rainessignalait qu'il avait découvert les restes d'un grand bateau en bois à l'occasion d'une marée exceptionnellement basse. En tant que propriétaire de tous les navires abandonnés dans les eaux de l'état d'Alabama, l'AHC s'était tourné vers la société d'archéologie Search, Inc., pour mener l'enquête sur le navire.

Frankie West, expert en criminalistique, examine des échantillons de bois provenant des cales du navire dans l'espoir de récupérer de l'ADN des personnes qu'il transportait.
PHOTOGRAPHIE DE Mark Thiessen, National Geographic

Finalement, ce navire n'était pas le Clotilda mais la fausse alerte a permis d'attirer l'attention des citoyens américains sur ce négrier perdu depuis bien longtemps. De la même façon, il a incité l'AHC à financer de plus amples recherches en partenariat avec la National Geographic Society et Search, Inc.

Les chercheurs ont parcouru des centaines de documents originaux de l'époque et analysé les enregistrements de plus de 2 000 navires en service dans les eaux du Golfe du Mexique à la fin des années 1850. Ils ont découvert que le Clotilda faisait partie des cinq goélettes construites dans le Golfe puis assurées. Les documents d'immatriculation du navire offraient des descriptions détaillées de la goélette, notamment sur sa construction et ses dimensions.

« Le Clotilda était un navire atypique, construit sur mesure, » nous informe l'archéologue naval James Delgado de Search, Inc. « Il n'y avait qu'une seule goélette construite dans le Golfe d'une longueur de 26 m, d'un maître-beau de 7 m avec une cale de 2,10 m, et c'était Clotilda. »

Les archives montraient également que la goélette avait une charpente en chêne blanc recouverte de pin jaune du sud, elle était équipée d'une dérive haute de 4 m qui pouvait être levée ou baissée en fonction de la profondeur des eaux.

L'archéologue marin James Delgado scanne une section du fleuve Mobile pendant les recherches menées pour localiser la dernière demeure de Clotilda.
PHOTOGRAPHIE DE Asha Stuart, National Geographic

En s'appuyant sur leur évaluation des localisations potentielles du navire, Delgado et l'archéologue de l'état d'Alabama Stacye Hathorn se sont concentrés sur un tronçon du fleuve Mobile qui n'avait jamais été dragué. Pour cela, ils ont déployé des équipes de plongeurs et bon nombre d'instruments : un magnétomètre pour détecter les objets en métal, un sonar latéral pour localiser les structures posées sur le lit du fleuve ainsi qu'un sondeur de sédiments pour détecter les objets profondément enfouis dans le lit boueux du fleuve. Ils ont découvert un véritable cimetière de navires engloutis.

La plupart des épaves détectées ont été rapidement éliminées en raison de leur taille, de leur coque en métal ou du type de bois utilisé. En revanche, l'une d'entre elles, identifiée sous le matricule Target 5, a retenu l'attention des chercheurs : « Elle correspondait à tous les critères que nous avions dégagés pour Clotilda, » indique Delgado, notamment en matière de conception, de dimensions, du type de bois ou de métal utilisés pour sa construction et il restait même des traces de son embrasement.

Les échantillons de bois prélevés sur Target 5 étaient du chêne blanc et du pin jaune du sud provenant du littoral du Golfe. Les archéologues ont même trouvé les restes d'une dérive dont la taille correspondait.

Les attaches en métal de sa coque avaient été fabriquées à la main à partir de fonte brute, ce qui correspondait aux analyses préalables. Certains éléments montraient par ailleurs que la coque avait été gainée de cuivre, comme c'était la coutume à l'époque pour les navires marchands qui s'aventuraient sur l'océan.

Aucune plaque d'identification ni aucun autre artefact nominatif n'a permis d'identifier une bonne fois pour toute le navire, précise Delgado, « mais au regard des différentes preuves, on peut estimer que son identité a été établie au-delà de tout doute raisonnable. »

Le parc d'État Meaher doit son nom à l'éminente famille qui a fait don d'une propriété riveraine pour la réserve. En 1860, le capitaine Timothy Meaher pariait une somme importante qu'il serait capable d'importer des esclaves africains à bord du Clotilda sans se faire prendre. Il a gagné son pari.
PHOTOGRAPHIE DE Elias Williams, National Geographic

 

UN MÉMORIAL CONSACRÉ AUX NÉGRIERS ?

L'épave du Clotilda transporte à présent les espoirs des habitants d'Africatown, une ville qui a souffert d'un déclin de population, de la pauvreté et d'une série d'attaques environnementales perpétrées par les acteurs de l'industrie lourde qui encerclent la communauté. Les résidents espèrent que les vestiges du navire attireront les touristes et inciteront les entreprises à s'implanter dans la région pour faire renaître l'emploi. Certains ont suggéré que le navire soit restauré puis exposé.

La communauté a récemment obtenu une compensation à hauteur de 3,6 millions de dollars provenant d'un règlement judiciaire faisant suite à la marée noire provoquée par l'explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon du géant BP. Cet argent servira à reconstruire l'office de tourisme détruit en 2005 par une autre catastrophe, naturelle cette fois, l'ouragan Katrina. Toutefois, ce qui reste de l'épave incendiée est en très mauvais état, nous informe Delgado. Sa restauration se chiffrerait en millions de dollars.

En revanche, on peut très bien imaginer de construire un mémorial national consacré aux navires de la traite négrière, un peu comme la sépulture aquatique de l'U.S.S Arizona à Pearl Harbor. Cet endroit serait un lieu propice à la réflexion sur les atrocités du commerce d'esclaves et il rappellerait aux visiteurs l'inestimable contribution de l'Afrique à la construction de l'Amérique.

« Le fantôme de l'esclavage est toujours présent, » affirme Paul Gardullo, directeur du Center for the Study of Global Slavery (en français, centre pour l'étude de l'esclavage international, ndlr) au Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines et membre du Slave Wrecks Project (en français, projet de recherche des épaves de négriers, ndlr) impliqué dans les recherches du Clotilda. L'esclavage refait toujours surface car nous avons ignoré le sujet par le passé. Si nous faisons correctement notre travail, ce sera non seulement l'occasion de se réconcilier avec notre passé mais également d'amorcer un réel changement. »

 

L'Alabama Historical Commission publiera le rapport archéologique officiel à l'occasion d'une fête communautaire célébrée le 30 mai à Africatown.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
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