À São Paulo, une vie ralentie par l'épidémie de coronavirus

Alors que le président brésilien refuse d'admettre le lourd bilan de l'épidémie de COVID-19 dans son pays, les habitants du Copan ont instauré leurs propres mesures pour lutter contre la crise.

De João Pina
Photographies de João Pina
Publication 23 avr. 2020, 15:02 CEST
Situé à São Paulo, le Copan est le plus grand immeuble résidentiel d'Amérique latine avec quelque ...

Situé à São Paulo, le Copan est le plus grand immeuble résidentiel d'Amérique latine avec quelque 5 000 résidents. Construit dans les années 1950, il offre un aperçu condensé des mesures d'isolation et de confinement à l'heure de la pandémie de coronavirus.

PHOTOGRAPHIE DE João Pina

Avec ses courbes évoquant celles des vagues, l'immeuble Copan au Brésil me rappelle le tilde qui flotte au-dessus du « a » de « São Paulo ». Composé de 1 160 appartements, ce gigantesque complexe de béton est le plus grand immeuble résidentiel de toute l'Amérique latine. Il dispose même de son propre code postal. Conçue comme une expérience sociale dans les années 1950, cette ville à étages est aujourd'hui un microcosme de la façon dont les 21 millions d'habitants de la région métropolitaine de São Paulo affrontent la pandémie de coronavirus.

São Paulo est l'épicentre de l'épidémie au Brésil. En date du 21 avril, le Brésil recense 40 814 cas confirmés de COVID-19 et 2 588 décès. Sur ces décès, près de 800 concernent des citoyens de l'état de São Paulo. Une étude récente estime qu'il y aurait sept fois plus de cas au Brésil que le laissent entendre les chiffres officiels. D'après l'avertissement émis par le ministre de la Santé du pays, Luis Henrique Mandetta, le mois d'avril pourrait s'achever sur l'effondrement du système de santé publique.

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    J'ai passé ces vingt dernières années à sillonner l'Amérique latine en tant que photographe. Je suis arrivé en fin d'année dernière à São Paulo et aujourd'hui je suis officiellement contraint de rester chez moi au même titre que les autres habitants de la ville. Lorsque l'histoire de Copan est arrivée à mes oreilles, j'ai immédiatement voulu comprendre ce monde. J'ai donc loué l'un des appartements du complexe puis j'ai passé huit jours à photographier ceux qui y vivaient tout en apprenant à les connaître. Avant d'emménager, je me suis isolé pendant 20 jours dans mon appartement et une fois sur place j'ai suivi un rigoureux protocole de sécurité.

    Cette photographie en pose longue prise depuis le toit du Copan donne à la skyline de São Paulo une allure d'aquarelle. Situé en plein centre de cette ville dynamique, l'immeuble a été construit pour accueillir des locataires de tous les horizons.

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    Le Copan était le rêve de l'architecte Oscar Niemeyer qui souhaitait construire un lieu d'accueil pour tous les milieux de la société brésilienne. Un rêve devenu réalité : artistes, notables et femmes de ménage comptent parmi les 5 000 résidents qui occupent les différents appartements allant du modeste 28 m² au vaste 420 m². L'immeuble emploie environ 102 personnes.

    À l'image de son créateur, les résidents du Copan penchent plutôt à gauche de la balance politique. Chaque nuit, ils se postent à leurs fenêtres et frappent leurs poêles et leurs casseroles pour faire part de leur mécontentement quant à la gestion de la pandémie par leur actuel président.

    Le président Jair Bolsonaro a indiqué ne pas croire en l'urgence sanitaire que représente le COVID-19. Il a qualifié la maladie de « gripette » et a publiquement remis en question le bilan des victimes annoncé. Il a organisé des rassemblements politiques au cours desquels il encourageait les citoyens à reprendre le travail et ses partisans n'ont pas hésité à porter son message dans les rues : cette semaine, tout en chantant que le coronavirus était un mensonge, ils ont bloqué les ambulances qui circulaient à travers São Paulo.

    Ilê Sartuzi a transformé son appartement en cinéma de fortune. Confinés, les résidents redoublent de créativité pour se divertir.

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    « Depuis des semaines, Bolsonaro s'emploie à saboter les efforts fournis par les différents États brésiliens et son propre ministère de la Santé pour limiter la propagation du COVID-19 et met en grand danger la vie et la santé des Brésiliens, » écrivait dans un rapport récent José Miguel Vivanco, directeur de l'ONG Human Rights Watch pour les Amériques.

    Bolsonaro aurait beaucoup à apprendre de l'un des résidents du Copan, Affonso Celso Oliveira. Depuis 1993, cet octogénaire que les résidents appellent « le maire » est à la tête des opérations au sein de cet immeuble qu'il habite depuis des dizaines d'années. Lorsqu'il a entendu parler pour la première fois du virus en janvier, il a immédiatement bloqué l'accès au toit du bâtiment où se retrouvent généralement des centaines de visiteurs chaque jour et a augmenté la cadence du nettoyage des parties communes. « J'ai demandé aux gardiens de garder un œil sur les caméras de surveillance lorsque des personnes utilisent les ascenseurs, » m'a-t-il raconté. « S'ils touchent les surfaces ou les miroirs, le personnel d'entretien est appelé pour nettoyer sur-le-champ l'ensemble de l'ascenseur. »

    Au lieu des titres de transport public, le personnel de l'immeuble a reçu des bons de carburant, ce qui leur permet d'éviter les bus bondés qui sillonnent à travers la ville densément peuplée. Les gardiens font également attention aux résidents qui présentent des symptômes. J'ai rencontré une femme revenue d'Europe avec la grippe, elle m'a confié que le personnel prenait chaque jour de ses nouvelles.

    Au départ, bon nombre de résidents trouvaient excessive la réaction d'Oliveira mais tous reconnaissent aujourd'hui son ingéniosité. En date du 16 avril, aucun cas de coronavirus n'avait été diagnostiqué au sein du Copan.

    Dans une ville aussi densément peuplée que le centre de São Paulo, un virus a toutes les chances de se propager rapidement. Afin de garantir la sécurité de ses 102 employés, Affonso Celso Oliveira leur a distribué des coupons de carburant au lieu des tickets de bus, ce qui leur permet d'éviter la foule des transports publics en venant travailler.

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    Cela dit, comme le reste de São Paulo, la vie au Copan n'est pas immunisée contre les effets de la pandémie. Alors que certains résidents se portent bien sur le plan financier, d'autres sont en « congés » forcés et d'autres encore ont perdu leur emploi sans aucune perspective. Un sentiment d'anxiété envahit l'esprit de l'ensemble des résidents.

    La majeure partie d'entre eux se retrouvent dans une situation similaire à celle de Carine Wallauer. Avant la pandémie, Carine était une directrice de la photographie couronnée de succès. Début mars, alors que le virus se propageait à travers le monde, elle participait à la Berlinale, un prestigieux festival cinématographique se déroulant à Berlin. Depuis, elle a perdu deux de ses trois emplois. Elle s'inquiète aujourd'hui ce que sera sa vie dans les mois à venir. Lorsque je lui ai rendu visite récemment, elle semblait soulagée de pouvoir parler à quelqu'un. Assis par terre à 2 m l'un de l'autre, nous avons discuté pendant trois heures. À l'instar de Carine, d'autres résidents avaient très envie de parler après plusieurs semaines passées seuls. À chaque visite, je me lavais soigneusement les mains et respectais la distanciation sociale. Même avec ces précautions supplémentaires, il est impossible de savoir lorsqu'on fait face à une maladie invisible.

    Pendant mon séjour, j'ai photographié une vingtaine de résidents du Copan et une poignée de d'employés non résidents. Il y avait notamment le pompier affecté à l'immeuble qui consacre trois heures par jour à aller et venir du Copan ; un peintre en bâtiment devenu artiste qui chaque midi jouait du violon ; et le facteur qui distribue quotidiennement le courrier aux 1 160 appartements. En apprenant à connaître les hommes, les femmes et les enfants de tous les horizons qui vivent ensemble au Copan, j'ai peu à peu découvert un sens profond de communauté et de solidarité.

    Au bout de trois semaines de quarantaine, j'ai constaté une certaine agitation en ville. Avec les messages contradictoires diffusés par l'état et le gouvernement fédéral, les activités non essentielles ont restreint leurs horaires et les citoyens retournent au travail. Dans ce pays où les inégalités de revenus sont parmi les plus importantes au monde, les risques sanitaires sont rapidement éclipsés par la peur d'un nouveau crash économique comme celui de 2015, la plus forte récession enregistrée à ce jour.

    À 55 ans, Angelica Cunha est aide-soignante pour une femme âgée et dépend de son salaire pour s'en sortir. Après s'être sentie malade, Cunha s'est auto-isolée pendant deux semaines et a aujourd'hui repris le travail. Cinq ans à peine après la pire récession de leur histoire, les Brésiliens craignent que la pandémie de coronavirus ne mène à un nouveau crash économique.

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    Les visages des sans-abri laissent apparaître les signes d'une économie fragile. Même si le Copan a contribué à la revitalisation du centre-ville de São Paulo ces dernières décennies, ils sont encore nombreux à n'avoir nulle part où aller. Certains se sont installés dans les rues adjacentes du Copan. Sans aucun système d'assistance sociale, les résidents ont pris l'initiative de leur venir en aide, organisant leur action via la page Facebook de l'immeuble. Deux résidents ont lancé une campagne de crowdfunding et récemment mis en place une distribution de repas. Les habitants du Copan y contribuent à hauteur de leurs moyens, une femme a par exemple distribué des bouteilles d'eau.

    Le Copan brille à la manière d'un phare dans le centre de São Paulo, à l'heure où la ville qui l'entoure lutte contre la pandémie de coronavirus.

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    Pour l'ensemble des Brésiliens, la pandémie ne fait que troubler encore plus un avenir déjà incertain. Le gouvernement a l'intention de verser aux entrepreneurs, indépendants et travailleurs informels une somme compensatoire de 105 € au cours des trois prochains mois. C'est un peu plus de la moitié du salaire minimum mensuel au Brésil, une somme insuffisante pour s'offrir ne serait-ce que la cesta básica, la quantité de nourriture et de biens de première nécessité que le gouvernement brésilien estime nécessaire à la survie d'un citoyen.

    Un maigre réconfort dans cette ville où la faim n'a jamais quitté les rues et où règne à présent la crainte de l'invisible et de l'inconnu.

     

    João Pina est photographe pour National Geographic, son travail se concentre sur les violations des droits de l'Homme et la mémoire collective. Au cours des vingt dernières années, il a principalement travaillé sur l'Amérique latine. Suivez-le sur Instagram et découvrez son travail à travers son site Web.
    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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