Italie : le tourisme et le cinéma à la rescousse de la dernière steppe sauvage du pays

Après des décennies mornes, la région de l’Alta Murgia, un joyau culturel méconnu, connaît une nouvelle ère de prospérité.

De Agostino Petroni
Publication 12 oct. 2022, 10:15 CEST
Gravina in Puglia

Les fans de James Bond auront peut-être reconnu Gravina in Puglia, charmante ville construite au bord d’une rivière et d’un ravin au cœur du parc national de l’Alta Murgia. Elle a servi de décor à un saut du célèbre agent double dans le film Mourir peut attendre. Pour faire venir davantage de touristes, la région attire notamment des productions cinématographiques et restaure des sites archéologiques abandonnés.

PHOTOGRAPHIE DE Alessandro Gandolfi

Par un après-midi caniculaire d’été, Mariantonietta Scalera, bergère âgée de 32 ans, ouvre le portail de sa ferme d’Altamura, petite ville jouxtant le parc national de l’Alta Murgia, à environ 50 kilomètres à l’ouest de Bari, la capitale de la région des Pouilles. Cent cinquante moutons et chèvres, suivis de près par sept chiens, passent devant elle au pas de course pour se rendre sur des pâtures qu’ils renifleront en quête d’herbes sauvages et de graines.

Mariantonietta Scalera tient sa passion pour les animaux et pour la fabrication de fromage artisanal de son père qui la lui a transmise dès son jeune âge. Après avoir passé une année aux Pays-Bas en 2019 dans le cadre d’un programme d’échange, elle a décidé de revenir chez elle et de reprendre la ferme familiale plutôt que de continuer à travailler à l’étranger comme tant de ses amis.

« Quand on s’en va, on voit [son chez-soi] sous un autre angle », confie-t-elle.

L’Alta Murgia, une des dernières steppes d’Italie, englobe treize communes qui préservent chacune des joyaux historiques, culturels et culinaires méconnus. À Altamura, près de 30 000 empreintes de pas de dinosaures constellent la carrière de Pontrelli. C’est également dans cette ville qu’a été découvert l’homme d’Altamura, squelette en excellent état d’un Néandertalien ayant vécu il y a 150 000 ans environ.

Des touristes traversent la carrière de Pontrelli, à Altamura, qui a récemment rouvert. Le site abrite la plus grande collection d’empreintes de dinosaures d’Europe.

PHOTOGRAPHIE DE Alessandro Gandolfi

Les dolines et les ravins karstiques caractérisent le paysage naturel d’Altamura, de Laterza et de Gravina in Puglia, villes où faisaient halte les voyageurs qui parcouraient la via Appia lors de l’Antiquité. Près de la ville d’Andria se trouve l’immense Castel del Monte, le « cœur de pierre » de l’Alta Murgia. Dans leurs plats, les chefs cuisiniers de la région mettent des ingrédients qu’ils récoltent et se procurent localement : chardons sauvages, pleurotes, lampascioni (de petits oignons sauvages), blé dur, amandes, raisins et olives. (Les Pouilles produisent près de 40 % de l’huile d’olive d’Italie).

Cela n’a pas empêché l’Alta Murgia de disparaître de la carte après un exode rural qui a vu des milliers de personnes se diriger vers les villes industrielles en quête d’un emploi et d’une vie meilleure. Au fil des décennies, c’est devenu une décharge illégale où l’on déposait des déchets industriels ainsi qu’une alcôve pour la pègre. La région a également accueilli dix bases américaines de lancement de missiles nucléaires dans les années 1960.

Mais cet obscur recoin des Pouilles connaît actuellement une renaissance. Des bénévoles de la région, de jeunes entrepreneurs rentrés au bercail comme Mariantonietta Scalera et des élus œuvrent de concert pour restaurer des zones autrefois recouvertes de déchets, pour promouvoir la culture et la cuisine locale et pour ouvrir des sites archéologiques autrefois fermés au public.

On a pu admirer cet effort collectif visant à rendre son charme à l’Alta Murgia dans des superproductions comme Mourir peut attendre, film dans lequel un James Bond poursuivi par des malfaiteurs traverse le pont de Gravina in Puglia à toute allure, mais aussi lors de défilés de mode de maisons comme Gucci qui ont fait du Castel del Monte, château éthéré et octogonal construit par l’empereur Frédéric II en 1240 ap. J.-C., leur toile de fond.

« Il y a un désir de renaissance. Il y a de l’enthousiasme, indique Mariantonietta Scalera. Les gens reviennent. »

Bien que les plages du Salento et que le littoral du Gargano soient depuis peu les régions les plus touristiques d’Italie avec leurs millions de visiteurs, parmi lesquels des célébrités comme Helen Mirren, George Clooney ou Madonna, l’Alta Murgia demeure fidèle à ses traditions culturelles et culinaires uniques et réserve à ceux qui s’aventurent sur ses itinéraires intérieurs la saveur inattendue d’un lieu intemporel.

 

RENAISSANCE D’UNE RÉGION

Après des décennies de disette touristique, l’Alta Murgia et les communautés environnantes ont lancé un vaste programme de restauration mené de front par des organisations à but non lucratif, par des entrepreneurs de la région ainsi que par des politiciens. Leurs efforts ont été récompensés en 2004 lorsque ces plaines de 675 kilomètres carrés sont devenues un parc national. Selon Francesco Tarantini, président du parc, cette désignation a poussé des personnes comme Mariantonietta Scalera à revenir et à investir dans la terre.

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    Lorsque l’extraction de bauxite a pris fin en 1978, la grotte Spinazzola s’est transformée en décharge illégale où l’on se débarrassait de chute de tissus industriels. Après des années de nettoyage par des habitants de la région, la carrière abandonnée a rouvert au public cet été.

    PHOTOGRAPHIE DE Alessandro Gandolfi

    En contournant le bord de la grotte Spinazzola, une carrière de bauxite abandonnée de 50 mètres de profondeur se trouvant dans l’enceinte du parc, Francesco Tarantini et moi avons pu entendre le vacarme des cigales se répercuter sur des falaises aux teintes vermillon. D’après lui, lorsque l’extraction de bauxite a pris fin dans les années 1970, la grotte est devenue une décharge illégale où l’on venait déposer des chutes de tissus industriels. Il a fallu des années pour tout nettoyer avant que le site ne rouvre au public durant l’été.

    Afin d’attirer l’attention sur le parc, Francesco Tarantini a proposé en novembre dernier la candidature de l’Alta Murgia au Réseau mondial des géoparcs de l’UNESCO qui garantit la protection de lieux à la géologie unique en les gérant de manière durable. Pour que cette candidature soit acceptée, le parc redouble d’efforts et œuvre de concert avec des villes de la région pour améliorer les conditions d’accès et de conservation du parc mais aussi pour créer des circuits de plusieurs jours pour les visiteurs.

    « Nous sommes un paradis pour géologues, déclare Francesco Tarantini. Nous voulons partager notre héritage avec le monde. »

    Les environs de la ville d’Andria abritent le joyau de la région de l’Alta Murgia, le Castel del Monte, forteresse octogonale du 13e siècle inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO qui attire environ 200 000 visiteurs chaque année. Elena Saponaro, directrice du Castel del Monte depuis 2017, travaille à rendre le château plus interactif, notamment en instaurant un projet numérique montrant aux visiteurs des pans de l’édifice qui ne peuvent être visités comme ses cuves souterraines et son système hydraulique. Le projet HoloMuseum, qui permet de découvrir le site en réalité augmenté, y a été inauguré en 2021.

    Gauche: Supérieur:

    Le Castel del Monte, forteresse octogonale du 13e siècle construite par Frédéric II, surplombe la petite ville d’Andria, dans les Pouilles. Chacun des huit coins de cet édifice inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1996 arbore une tour octogonale.

    Droite: Fond:

    Le conteur Donato Laborante est assis à l’intérieur de la crypte de la Masseria Jesce d’Altamura qui abrite des fresques byzantines dédiées à l’archange saint Michel. Érigé sur l’ancienne via Appia romaine, cet édifice était autrefois un monastère et une ferme.

    Photographies de Alessandro Gandolfi

    « Le Castel del Monte possède une valeur universelle exceptionnelle grâce à la perfection de sa structure, à l’harmonie et à la fusion d’éléments culturels d’Europe du Nord, du monde musulman et de l’époque classique antique », indique-t-elle.

    À environ 50 kilomètres d’Andria, Francesco Mastromatteo, historien et guide touristique de l’agence Terre di Murge Experience, me mène à travers le Gravina Sotterranea de Gravina in Puglia, un labyrinthe de tunnels, de caves et d’aqueducs souterrains creusés sous la ville à même la roche.

    « Nous avons besoin de lenteur », me dit Francesco Mastromatteo, qui accueille des projets novateurs et inclusifs tels que FlyOn qui permet aux personnes handicapées de voir la ville grâce à un drone. « Nous ne voulons pas devenir Disneyland, mais le tourisme non agressif est le bienvenu. »

     

    PASSÉ ET PRÉSENT S’ENTRELACENT

    C’est à la Masseria Jesce, ferme du 16e siècle des environs d’Altamura, que les efforts entrepris pour faire renaître l’Alta Murgia sont les plus saisissants. Cet ancien relais de la via Appia abrite une crypte du 14e siècle dédiée à l’archange saint Michel dont les murs sont couverts de fresques. À la fin des années 1980, la ferme a été rachetée par la commune et en partie rénovée avant d’être abandonnée peu de temps après.

    Donato Laborante, conteur de 67 ans, s’occupe de la Masseria Jesce avec d’autres bénévoles. Il maintient le lieu en vie en y organisant des ateliers de théâtre et des expositions. Actuellement, la seule façon de visiter cette masseria (ferme) est d’appeler Donato Laborante et d’espérer qu’il soit disponible.

    Gabriele Tarantino, gérant de la maison d’hôtes Lo Cuocio, monte à cheval à Gravina in Puglia, près du parc national de l’Alta Murgia.

    PHOTOGRAPHIE DE Alessandro Gandolfi

    Donato Laborante, qui a une longue barbe poivre et sel, un t-shirt blanc et un pantalon bleu délavé et rapiécé, m’emmène à l’étage supérieur de la masseria. Il me demande d’attendre dans la première pièce et se hâte d’aller ouvrir les deux portes suivantes, l’une après l’autre, qui laissent entrer la lumière dorée du Soleil.

    « Pourquoi les gens tombent amoureux des endroits comme celui-ci ? Pour la lumière », m’explique Donato Laborante en désignant la fenêtre la plus éloignée qui fait face à la steppe d’Alta Murgia. « Ces endroits vous permettent, par leur silence, de vous rapprocher de votre essence. »

    L’an dernier, lorsque j’ai quitté New York pour retourner vivre dans l’Alta Murgia, j’étais à la recherche de cette part de moi-même que j’avais abandonnée. En 1991, mes parents ont acheté une masseria du 18e siècle à l’extrémité septentrionale du parc national de l’Alta Murgia. Leur rêve était de faire de cet édifice délabré et de son terrain de 200 hectares une oliveraie remplie de visiteurs. Grâce aux rénovations menées par mon père, Pietro, pendant près de dix ans, cette ferme autrefois en ruine a rouvert sous le nom de Biomasseria Lama di Luna, un hôtel-boutique durable comprenant onze chambres avec vues panoramiques sur les oliviers, les amandiers et les vignes de la propriété.

    Depuis mon retour, j’ai joint mes forces à celles de mon père pour affronter les nombreux obstacles que les agriculteurs et les entrepreneurs doivent surmonter pour vivre sur cette terre rude mais magnifique. Sur un quarter horse à la robe marron clair, je suis Antonella Urbano, monitrice d’équitation qui m’a appris à monter lorsque j’étais enfant, je hume le doux parfum de la menthe sauvage et des orchidées violettes de l’Alta Murgia. Les cigales chantent une sérénade au Soleil qui fuit à l’horizon derrière le Castel del Monte. Les premières étoiles brillent avec éclat dans le ciel immense et vide.

    Un frisson de quiétude me parcourt. Je suis chez moi.

    Agostino Petroni était reporter au Centre Pulitzer de climatologie et est l’auteur d’un livre. Suivez-le sur Twitter.

    Alessandro Gandolfi est un photographe et journaliste italien. Il a cofondé l’agence de photo Parallelozero. Son travail paraît dans plusieurs journaux et magazines.

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