Le tourisme peut-il protéger le Mont-Saint-Michel ?

Cet îlot-abbaye emblématique et fragile est l’endroit le plus visité de France après Paris. Alors qu’il s’apprête à fêter son millénaire, un nouveau plan de développement durable a été mis en œuvre pour le pérenniser.

De Mary Winston Nicklin
Publication 27 janv. 2023, 08:45 CET
2K0D1RY Mont Saint Michel

Ce cliché aérien montre un Mont-Saint-Michel encerclé par la mer lors de la plus haute marée de l’année. Environ trois millions de personnes visitent chaque année cette île-abbaye située au large des côtes normandes.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS / ALAMY, Reuters, Alamy

C’était un trajet des plus risqués. Pour se rendre au Mont-Saint-Michel, îlot-abbaye situé au large de la Normandie, les pèlerins du Moyen Âge devaient se défaire des sables mouvants et des plus fortes marées d’Europe continentale. En dépit de ces dangers, ce chemin de pèlerinage était l’un des plus empruntés à cette période.

Depuis lors, le Mont-Saint-Michel n’a cessé de voir affluer les visiteurs et est devenu l’un des endroits les plus populaires de France après Paris. La digue construite en 1878 pour en faciliter l’accès a bien failli ruiner le paysage. Le sable déplacé par les marées s’accumulait dans la baie et empiétait sur l’île, mettant ainsi son existence en péril.

En amont du millénaire de l’abbaye, qui sera célébré cette année, ce site inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO s’est vu transformer par des initiatives durables nombreuses et variées, à commencer par la réalisation en 2015 d’un projet d’ingénierie colossal visant à restaurer le caractère maritime du Mont et à lui permettre de récupérer son statut d’île.

« Notre mission est de conduire le renouveau du Mont-Saint-Michel », déclare Thomas Velter, directeur de l’Epic du Mont, la nouvelle instance administrative en charge du renouvellement du site. « L’approche se résume ainsi : tourisme durable, meilleure gestion des flux touristiques et valorisation des environs [et] du cadre naturel. »

 

 

NÉ D’UN RÊVE

Les origines mystiques du Mont-Saint-Michel remontent à l’an 708 de notre ère. Selon la légende, l’archange Michel serait apparu en rêve à saint Aubert, évêque de la ville voisine d’Avranches, et lui aurait demandé d’ériger un sanctuaire à son nom. Dans une ultime vision, l’archange enfonça son doigt dans le crâne du saint et y laissa un trou afin de souligner le caractère primordial de sa requête.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS / ALAMY, Reuters, Alamy

Des moines bénédictins investirent le site en l’an 966. Les travaux de l’abbaye romane démarrèrent en 1023 et prirent fin soixante ans plus tard. Au fil des siècles, plusieurs édifices s’agglomérèrent sur le granite de l’îlot et donnèrent à voir « une encyclopédie exhaustive de l’architecture médiévale, jusqu’au style gothique », selon les mots de François Saint-James, historien de l’art et guide touristique expérimenté.

Surnommé « Cité des Livres » pour sa bibliothèque de renom, le Mont-Saint-Michel est devenu une citadelle de l’érudition. Dans son scriptorium, les moines copiaient des manuscrits, notamment des bibles et des traités scientifiques. Toutefois, seuls 200 des 800 manuscrits qui y auraient été hébergés existent encore aujourd’hui. Ils sont conservés au Scriptorial d’Avranches.

« Ces manuscrits sont les objets les plus importants du Mont-Saint-Michel », indique Bérengère Jéhan, directrice du Scriptorial. « Ils ont une valeur historique incommensurable. »

 

 

UNE LONGUE TRADITION TOURISTIQUE

Le Scriptorium montre également l’infrastructure touristique qui s’est développée pour accueillir les pèlerins dans ce que l’on considérait être « le bout du monde ; face à la mer, là où le soleil se couche », selon François Saint-James. Les miquelots, nom qu’on donnait aux pèlerins du Mont-Saint-Michel, achetaient des talismans en souvenir de leur périple, un peu comme nous le faisons aujourd’hui. « La découverte archéologique de moules [dont se servaient des artisans du villages pour fabriquer des bijoux] montre que l’activité économique du village était en plein essor au 14e siècle », explique Bérengère Jéhan.

De nos jours, des boutiques bordent encore la Grande Rue, principale artère du Mont-Saint-Michel. Mais les étals ont été interdits sur cette venelle afin de la désencombrer. De plus en plus, le Mont-Saint-Michel met l’accent sur un artisanat de qualité et local.

En hiver, on y vend surtout des pulls de la marque Saint James, créée il y a 130 ans et labellisée « Entreprise du patrimoine vivant » par l’État. La fabrication d’un seul de ces pulls, d’abord conçus comme une « seconde peau » pour les pêcheurs, nécessite un peu plus de 22 kilomètres de fil, soit la distance qui sépare l’usine du Mont. Durant la période des fêtes, l’Epic du Mont a ouvert une boutique éphémère proposant des produits régionaux ornés de portraits des artisans qui les fabriquent. Il y a aura bientôt deux boutiques de ce type sur le site.

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    Des visiteurs circulent dans un cloître du Mont-Saint-Michel. Des moines bénédictins s’y sont installés dès le milieu du 10e siècle. De nos jours, moines et nonnes des Fraternités Monastiques de Jérusalem perpétuent leur tradition religieuse.

    PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE MIENEKE ANDEWEG-VAN RIJN / ALAMY, Alamy

    UN CHEF D’ŒUVRE NATUREL AUTANT QU’ARTISTIQUE

    Le Mont-Saint-Michel ne serait pas ce qu’il est sans la mer. « Il a un effet magnétique sur les visiteurs de par son cadre, de par la majesté des marées et de par les variations de la lumière », explique Sébastien Daligault, naturaliste chez Label Nature et guide dans la baie depuis plus de vingt ans. L’inscription du Mont-Saint-Michel au Patrimoine mondial de l’UNESCO ne se limite d’ailleurs pas à l’abbaye, celle-ci inclut aussi la baie.

    Ce cadre naturel a été au cœur d’un projet de génie civil qui aura duré dix ans et permis au Mont-Saint-Michel de redevenir en 2015 une île à part entière. Ces travaux auront vu la digue être détruite et un barrage être construit sur le Couesnon pour en réguler le débit et en exploiter la puissance hydraulique afin d’évacuer le sable vers la mer. Le parking a été déplacé à l’intérieur des terres, à un endroit relié au site par des navettes. La base du Mont s’en est non seulement trouvée embellie, mais cela a également donné lieu à un changement en matière de pratiques touristiques ; les visiteurs sont désormais obligés de rester plus longtemps. L’époque des autocars touristiques qui déposaient des touristes au Mont le temps d’une halte journalière inévitable sur leur grand tour de France est désormais révolue.

    Grâce à ces efforts, les grandes marées ont fait leur retour. Celles-ci surviennent environ dix fois par an et encerclent complètement le Mont-Saint-Michel ; un phénomène très apprécié qui ne s’était pas produit depuis 1879.

    Ces dernières années, le tourisme s’est davantage déporté sur la baie. « Il y a eu une explosion de la demande pour des traversées de la baie », observe François Saint-James. Les visiteurs se familiarisent avec la faune et la flore de la région tout en marchant dans les pas des pèlerins qui traversaient autrefois la baie à marée basse.

    La baie abrite des richesses environnementales aussi merveilleuses que les richesses artistiques de l’abbaye. « C’est l’un des meilleurs endroits pour observer les oiseaux en Europe […], cinquante années d’ornithologie ont permis d’y observer un total de 356 espèces », indique Sébastien Provost, ornithologue et fondateur il y a quatre ans de Birding Mont-Saint-Michel. De même que le Mont, où se retrouvent des touristes du monde entier, la baie est selon lui « un lieu où diverses populations d’oiseaux migrateurs se rencontrent ». C’est par exemple le cas de la bernache cravant, qui quitte la Sibérie en hiver pour venir séjourner dans la baie.

    « Le Mont-Saint-Michel, ce n’est pas uniquement l’héritage du bâti ; c’est aussi l’héritage naturel et le paysage », fait observer Thomas Velter.

     

     

    LE NOUVEAU MILLÉNAIRE DU MONT

    Mille ans après le dépôt de sa première pierre, le Mont-Saint-Michel réinvente son image par le tourisme lent et par la mise en avant ses environs. Des événements tels que les représentations théâtrales données au barrage du Couesnon ou les expositions proposées à Avranches attirent les visiteurs dans d’autres lieux associés au Mont et incitent à un séjour prolongé.

    Au Mont-Saint-Michel, l’amélioration de l’expérience visiteur est une priorité. À l’abbaye, une nouvelle entreprise (Keolis) assure une navette qui fonctionne désormais au biocarburant et non au gazoil et dont les temps d’attente seront, dès le printemps, clairement affichés. Il est prévu qu’une équipe d’agents saisonniers accueille les touristes sur le parking et les aide à organiser leur visite.

    Puisque la moitié des visiteurs annuels se rendent traditionnellement au Mont-Saint-Michel en juillet et en août, ce nouveau plan touristique repose sur la saisonnalité. Les conditions d’affluence seront communiquées en temps réel, tandis qu’une nouvelle grille tarifaire devrait proposer des prix plus attractifs pour le parking hors saison. Une nouvelle campagne de publicité va de plus voir le jour afin de promouvoir le Mont-Saint-Michel toute l’année.

    Mais à vrai dire, l’hiver est peut-être le moment idéal pour s’y rendre. C’est à cette période que l’essence spirituelle de l’endroit ressort le mieux ; on n’y entend alors que les cris des mouettes et le chant des moines pour l’office des Laudes au lever du soleil.

     Mary Winston Nicklin est journaliste et rédactrice indépendante. Elle vit entre Paris et la Virginie. Suivez-la sur Twitter.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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