Japon : à la découverte de la culture des Yamabushi, entre pèlerinage et méditation

Les ascètes Yamabushi proposent aux visiteurs de se reconnecter à leur sens de l'émerveillement au travers d'une ascension jusqu'au sanctuaire du mont Haguro, l'une des montagnes sacrées de Dewa Sanzan.

De Lorna Parkes
Publication 10 oct. 2023, 18:15 CEST
La tradition spirituelle des Yamabushi, qui vénèrent principalement la nature, est connue sous le nom de ...

La tradition spirituelle des Yamabushi, qui vénèrent principalement la nature, est connue sous le nom de shugendō. Cette dernière consiste à vivre des expériences dans la nature, comme un pèlerinage dans la forêt lors d'un voyage de renaissance jusqu'au sommet du mont Haguro.

PHOTOGRAPHIE DE Jo Metson Scott

Selon la tradition des Yamabushi, les marches qui mènent jusqu’au sanctuaire du mont Haguro symbolisent la descente aux enfers. Cependant, tandis que je me tiens devant la porte sculptée de Zuishinmon, face à ces fameuses marches, ces dernières m’évoquent tout sauf l’enfer. Au-dessus de ma tête, des rossignols du Japon et des bouscarles chanteuses s’appellent depuis les hauteurs des érables. Les rayons du soleil caressent mon dos alors que je m’incline sous la porte, un signe de reconnaissance envers les esprits gardiens qui, selon la croyance, errent dans ces pentes sacrées.

« Utilisez tout votre corps pour absorber l’énergie spirituelle de ce lieu », me dit mon guide Kazuhiro Hayasaka avant de commencer la descente des marches en file indienne. Nos grands bâtons de marche en bois résonnent sur la pierre, comme un battement de cœur hypnotique. Les grenouilles coassent, cachées dans les canaux qui ruissellent à nos pieds. L’air est frais et calme sous la protection d’une grande avenue de cèdres, plantés au 17e siècle pour border les 2 446 marches qui conduisent les pèlerins jusqu’au sommet du mont Haguro. Si nous sommes bien en enfer, je ne suis pas sûre de trouver l’expérience si désagréable.

Chacun des sanctuaires Massha situés au pied du mont Haguro est dédié à un kami (divinité) différent.

PHOTOGRAPHIE DE Jo Metson Scott

Avec ses 414 mètres d’altitude, cette montagne n’est pas très grande. Pourtant, presque tous les Japonais comptent effectuer ce court pèlerinage d’une journée au moins une fois dans leur vie. À environ 500 kilomètres au nord de Tokyo, dans la préfecture de Yamagata, le mont Haguro est l’une des trois montagnes sacrées de Dewa Sanzan. Ses gardiens, les Yamabushi, constituent un groupe religieux unique d’ascètes montagnards qui ont passé plusieurs années à mettre au point des programmes d’entraînement de courte durée destinés à offrir à des étrangers comme moi un aperçu de leur vie et de leur système de croyances. Mon guide pour cette randonnée en montagne, Hayasaka, s’est vu attribuer le rôle de sendatsu (maître).

Les pratiques des Yamabushi sortent des limites religieuses habituelles du Japon. Le groupe adhère à des éléments du shintoïsme, du bouddhisme et du taoïsme, mais vénère avant tout la nature. Leur tradition spirituelle, connue sous le nom de shugendō, consiste notamment à méditer dans des forêts ensoleillées, au bord de rivières et sous des chutes d’eau. Il y a 1 000 ans, les Yamabushi vivaient en ermites sur le mont Haguro, mais aujourd’hui, la plupart des ascètes mènent une vie tout à fait ordinaire et retournent régulièrement dans les trois montagnes de Dewa Sanzan pour se purifier ; le pèlerinage jusqu’au sommet du mont Haguro représente, selon leur croyance, un renouveau spirituel. La topographie de la vallée montagneuse dans laquelle nous nous trouvons est une importante manifestation physique du voyage qu’entreprennent les Yamabushi. En arrivant en bas de la première série de marches en pierre, j’aperçois un autre escalier tout aussi raide qui traverse un pont japonais traditionnel en bois enjambant une rivière. « Nous surmontons l’enfer afin de renaître au sommet », m’explique Hayasaka, qui suit mon regard orienté vers les hauteurs, où le sentier en escalier disparaît dans des fourrés de fougères flanqués de minuscules sanctuaires montés sur des socles.

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    Le kongodzue, le bâton des Yamabushi, représente la pierre tombale dans un rituel de renaissance symbolique.

    PHOTOGRAPHIE DE Jo Metson Scott

    Maître Hayasaka est un homme doux et aimable qui ne correspond pas à l'image que je me fais généralement des religieux. Comme le veut la coutume, lorsqu’il se rend dans les montagnes, mon guide est vêtu de blanc de la tête aux pieds. Il porte des bottes à bouts fendus, comme les chaussures traditionnellement portées par les pèlerins, ainsi qu’un bonnet de coton torsadé à rabats qui, m’a-t-on dit, représente un cordon ombilical relié au « ventre » de la montagne. Une énorme conque est suspendue à son cou par une corde. Avant de quitter le fond de la vallée, nous nous inclinons, frappons des mains et chantons des sutras, des textes sacrés, dans la pagode d’Haguro. Environ 110 sanctuaires décorent les pentes de la montagne, mais la pagode constitue l’un des plus grands trésors des Yamabushi ; c’est donc un bon point de départ pour notre ascension. Du fait de l’importance accordée à la nature, les prières des prêtres montagnards portent sur la santé, l’équilibre des écosystèmes naturels, les catastrophes naturelles et la paix dans le monde.

    Bien qu’en théorie, je sois tout à fait partante pour participer à cette activité, en tant qu’athée de longue date, je suis d’abord déconcertée par la pratique de la prière, surtout à haute voix. Ma langue bute sur les rythmes ondulants et sur les mots inconnus dérivés du sanskrit, imprimés afin que je les emporte avec moi pendant toute la durée de mon séjour aux côtés des Yamabushi. Mes mots vacillent encore plus lorsque je réalise qu’Hayasaka et moi sommes observés et photographiés par un couple de touristes japonais. Avec mon gyoi (chemise d’entraînement) blanc, nos colliers shime, portés pour se protéger des mauvais esprits sur la montagne, et la conque d’Hayasaka, je réalise que le Yamabushi et moi représentons une attraction touristique au même titre que la montagne elle-même. Je ne suis pas très à l’aise. 

    Fumihiro Hoshino, originaire de Haguro, est maître Yamabushi et propriétaire d'un gîte de pèlerins de treizième génération.

    PHOTOGRAPHIE DE Jo Metson Scott

    Au-delà de la pagode se trouve la première des trois pentes menant au sommet du mont Haguro. Au milieu de la première, mes oreilles se bouchent. À mesure que nous prenons de l’altitude, l’humidité du bas de la vallée se dissipe, apportant une brise plus fraîche et des rayons de soleil chauds. Au milieu de la deuxième pente, nous quittons les marches et rejoignons un plateau marqué par un portail torii rouge, une structure symbolique traditionnelle, et Hayasaka annonce que c’est un bon endroit pour méditer. Nous nous asseyons sur de petits coussins ronds sortis d’un sac à dos. « La méditation yamabushi est différente de la méditation bouddhiste », nous apprend-il. « Il ne s’agit pas de la manière dont vous vous asseyez ou positionnez vos mains. L’objectif principal est d’être présent dans la nature. »

    Au début, je n’arrive pas à me concentrer. Je tripote les feuilles des plantes qui me chatouillent les jambes et je repousse ce que je soupçonne être un moustique. Je finis néanmoins par me détendre. Les sons deviennent plus riches, le battement des feuilles devient un rugissement, le bruissement des insectes se fait plus précis, comme si je pouvais entendre les battements d’ailes des papillons trancher l’air environnant. Finalement, un pic vient rompre le charme et nous commençons à nous agiter et nous remettons sur pied, prêts à affronter la troisième et dernière pente.

     

    UNE EXPÉRIENCE SENSORIELLE

    Le son de la conque traditionnelle, appelée un horagai, retentit, et je n’ai jamais rien entendu de tel : il est grave, presque funèbre, comme une longue exhalaison de vent qui sépare les arbres. Hayasaka émet ce son pour annoncer notre arrivée au Saikan, le shukubo (une auberge de pèlerinage), situé sous le sommet de la montagne, dans lequel je dois dormir cette nuit-là. La porte de la pagode en bois sculpté de l’auberge, grignotée par les éléments pendant plus de trois siècles, est l’une des dernières caractéristiques permettant de savoir qu’il s’agissait autrefois d’un temple bouddhiste.

    Avant la restauration de Meiji dans les années 1860, période durant laquelle le bouddhisme a été temporairement prohibé tandis que le Japon faisait du shintoïsme sa religion nationale, ce flanc de montagne aurait abrité plus de trente temples comme celui-ci. Celui dans lequel je me trouve est le seul à avoir survécu sur les pentes en dessous du sanctuaire situé au sommet. Aujourd’hui, l’auberge est très appréciée pour son shōjin ryōri (cuisine consommée par les ascètes Yamabushi), composé de délicats bols de légumes de montagne marinés, saumurés ou frits. Lorsqu’ils sont en pèlerinage, les Yamabushi mangent en silence et mâchent chaque bouchée trente fois, utilisant ainsi ce moment comme une forme de méditation. Lorsque j’entre dans la salle à manger à 18 heures ce soir-là, je me dis qu’il est logique que chaque bouchée compte ; et que plus la nourriture est savoureuse, mieux c’est.

    Dans le brouillard de la montagne, le maître Yamabushi Takeharu Kato souffle dans sa conque horagai pour purifier la zone sacrée et alerter les dieux de la présence des Yamabushi.

    PHOTOGRAPHIE DE Jo Metson Scott

    Ce que je n’avais pas prévu, cependant, c’est que j’allais déguster le shōjin ryōri de Saikan dans l’obscurité, et avec les mains. Pour mon compagnon de table, Takeharo Kato, un autre ascète Yamabushi qui suit l’entraînement d’Hayasaka avec moi, la privation sensorielle devrait renforcer mon expérience méditative. « Chaque plante et chaque aliment est un don des divinités », m’affirme-t-il avec un ton efficace et apaisant en éteignant la lumière.

    Alors que mes yeux s’ajustent à l’obscurité, je peux distinguer la forme des petits bols et des assiettes éparpillés sur la table. « Essayez de sentir la texture de l’eau », me dit-il au début du repas. « Imaginez comment l’eau circule dans votre corps et comment votre corps l’absorbe. » Après le dîner, Kato m’emmène marcher au sommet de la montagne, au clair de lune. Dans le noir ambiant, nos pieds trébuchent sur des marches, des racines d’arbres et des trous. Une clochette anti-ours claque contre sa cuisse tandis que nous avançons à la recherche d’étoiles. Lorsque je me retire dans ma chambre, mon état de tranquillité intérieure s’allie parfaitement avec le calme enveloppant de l’auberge.

    Les plaques de prière au sommet du mont Haguro sont laissées par des pèlerins du monde entier.

    PHOTOGRAPHIE DE Lorna Parkes

    UN SOMMET SACRÉ

    Les montagnes de Dewa Sanzan ont été ouvertes au culte spirituel en l’an 593 par un prince connu sous le nom d’Hachiko et, lorsque je m’aventure dans l’air frais du mont le lendemain matin, je découvre que son sommet abrite un nombre surprenant de sites sacrés. Je découvre le sanctuaire et la tombe d’Hachiko. Sur ce même plateau, où les habitants des villages voisins taillent les haies et coupent l’herbe, gît le gigantesque sanctuaire sommital de Dewa Sanzan, qui arbore des couleurs rose-rouge et un épais toit de chaume, et est bordé par un petit lac clôturé.

    Bien qu’il n’ait l’air de rien au premier abord, ce lac est en réalité l’un des sites les plus sacrés de Dewa Sanzan. « C’est assez étrange d’avoir un lac au sommet d’une montagne », révèle Kato. « Pendant des siècles, nous avons cru qu’il s’agissait d’un signe de la présence des dieux. » Les archéologues ont retrouvé des miroirs en bronze (des objets sacrés utilisés dans le shintoïsme et le bouddhisme au Japon) qui avaient été jetés dans le lac par des pèlerins et dataient du 8e siècle environ. Nous récitons nos prières en présence d’un petit groupe de touristes venus se faire bénir au sanctuaire.

    Le sanctuaire lui-même constitue le dernier arrêt de mon parcours. Je m’apprête à participer à une cérémonie qui marquera l’aboutissement de mon entraînement. Alors que nous nous agenouillons, nous inclinons, et nous préparons à chanter, j’ai désespérément envie de lever les yeux vers l’autel doré et les robes du grand prêtre, car je ressens le passage de talismans et une pluie de riz sur mon corps. À ce stade de mon entraînement, toutefois, je sais que je ne dois pas lever la tête. Je la garde donc baissée.

    « Nous devons garder la tête basse lorsque nous prions, car les kamis (divinités) ne se montreront pas si nous les regardons », me rappelle Kato après la prière. « Les éléments invisibles du monde constituent une part essentielle de ce que nous souhaitons partager avec vous. Si nous pouvons sentir des choses invisibles, alors nous pouvons retrouver notre sens de l’émerveillement. » Je me dis que je suis parfaitement d’accord. Ce n’est pas tout à fait une renaissance spirituelle, mais je suis peut-être sur le point de m’éveiller à quelque chose de nouveau.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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