À la découverte des 3 000 mosquées d’Istanbul

Ces lieux de culte, célèbres pour leur somptuosité, représentent la foi, l’art et l’histoire de la ville d’Istanbul.

De Allie Yang
Publication 31 mars 2022, 14:29 CEST
La mosquée d’Ortaköy

La mosquée d’Ortaköy, officiellement Büyük Mecidiye Camii, a été construite en 1855 dans le district de Beşiktaş dans le détroit du Bosphore. La ville légendaire d’Istanbul est remplie de mosquées qui racontent de nombreuses histoires, des empires romain, byzantin et ottoman jusqu’à aujourd’hui.

PHOTOGRAPHIE DE Alba Cambeiro

Des histoires de dévouement, d’art et de fierté reposent entre les murs des mosquées d’Istanbul. On compte plus de 3 000 de ces lieux de culte dans la plus grande ville de Turquie, qu’il s’agisse de grands édifices érigés sur de vastes terrains ou de modestes bâtiments en bois situés aux abords des rues de la ville.

À l’origine, certaines d’entre elles ont été construites au 4e siècle en tant qu’églises byzantines, et de nouvelles mosquées continuent d’être érigées régulièrement. Qu’elles soient contemporaines ou anciennes, les mosquées d’Istanbul sont incroyablement variées : certaines sont dotées de dômes flamboyants et arborent de nombreux carreaux à motifs et de la calligraphie, tandis que d’autres sont plus épurées, minimales et modernes.

Construite au 6e siècle par l’empereur byzantin Justinien Ier, Sainte-Sophie (Hagia Sophia) était à l’origine la cathédrale orthodoxe d’Istanbul (alors appelée Constantinople). Située dans le quartier Sultanahmet de la ville, ce bâtiment emblématique a aussi été une église catholique, une mosquée et un musée durant ses presque 1 485 années d’existence.

PHOTOGRAPHIE DE Alba Cambeiro

Les mosquées de la ville favorisent le développement de leurs communautés, exposent des œuvres d’art et d’ingénierie, et nombre d’entre elles honorent la longue tradition qui consiste à accueillir des personnes extérieures afin qu’elles soient témoins des pratiques des fidèles de l’islam. Cet article s’appuie sur une conversation avec Ünver Rüstem, historien de l’art et de l’architecture islamiques, qui a beaucoup écrit au sujet des mosquées d’Istanbul.

 

LE TEMPS DES EMPIRES

En entrant dans une mosquée, les voyageurs peuvent être transportés dans le passé et découvrir l’histoire de la montée et de la chute des empires romain, byzantin et ottoman.

Avant l’électricité, de nombreuses mosquées étaient éclairées par des lampes basses dont les flammes vacillantes alimentées au pétrole couvraient les pièces d’une lumière dorée. Les spacieuses salles de prière étaient recouvertes de tapis tissés à la main et qui pouvaient être de différentes couleurs, principalement rouges. Quelle que soit la taille de l’espace, les fidèles priaient épaule contre épaule. En outre, avant l’avènement des désodorisants, c’était l’odeur de l’encens brûlé qui embaumait l’air. Contrairement aux traditions de certains groupes chrétiens, l’encens n’était jamais requis dans le cadre de la liturgie.

Aujourd’hui, les mosquées sont éclairées par le biais d’ampoules électriques et sont souvent dotées d’un tapis bleu clair tissé à la machine. On n’y brûle plus d’encens. Pourtant, les prières des fidèles qui viennent remplir ces salles suivent des rituels établis de longue date.

Les muezzins, qui accomplissent la tradition séculaire de l’appel à la prière, créent l’un des sons que l’on entend le plus dans la ville. Avant chacune des cinq prières quotidiennes, on peut entendre les voix des muezzins se superposer et s’entremêler les unes aux autres.

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    Près du bazar aux épices du district de Tahtakale, la mosquée de Rüstem Pacha a été conçue par le célèbre architecte ottoman Mimar Sinan. La structure se distingue des autres mosquées de Sinan et d’autres architectes de la vie de par l’ampleur de ses décorations intérieures à base de carreaux d’Iznik.

    PHOTOGRAPHIE DE Alba Cambeiro

    De nos jours, les appels à la prière (ezan en turc, adhan en arabe) sont diffusés par le biais de haut-parleurs montés sur les minarets, des tours qui peuvent atteindre des centaines de mètres de haut. Autrefois, on n’entendait que ce que la voix du muezzin pouvait porter au vent : ils montaient sur les balcons au sommet des minarets et plaçaient leurs mains autour de leur bouche pour mieux diffuser leurs appels.

    Célèbre pour être à cheval entre l’Europe et l’Asie, Istanbul a accueilli différentes cultures et religions puissantes au cours de son histoire. L’empereur romain Constantin Ier a fondé la ville en 330 après J.-C. Baptisée « Constantinople » en son honneur, elle est restée connue sous ce nom jusqu’en 1930, date à laquelle elle a été officiellement rebaptisée Istanbul, son nom turc historique. Lorsque l’Empire romain s’est divisé en 395, la ville est devenue la capitale de l’Empire romain d’Orient (l’Empire byzantin) ainsi qu’un centre de la chrétienté, et ce jusqu’à ce que le sultan ottoman Mehmed II s’empare de la ville en 1453. Les Turcs musulmans de l’Empire ottoman ont alors converti les églises de la ville en mosquées, en plus d’en construire de nouvelles.

    Le nom des mosquées leur étaient souvent donnés en référence aux mécènes qui les avaient financées, et la grandiosité des structures devenaient l’expression physique du pouvoir politique ou du statut social des mécènes. Des règles tacites limitaient la majestuosité des mosquées : par exemple, seuls les membres de la famille royale ottomane étaient autorisés à construire plus d’un seul minaret.

    Située à l’extérieur des murs de la vieille ville, près de la Corne d’Or, la mosquée Eyüp Sultan est l’une des mosquées les plus sacrées et importantes de toute la Turquie. Abu Ayyub al-Ansari, porte-drapeau et ami proche du prophète Mahomet, y aurait été enterré.

    PHOTOGRAPHIE DE Alba Cambeiro

    Au début du 17e siècle, le sultan Ahmed Ier a provoqué un scandale en enfreignant une autre règle : celle selon laquelle seuls les sultans qui avaient gagné des guerres étaient autorisés à construire des mosquées majestueuses.

    Il a proposé de construire une nouvelle mosquée juste en face de la plus célèbre mosquée de la ville, la cathédrale convertie de Sainte-Sophie, mais sans conquête à son actif pour le justifier. Ses conseillers ont tenté de l’en dissuader, mais il a tout de même décidé de la construire. Aujourd’hui, la mosquée du sultan Ahmed, ou « mosquée bleue », est l’un des bâtiments les plus emblématiques du monde, avec un total stupéfiant de six minarets. Quatre siècles plus tard, elle reste l’héritage le plus marquant d’Ahmed.

     

    DES MODÈLES D’ART ET D’ARTISANAT

    En plus de rassembler les fidèles, les mosquées d’Istanbul permettent de faire découvrir des œuvres magnifiques et des prouesses d’ingénierie à des personnes du monde entier.

    Les dômes des plus majestueuses mosquées d’Istanbul pouvaient symboliser les cieux et le royaume de Dieu mais, comme les minarets, leur taille était aussi un moyen d’affirmer un certain pouvoir. Le dôme principal de la mosquée Süleymaniye, construite au milieu du 16e siècle par le sultan Soliman le Magnifique, fait 27 mètres de diamètre et 53 mètres de hauteur, soit plus de 3 mètres de plus que l’Arc de triomphe de Paris.

    L’architecte responsable de la conception de la mosquée Süleymaniye est le célèbre Mimar Sinan, qui a servi deux autres sultans après Soliman. Derrière la création de dizaines de mosquées et autres bâtiments d’Istanbul, Sinan est l’une des figures les plus marquantes de l’histoire architecturale de la ville.

    Les règles du passé ayant été strictes quant à la manière dont les mécènes pouvaient construire leurs mosquées, les carreaux sont devenus un moyen de contourner les codes de bienséance. Une petite et humble mosquée, qui ne pouvait pas utiliser d’énormes dômes et minarets, pouvait tout de même éblouir les fidèles par le biais d’un artisanat complexe. Un bon exemple est la mosquée du fabricant de chapeaux Takkeci İbrahim Ağa construite à la fin du 16e siècle qui, tout en étant modeste, est remplie de magnifiques carreaux multicolores en provenance d’Iznik.

    Le surnom de la mosquée du Sultan Ahmed, « mosquée bleue », provient du ton bleu que lui confèrent les milliers de carreaux d’Iznik qui composent les motifs géométriques et floraux qui décorent ses murs. La structure arbore quatre demi-dômes autour de son dôme central principal, ainsi que des centaines de panneaux de verre teinté.

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    La ville d’Iznik, à 135 kilomètres au sud-est d’Istanbul, est devenue célèbre au début du 16e siècle pour son industrie du carrelage. Les carreaux de céramique vernissée qui y étaient fabriqués arboraient des motifs botaniques tels que des tulipes, des œillets et des vignes, dont certains étaient influencés par la porcelaine chinoise, particulièrement chérie sur la route de la soie.

    Des passages du Coran ornent les bâtiments, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, en écriture calligraphique peinte et sculptée. Il n’était pas nécessaire de savoir les lire pour comprendre leur importance : même les fidèles incapables de déchiffrer l’arabe pouvaient admirer ces inscriptions comme de belles représentations de la parole sacrée de Dieu.

     

    UNE COMMUNAUTÉ ACCUEILLANTE

    Les mosquées étaient censées laisser aux visiteurs un souvenir de la grandeur de leur mécène, de la splendeur de la ville d’Istanbul et de la gloire de la religion de l’Islam. De tout temps, les visiteurs non-musulmans ont pu accéder plutôt facilement aux principales mosquées de la ville ; aujourd’hui, les touristes y sont accueillis librement.

    Les mosquées étaient autrefois les centres de complexes qui comprenaient des bains, des écoles, des hôpitaux, des bibliothèques et des cuisines pour nourrir les plus pauvres. Les bains et fontaines à eau de certaines mosquées fonctionnent encore aujourd’hui. D’autres structures ont quant à elles été converties pour répondre aux besoins actuels, en les transformant par exemple des bureaux et cafés.

    La mosquée Mirimah Sultan a été construite au 16e siècle dans le quartier d’Edirnekapı, près du point le plus élevé de la ville. Contrairement aux vitraux des églises chrétiennes qui représentent souvent des personnages et des histoires, les vitraux islamiques arborent des motifs botaniques et géométriques.

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    Les mécènes qui finançaient ces complexes étaient parfois enterrés dans un tombeau séparé au sein de ceux-ci. Les visiteurs pouvaient donc leur rendre hommage, et les investisseurs en récoltaient les fruits dans l’au-delà.

    On pourrait croire que ces mosquées sont des lieux calmes et réservés mais, en réalité, ce sont des espaces habités, et leurs portes sont rarement fermées. Vous serez peut-être surpris d’entendre des enfants crier et de voir des visiteurs prendre des selfies, mais c’est précisément ce qu’une mosquée est censée faire : rassembler des personnes dans un bel espace qui honore Dieu.

    Alba Cambeiro est une photojournaliste établie à Istanbul. Vous pouvez la trouver sur Instagram | Ünver Rüstem est le professeur assistant en art et architecture islamiques de la Second Decade Society de l’université Johns-Hopkins. Il est l’auteur de l’ouvrage Ottoman Baroque: The Architectural Refashioning of Eighteenth-Century Istanbul | Allie Yang est une rédactrice de la section voyage de National Geographic. Elle a discuté avec Ünver Rüstem afin de découvrir l’histoire d’Istanbul en tant que capitale impériale et centre de l’art et de la culture islamiques. Vous pouvez la trouver sur Twitter.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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