Environnement : le tourisme peut-il avoir un impact positif dans l’océan Indien ?

L’océan Indien est en première ligne du changement climatique. Le tourisme peut-il contribuer à lui assurer un avenir plus durable ?

De Simon Usborne, Rory Goulding
Publication 5 sept. 2023, 11:53 CEST
S’ils sont bien conservés, les récifs coralliens peuvent jouer un rôle majeur dans le ralentissement de ...

S’ils sont bien conservés, les récifs coralliens peuvent jouer un rôle majeur dans le ralentissement de la montée des eaux dans l’océan Indien.

PHOTOGRAPHIE DE Huw Thomas, Alamy

Les eaux chaudes de l’océan Indien exercent un attrait évident sur ceux qui, venant de climats plus froids, se rendent sur les plages de l’océan Indien. Cependant, comme le niveau de la mer augmente en moyenne plus rapidement dans cette région que dans l’Atlantique et le Pacifique, de nombreuses plages risquent d’être envahies par les marées, ce qui menace les habitats naturels et les moyens de subsistance des populations des zones côtières. Ce problème concerne bien entendu le monde entier : le niveau des mers s’est élevé d’environ 10 cm au cours des 30 dernières années, le rythme étant passé de 1,5 mm par an pendant la majeure partie du 20e siècle, à 3,9 mm par an aujourd’hui. Les projections varient considérablement en ce qui concerne l’élévation future du niveau de la mer, mais pour les Maldives, dont les points culminants s’élèvent à un peu plus de deux mètres au-dessus du niveau de la mer, chaque centimètre compte.

S’il est de notoriété publique que la fonte des glaces polaires entraîne une élévation du niveau des mers, peu de gens connaissent les effets conséquents de la dilatation thermique sur le phénomène. Étant donné que les molécules d’eau de plus de 4°C se dilatent à mesure qu’elles se réchauffent, si l’on extrapole cet effet à l’échelle d’un océan, l’eau plus chaude augmentera sensiblement de volume. Bien que cela semble contre-intuitif, ce phénomène n’est pas réparti uniformément sur les océans du globe, l’eau de mer dilatée ayant tendance à « s’accumuler » par endroits. L’élévation du niveau de la mer se produit à des rythmes différents selon les côtes, mais dans l’océan Indien, majoritairement situé sous les tropiques, les eaux ont tendance à être plus chaudes que dans n’importe quel autre océan du monde, et donc à s’élever plus rapidement.

L’une des approches les plus directes pour lutter contre les conséquences voire les causes de l’élévation du niveau de la mer a été mise en place au nord-est de la capitale des Maldives, Malé, où un terre-plein, l’île d’Hulhumalé, prend forme depuis 1997. L’île artificielle, qui a été aménagée pour soulager les atolls parmi les plus peuplés au monde, s’élève à deux mètres au-dessus du niveau de la mer. C’est deux fois plus haut que pour Malé et la plupart des autres îles des Maldives, ce qui permet à la population de gagner du temps sur la crise climatique.

Reste que seuls quelques endroits peuvent être aménagés en îles artificielles, à l’image d’Hulhumalé, et que ces travaux s’accompagnent de leurs propres problèmes environnementaux : le dragage, une opération qui consiste à extraire le sable du centre des lagons pour le redistribuer sur l’île en construction, endommage les récifs coralliens. Cette solution ne tient d’ailleurs pas compte de la perte de l’environnement préexistant. À l’île Maurice, le gouvernement a estimé que la moitié des plages de sable blanc de l’île seront érodées dans les cinquante prochaines années en raison de la montée des eaux. Un centre de refuge pour les habitants a ouvert cette année dans le village de Quatre Soeurs, sur la côte est, afin de servir d’espace d’évacuation en cas de marées hautes et d’ondes de tempête record. Des digues construites en roches volcaniques protègent désormais certaines franges côtières de l’île Maurice, mais il ne s’agit là que d’une solution partielle.

 

L'IMPORTANCE D'AVOIR DES RÉCIFS SAINS

Les meilleures défenses, autant pour les atolls de faible altitude comme ceux des Maldives que pour les îles montagneuses comme l’île Maurice, sont les barrières côtières naturelles que constituent les récifs coralliens. Les efforts déployés pour les protéger permettent non seulement de préserver certains des habitats marins les plus riches de la planète, mais aussi de diffuser la puissance des vagues lors des tempêtes, ce qui contribue à freiner l’érosion. Les coraux des Maldives sont touchés par un blanchiment à cause du réchauffement des mers qui tue les algues vivant sur les coraux et qui constituent la quasi-totalité de leur nourriture. Les coraux sont alors réduits à l’état de squelette blanc, ce qui affecte toute la vie du récif et réduit sa capacité à se protéger. 

Certaines espèces de coraux sont toutefois plus résistantes que d’autres. Le biologiste marin Jamie Craggs, qui s’occupe d’un aquarium au musée Horniman de Londres, s’est récemment rendu à la station balnéaire Soneva Fushi, aux Maldives, pour y installer un dispositif de propagation du corail, le premier du genre dans le pays. « Si nous parvenons à cultiver des coraux, explique-t-il, nous pourrons commencer à sélectionner des coraux plus robustes, capables de résister aux conditions océaniques et climatiques à venir. 

PHOTOGRAPHIE DE Huw Thomas, Alamy

Jamie est également cofondateur du Coral Spawning Lab, qui compte parmi ses clients des aquariums, des universités et l’industrie du tourisme. Dans la station balnéaire Soneva Fushi, des techniciens qualifiés travaillant dans les laboratoires mobiles de l’entreprise fertilisent les coraux résistants dans des aquariums spécialisés avant de les ajouter aux pépinières (essentiellement des cadres de soutien) dans la mer. 

Mais même les projets les plus significatifs peuvent-ils faire la différence, étant donné que le seul moyen réaliste d’atteindre les destinations de l’océan Indien dans la majorité des cas est d’emprunter des avions long-courriers qui contribuent à l’émission de gaz à effet de serre ? Jamie se souvient qu’il avait une vision négative du tourisme à la fin de son doctorat sur la propagation des coraux. Il est aujourd’hui plus pragmatique. « J’ai compris qu’il était impossible d’arrêter l’industrie des vacances », explique-t-il. « Mais que l’on pouvait travailler avec elle pour en tirer le meilleur parti possible. »

Shauna Aminath, ministre de l’Environnement, du Changement Climatique et de la Technologie des Maldives, est bien consciente du fait que le tourisme et les services qui lui sont associés représentent 40 % de l’économie du pays. Son père a d’ailleurs travaillé pendant de nombreuses années à la station balnéaire Kurumba Maldives, la première à avoir ouvert ses portes dans le pays en 1972. L’un des premiers souvenirs de la ministre est d’avoir vu un arbre à pain s’abattre lors d’une tempête qui avait érodé la plage à côté de sa maison sur l’atoll d’Addu.

Mme Aminath affirme que le gouvernement s’est aligné avec les innovations des stations balnéaires du pays. Des lois d’urbanismes strictes encadrent désormais chaque nouveau projet d’aménagement, des réglementations régissent le traitement des eaux usées et il est désormais interdit d’utiliser du plastique à usage unique. « Nous sommes également en train d’élaborer un plan auquel devront se soumettre les stations balnéaires pour atteindre l’objectif zéro émission nette d’ici à 2030 », explique-t-elle. « Les stations balnéaires jouent un rôle important dans la conservation, car les touristes viennent aux Maldives pour découvrir ses mers cristallines. »

 

QUEL AVENIR POUR LA PROCHAINE GÉNÉRATION ?

De nombreuses organisations locales réfléchissent également à la manière dont le tourisme peut s’inscrire dans un avenir durable. À l’île Maurice, Gerald Ami et sa femme Romina Tello dirigent Mauritius Conscious, le premier voyagiste durable du pays. Il se rappelle de la première fois où il a compris que des gens étaient prêts à parcourir des milliers de kilomètres pour profiter de son île dans l’océan Indien. M. Ami avait environ six ans et prenait le bus scolaire de Pointe aux Piments, un ancien village de pêcheurs créole situé sur la côte nord-ouest de l’île, pour se rendre au jardin botanique de Pamplemousses. « En voyant tous ces touristes, j’ai commencé à comprendre ce qu’était l’industrie du tourisme », raconte M. Ami. « Mais ce n’est qu’à la vingtaine que j’ai vraiment compris le concept de développement durable, l’impact du tourisme de masse et le danger de l’élévation du niveau de la mer. »

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    PHOTOGRAPHIE DE Huw Thomas, Alamy

    M. Ami et Mme. Tello ont fondé Mauritius Conscious en 2015 et s’associent depuis à de petites entreprises touristiques et maisons d’hôtes locales soucieuses de l’environnement. Au début, le couple n’était pas très optimiste quant à l’avenir de l’île. Il y a cinq ans, Mme Tello se disait déprimée d’assister à l’abus continu des côtes fragiles de son île et à la dégradation des récifs coralliens, des constats qui soulignaient alors ses inquiétudes pour le futur : le fait que les merveilles naturelles de l’île Maurice puissent un jour être épuisées et que l’exploitation des récifs détruise toute forme de vie. Si son mari était tout aussi inquiet, il est aujourd’hui plus positif. « Lorsque nous avons commencé, ce n’était que des concepts que les gens commençaient à comprendre parce que nous ne pouvions pas continuer comme ça », dit-il. « Aujourd’hui, je pense que nous sommes au début d’un très beau voyage en matière de développement durable. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais je pense que nous pourrons bientôt dire que l’île Maurice est une destination vraiment durable. »

    Les changements qui ont restauré la confiance de Gerald Ami dans son secteur sont en train d’être mis en œuvre à l’échelle du gouvernement et des voyagistes, en particulier maintenant que les chaînes de stations balnéaires de milieu et haut de gamme cherchent à davantage s’impliquer dans le développement durable. Les Maldives et l’île Maurice sont deux destinations majeures, mais ces efforts et ces investissements émergent lentement à travers une région fortement menacée par la montée des eaux. À l’île Maurice, M. Ami a de nouvelles raisons d’être optimiste : Mme. Tello et lui ont récemment eu un fils. Comment voit-il l’avenir de son île natale pour la prochaine génération ?

    « Je pense que la société mauricienne aura évolué », déclare-t-il. « J’espère que tout ce que nous avons commencé à faire au cours de la dernière décennie fera de l’île Maurice une destination où les êtres humains vivront en équilibre avec leur environnement. Je veux que la nature soit omniprésente et non une denrée rare. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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